À moins que vous ne soyez un amateur de Metroidvania, toujours en quête de nouvelles expériences, il y a fort à parier que vous n’avez pas entendu parler de 9 Years of Shadows. Issu d’un projet Kickstarter lancé au printemps 2020, le titre a su fédérer une communauté qui a participé au financement du jeu à hauteur de plus de 100 000 € alors que le studio en espérait seulement 16 000 €.
Paru un peu plus tôt dans l’année sur Steam, 9 Years of Shadow a débarqué en catimini sur Switch le 9 novembre dernier. Une publication qui conclut le travail d’Halberd Studios, à l’origine du projet, et pourrait faire sortir le développeur mexicain des ténèbres auprès d’un nouveau public. Mais encore faut-il que 9 Years of Shadows dispose de suffisamment d’arguments pour le démarquer des dizaines d’autres Metroidvania pullulant sur l’eshop.
(Test de 9 Years of Shadows sur Nintendo Switch réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Que la lumière soit
C’est assez commun. Lorsqu’un jeu indépendant aussi confidentiel souhaite s’extirper de ses ténèbres, cela passe presque systématiquement par sa direction artistique. 9 Years of Shadows ne fait pas exception à cette règle. C’en est même l’un des plus gros points forts. Au lancement du titre, nous avons découvert des illustrations de toute beauté qui ont su immédiatement nous happer dans son univers.
Les dessins des personnages notamment sont vraiment réussis et participent indéniablement à l’appréciation générale du jeu. Les artistes de Halberd Studios ne se sont d’ailleurs pas contentés de soigner le look d’Europa et Apino, les protagonistes principaux. Chacune des rencontres que nous avons pu faire pendant l’aventure était un régal visuel.
Les débuts de notre quête ont d’ailleurs eu un certain effet « wahou », avec une introduction dans des décors tout en nuances de gris qui finissent assez rapidement par se colorer, rendant les portraits déjà somptueux encore plus remarquables tout en participant à l’évolution de l’intrigue.
Le titre du jeu est assez éloquent, d’ailleurs. Le monde a sombré il y a neuf ans déjà. Une malédiction l’a plongé dans les ténèbres et ses effets se répandent de plus en plus. L’épicentre de ce phénomène se situe dans un vieux château duquel, dit-on, personne n’est jamais revenu. Alors, en désespoir de cause, devenue orpheline suite à ce fléau, Europa se décide à y pénétrer pour y trouver un salut, quelle qu’en soit sa forme.
Et alors que nous visitons les premières pièces de la bâtisse, nous faisons la rencontre d’un nounours mystique, Apino. Évidemment, quiconque rencontre une telle peluche dans un lieu aussi dangereux le câlinera immédiatement, n’est-ce pas ? C’est en tout cas ce que nous avons fait, entraînant alors le retour des couleurs en ces lieux.
N’y cherchant pas le pourquoi du comment, nous nous sommes enfoncés de plus en plus dans le château et y avons rencontré, bizarrement, de nombreuses personnes perdues au milieu de zones hostiles, dont notamment un orchestre arrivant à se déplacer on ne sait trop comment à travers les couloirs des lieux. Chacune d’entre elles a son histoire, sa personnalité. Et si elles ne sont pas forcément grandioses, elles participent à épaissir l’univers et à en apprendre plus sur notre héroïne.
Ce que nous aurions toutefois aimé, c’est qu’un peu à l’instar d’un Okami par exemple, où nous redonnions des couleurs à des zones entières, nous puissions explorer des portions de château dans des décors en noir et blanc puis, par le truchement d’un élément quelconque, que nous les baignions de couleurs, nous permettant alors de les découvrir sous un nouvel angle. Ici, nous n’avons pas l’impression d’avoir de véritable impact sur notre environnement. Europa reste cantonnée à son rôle d’intruse n’ayant, en apparence, pas vraiment d’emprise sur les événements qu’elle a pourtant initiés.
Pour autant, 9 Years of Shadow dépeint un univers plutôt intéressant en le mettant en valeur au travers de discussions, d’introspections de notre héroïne et, bien sûr, de sa direction artistique. Mais ce qui importe avant tout dans un metroidvania, c’est bien le gameplay, et hélas, sur ce point, le titre est bien moins irréprochable que nous l’aurions souhaité.
Le plus est l’ennemi du mieux
D’ailleurs, 9 Years of Shadows tend bien plus vers le « Metroid » que vers le « vania ». Alors certes, nous explorons différents environnements imbriqués les uns dans les autres avec divers passages nécessitant des capacités particulières pour êtres atteints. Néanmoins, il n’y a à côté de cela pour ainsi dire aucune évolution physique de notre personnage. En effet, il n’y a aucune montée de niveau particulière ou même statistiques d’attaque ou de défense par exemple. Notre puissance restera pour ainsi dire identique du début à la fin, à un renforcement d’armure près.
Cela ne nous empêche toutefois pas de récolter au gré de notre exploration de (très) nombreuses capacités. Sans doute même trop. Globalement, l’univers que l’on est amené à visiter n’est pas très grand ni très complexe, surtout quand on le compare aux autres jeux du même genre.
On pourrait d’ailleurs estimer que c’est plutôt une bonne chose d’avoir tant de possibilités dans un titre aussi condensé. Néanmoins, ce n’est pas vraiment ce que nous avons ressenti. La plupart des zones s’explorent en très peu de temps et les capacités qu’on y a trouvées n’ont jamais vraiment le temps d’être exploitées.
On a en effet eu l’impression que le but était simplement d’en ajouter le plus possible, au gré des idées des développeurs, mais que ces capacités n’étaient encore qu’au stade du prototype. Aucune énigme, aucune exploitation réelle. 9 Years of Shadows est un titre qui cherche à bloquer notre progression artificiellement pour ajouter moult pouvoirs alors qu’il est paradoxalement l’un des titres les plus linéaires du genre, la solution à un accès fermé (interrupteur ou pouvoir) étant généralement situé quelques pièces à côté.
Et hélas, même quand on se plonge plus concrètement dans le gameplay, on s’aperçoit rapidement que, malgré quelques belles idées, on est assez loin du compte. Telle Seiya, Europa dispose de plusieurs armures élémentaires permettant d’explorer à sa guise des lieux autrement hostiles (une armure aquatique pour pouvoir marcher sous l’eau par exemple). Celles-ci permettent aussi d’outrepasser l’armure de certains adversaires (une couleur étant associée à chaque élément).
Mais n’y voyez pas là une certaine variété, car au-delà du fait que les attaques restent très similaires, le titre ne dispose que d’une poignée d’ennemis différents qui finissent par ne revêtir plus aucun intérêt après quelques rencontres (la faute aussi au fait que les combattre ne nous apporte finalement rien).
N’espérez d’ailleurs pas grand-chose de mieux du côté des boss. Alors effectivement, ils sont très nombreux et leurs designs sont régulièrement plutôt réussis, mais manette en main, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. On a eu l’impression que tout a été mis dans leur look, pour les rendre charismatiques ou originaux visuellement, mais que le temps a manqué pour les rendre ludiques.
Disposant de trois mouvements différents, dont souvent deux complètement téléphonés, ils ne présentent pour ainsi dire aucun intérêt et la plupart périssent dès la première rencontre. Et pourtant, ils s’enchaînent à un rythme effréné, notamment sur le dernier tiers du jeu, mais rien à faire, on a été plus souvent à pester devant un combat insipide et inintéressant qu’à y prendre un quelconque plaisir.
Une facilité d’ailleurs renforcée par l’un des éléments principaux des combats, à savoir son système de bouclier. Pour survivre, Europa ne dispose (initialement) que de deux points de vie. Pour nous protéger néanmoins, nous bénéficions d’un bouclier, symbolisé par une jauge qui se vide à chaque fois que nous nous voyons infliger un dégât ou que nous utilisons un sort d’Apino.
Une fois vide, nous devenons vulnérables et devons alors, d’une simple pression sur la touche adéquate, le recharger. Ainsi, avec un minimum de prudence et/ou le bon réflexe (la jauge pouvant être rechargée presque instantanément grâce à un système de chargement rapide typique des FPS), nous sommes virtuellement immortels et pouvons donc combattre n’importe quel adversaire sans finesse.
100 000 euros, c’est une somme pour le commun des mortels que nous sommes. Mais à l’échelle du jeu vidéo, ce n’est pas grand-chose et Halberd Studios, à travers son 9 Years of Shadows, nous en fait là l’amère démonstration. Les développeurs sont pourtant bourrés de talents et nous ont proposé là une expérience à la direction artistique particulièrement réussie et aux concepts, sur le papier, intéressants, comme ce système de bouclier.
Hélas, nous avons constaté au fil de notre exploration que le studio a manqué de temps et de moyens pour véritablement peaufiner 9 Years of Shadows. Ainsi, nous avions l’impression d’éprouver des concepts mal dégrossis qui auraient pu rendre l’aventure originale et mémorable, mais qui, en l’état, lui ont conféré une impression de brouillon pas toujours très agréable.
Les bases restaient néanmoins intéressantes et on ne peut pas dire qu’on ait passé un mauvais moment sur ce 9 Years of Shadows. Pour un premier projet, on pourrait même estimer que le studio s’en est plutôt bien sorti et que leur prochain titre pourrait être plus abouti sur bien des points.
En tout cas, ils auront des moyens plus proches de leurs ambitions puisque leur nouveau Kickstarter (dont la campagne prendra fin le 7 décembre prochain), Mariachi Legends, a déjà récolté deux fois plus de fonds, à douze jours de son terme. De bon augure pour la suite ?