Hercule Poirot est l’un de ces personnages de la culture populaire qui se prête particulièrement bien aux adaptations vidéoludiques. Enquêtes, interrogatoires, et recherche de preuves : après tout, tous les ingrédients d’un point and click sont déjà là dans les « whodunits » d’Agatha Christie. Le détective belge est déjà le héros de dizaines de jeux de qualité variable, allant de l’aventure parsemée d’énigmes au simple jeu d’objets cachés sur mobiles.
Depuis 2016, c’est Microïd qui se charge de la série des « Agatha Christie », adaptant les enquêtes les plus palpitantes d’Hercule Poirot. Après un Crime de l’Orient Express transposé à notre époque paru en 2023 et des retours plutôt positifs, le studio nous livre ici sa version de Mort sur le Nil… dans les années 70 ! Une idée pour le moins surprenante, mais qui a tout de suite piqué notre curiosité. Agatha Christie : Mort sur le Nil rend -il hommage au roman de la Reine du Crime au-delà du gimmick ?
(Test de Agatha Christie : Mort sur le Nil réalisé sur PC avec une clé fournie par l’éditeur)
On a la moustache qui groove
Le prologue de Mort sur le Nil ne se déroule pas en Égypte comme on pourrait le croire mais à Londres, dans une discothèque. Notre Hercule Poirot a plus des allures de Tom Selleck que de David Suchet, les damiers de la piste de danse s’allument de toutes les couleurs, le DJ passe des vinyles de disco et les habitués se pavanent en pantalon patte d’eph’ et chemise à fleurs. Le cadre est posé : nous sommes en plein dans les seventies.
La transposition à une autre époque que celle du roman original est infiniment plus réussie que ce qui avait été tenté avec le Crime de l’Orient Express en 2023. Les éléments d’époques sont intégrés au scénario et à l’enquête de manière assez pertinente : on s’envoie des télégrammes, on résout des énigmes grâce à un jukebox, ou on écoute des enregistrements confidentiels sur un magnétophone. Le travail sur les décors, les tenues des personnages et l’ambiance générale est une vraie réussite.
Certes, tout ceci n’est qu’habillage et absolument pas suffisant pour faire un bon jeu, mais cela permet au moins de distinguer cette propositions de toutes les adaptations existantes de Mort sur le Nil. Les graphismes ont un côté daté qu’on a malgré tout trouvé charmants, contrairement aux animations un peu rigides ou au sound design parfois complètement aux fraises. Mention spéciale tout de même à la musique et à la qualité du doublage en français !
Deux détectives pour le prix d’un
Hecule Poirot n’enquête pas seul dans cette version de l’histoire : il est accompagné de Jane Royce, une détective privée anglaise (qui remplace le Colonel Johnny Race du roman).
Dans son hôtel à Assouan, Poirot rencontre Linnet et Simon Doyle, fraîchement mariés dans des circonstances tendues. Simon est en effet l’ex-fiancé de Jacqueline de Bellefort, la meilleure amie de Linnet. Folle de jalousie, Jacqueline va tout faire pour gâcher la lune de miel des deux tourtereaux, et se dit prête à tout, même au pire. Le détective belge les accompagnera sur le Nil en direction d’Abou Simbel dans l’enquête classique que les lecteurs d’Agatha Christie connaissent.
En parallèle, Jane Royce est sur la piste d’un meurtrier et découvre progressivement un complot d’envergure mondiale, qui la mènera du Bronx aux rives du Nil.
Cette prise de liberté avec l’œuvre originale peine à convaincre. Certes, elle a le mérite d’apporter un peu de mystère et de surprise là où l’histoire de Poirot reprend très fidèlement celle du roman jusqu’à son dénouement. Si l’enquête de Jane est bien ficelée et croise celle d’Hercule Poirot, ces chapitres ont justement eu tendance à nous sortir de cette ambiance « whodunit » à la Agatha Christie. On avait généralement hâte de retrouver les passagers du Karnak quand le jeu nous expédiait dans les ruelles du Bronx pour suivre les aventures de Jane, aussi intéressantes soient-elles.
Cellules grises en action
Le gameplay de Mort sur le Nil alterne plusieurs phases pour mettre nos petites cellules grises à l’épreuve. On interroge les personnages pour récolter des informations comme dans un visual novel, on file les suspects pour écouter leurs conversations, on résout des puzzles et mini-jeux, on reconstitue le déroulé des événements… Le titre s’illustre par sa grande variété d’énigmes, dont certaines sont franchement ardues, même pour les amateurs du genre. Le jeu est néanmoins très généreux en indices si on le demande, et propose trois modes de difficultés.
Le système de carte mentale où l’on consigne tout ce qu’on apprend au cours des différents chapitres montre notre avancée dans l’enquête. On doit ensuite associer des faits entre eux pour en venir à des conclusions logiques, exactement comme le ferait Poirot. Le problème de ce système, c’est que le joueur comprend parfois tout seul des choses évidentes avant que le jeu ne nous propose de les déduire. On se retrouve alors comme des idiots parce que le génial Poirot n’a pas encore compris ce qu’on sait depuis plusieurs minutes. Même problème quand une action n’est pas disponible car on n’a pas interagi avec le bon objet au bon moment alors qu’on a déjà compris ce qu’il fallait faire.
Du remplissage dans les bagages ?
Fidèle à l’esprit d’Agatha Christie, chaque PNJ cache ses secrets et comme à chaque fois, chacun sera suspect et impliqué de près ou de loin dans cette affaire. Cette galerie de personnages tous plus louches les uns que les autres constitue là aussi l’un des plaisirs du jeu. On pourra alors remplir nous-même leur profil en fonction de ce qu’on découvre en leur parlant ou en fouillant leur cabine.
Mais certains éléments semblent là uniquement pour allonger la sauce : on a déjà évoqué l’enquête de Jane Royce, mais ce n’est rien comparé au mini-jeu de crochetage de serrure qui lasse au bout de la troisième occurrence, et surtout aux cent « moustaches dorées » à retrouver éparpillées dans les différents chapitres. Elles serviront certes à débloquer des images dans le « musée » bonus du jeu, mais ce n’est pas l’activité la plus passionnante, loin s’en faut.
Agatha Christie : Mort sur le Nil reste un jeu d’enquêtes très sympathique malgré ses quelques défauts. Le gameplay parfois lent est compensé par la diversité de puzzle sur lesquels on peut se creuser les méninges une vingtaine d’heures, jusqu’à la conclusion de l’aventure. La transposition dans les années 70, si elle reste accessoire, est une réussite qui apporte une saveur particulière à la célèbre affaire du détective. L’enquête autour des époux Doyle à bord du Karnak est évidemment géniale, et c’est un plaisir de la (re)découvrir en jeu vidéo, tant pour les inconditionnels d’Agatha Christie que pour les néophytes !
La base narrative de Mort sur le Nil a fait ses preuves depuis 1937, ce qui nous fait d’autant plus regretter cette impression que les développeurs ne lui faisaient pas totalement confiance pour nous tenir en haleine, en ajoutant une deuxième histoire. Une histoire plaisante certes, mais qui aurait limite mérité un jeu à part entière, plus développé, sans avoir besoin d’être justifié par l’univers d’Hercule Poirot.