Novembre 2018 et plus précisément le 14 novembre 2018 fut une date importante. Ce jour béni a signé le centenaire de l’armistice de la Première Guerre Mondiale. Après 4 ans de massacre (plus de 18,6 millions de morts), les cloches et les clairons raisonnèrent aux quatre coins de la France pour annoncer la fin des hostilités. L’Alliance a vaincu, l’Allemagne s’est rendu. Le format du jeu vidéo se détache de plus en plus de sa fonction première, celle de divertir par le jeu, pour se rapprocher vers quelque chose de plus culturel, de plus constructif.
Alors oui, on ne compte plus le nombre de jeu de guerre (des FPS principalement) prenant notre Histoire sanglante comme trame de fond, servant juste de prétexte pour tester les réflexes des joueurs. Mais depuis une poignée d’années, un autre type de jeu vidéo émerge. Celui-ci se sert du jeu vidéo pour raconter une histoire ou pour passer un message. Et c’est justement ce que fait 11-11 Memories Retold, il conte un troublant récit au cœur d’une guerre sanglante.
Comment ne pas mentionner le poignant Soldats Inconnus – Mémoires de la Grande Guerre dans ce contexte ? On ne peut pas, ce dernier a littéralement créer une brèche prouvant que le jeu vidéo peut être plus qu’un banal passe-temps et peut même devenir vecteur d’informations et de sensibilisation. Yoan Fanise, le français derrière les deux titres, l’a très bien compris.
11-11 Memories Retold suit le pas et propose une aventure mêlant drame et espoir sur fond de la Grande Guerre. Il est toujours difficile de s’attaquer à des pans sensibles de l’Histoire, surtout quand on adopte un ton sérieux. Le pari est-il réussi ? Préparez votre barda, on part tout de suite pour le champ de bataille.
« Ces garçons étaient tous les fils de quelqu’un. »
Il est vrai que dans toutes les retranscriptions plus ou moins fidèles des Guerres Mondiales, les allemands sont toujours pointés du doigt, se réduisant simplement au rôle de l’ennemi, et rien de plus. 11-11 Memories Retold évite ce raccourci de plus en plus déconcertant et opte pour une double narration. Le titre conte le récit de deux hommes au vie si différente mais au destin croisé.
D’un côté, nous avons Harry, un photographe canadien pris malgré lui dans la tourmente de la guerre. De l’autre, Kurt, ouvrier allemand qui s’est volontairement engagé dans l’espoir de retrouver son fils disparu au front. Deux histoires tragiques que le destin va unir pour prôner l’espoir et le respect. 11-11 Memories Retold brille par sa narration, tout est fait pour nous immerger dans une histoire tragique. À commencer par les voix des protagonistes signées Elijah Wood et Sebastian Koch. Les événements sont portés par ces voix et le résultat est plus que réussi. On écoute. On découvre. On apprend.
De plus, et c’est la première chose qu’on remarque d’ailleurs, le jeu affiche un style graphique des plus atypiques. En effet, les graphismes sont sous forme d’aquarelle au style impressionniste, un parti pris assez troublant dans les premières minutes de jeu. Mais il suffira d’une petite heure pour s’apercevoir du potentiel de ce choix et de la beauté des tableaux. Digixart et Aardman Studios ont réalisé un travail exemplaire sur ce côté brouillon qui colle parfaitement à l’ambiance de guerre.
Deux histoires, deux visions, une guerre
On suit donc l’histoire de deux soldats « ennemis » qui vont malgré tout se lier d’amitié dans de surprenantes circonstances. Pourtant, tout les opposait, à commencer par leur uniforme. De là, leur relation exceptionnel guidera leurs pas à travers la guerre, et surtout elle changera leur vision des choses.
Et c’est là précisément où 11-11 Memories Retold souhaite nous mener : conter une histoire d’humains et d’amitié impossible, une fable où l’espoir est permis même dans les pires moments, même quand tout semble perdu. La guerre est une toile de fond mais elle n’est pas le sujet principal. On parle bien des êtres vivants derrière les uniformes, pas uniquement des soldats. Alors oui, il y a des pertes, il y a des pleurs mais la beauté globale du jeu nous fait sourire plus qu’autre chose. La narration est encore une fois l’un des points fort du jeu.
Il va sans dire qu’il ne faut pas s’attendre à un gameplay fourni. 11-11 Memories Retold affiche le strict minimum de ce côté. On se déplace à la troisième personne dans un cadre assez limité, le jeu se veut très linéaire. Le peu d’exploration possible permettra de récupérer les collectibles. Pour diversifier le tout, les développeurs ont eu l’idée d’incorporer deux autres « petits » personnages : un pigeon (pour Harry) et une chatte (pour Kurt). Il sera ainsi possible d’atteindre des endroits inaccessibles, de détourner l’attention des gardes ou bien dans la plupart des cas d’amuser la galerie.
Dans certains niveaux, on pourra jongler entre les personnages pour se frayer un chemin et atteindre son objectif. Kurt ouvre la porte avec une manivelle pendant qu’Harry pousse un wagon par exemple. Encore une fois, n’attendez aucune difficulté, 11-11 Memories Retold vous prend par la main tout du long pour vous conter sa plus belle histoire, rien de plus.
La paix avant tout
Autre point marquant, le jeu ne vous expose que très peu (voire pas du tout) à des images frontales de la guerre. Volonté de la part des développeurs, ils estiment que la violence graphique minimiserait le message et la poésie qui en découle. Ainsi, on n’y voit ni sang, ni atrocités de la guerre.
Un choix respectable mais qui dérange à certains passages. Cela dérange car on se dit que c’est un choix facile. Alors attention, on ne dit pas qu’il faut obligatoirement montrer toute la violence des faits mais étant donné la gravité de la situation, c’est malheureusement incontournable. Surtout qu’il s’agit d’un jeu qui prend le temps de bien planter le décor.
On a le sentiment d’effleurer le sujet comme la vie dans les tranchées ou les camps de prisonniers et à plusieurs reprises, on se dira « ça m’étonnerait que ça se soit passé exactement comme ça… ». Encore une fois, on ne dit pas qu’on souhaite voir absolument des tonnes de morts à l’écran mais quand on traite d’un sujet aussi grave que la Grande Guerre, alors il faut user d’un ton millimétré.
Parlons bien parlons musique car même si on retiendra principalement 11-11 Memories Retold pour son aspect graphique, la musique n’est pas en reste. L’OST signée Olivier Derivière (qui nous avait déjà tapé dans l’oreille avec Vampyr) accompagne adroitement le récit et nous livre des morceaux d’une rare justesse.
Le récit est assez long, comptez environ 7-8 heures de jeu pour l’histoire principale, un peu plus si vous souhaitez tout récupérer et tout voir. Car oui, les choix effectués ont un impact sur le cheminement du jeu et surtout sur sa fin, mais seulement en apparence. En réalité, et il est triste à dire que l’ensemble des décisions prises au cours de l’aventure n’ont strictement aucun impact sur le dénouement final du jeu. Les choix sont de la poudre aux yeux, et seul le dernier déterminera le point final de l’épopée.
Malheureusement, 11-11 Memories Retold n’échappe pas à quelques facilités d’écriture qui viendront brouiller l’expérience de jeu. L’histoire reste prenante et sincère mais certaines péripéties sont un peu tirées par les cheveux et on suivra les événements finaux en grinçant des dents.
Malgré des faux pas non-négligeables dans son écriture, un ton jugé trop léger et un final plus que mal mené, 11-11 Memories Retold réussit tant bien que mal à livrer sa mission, à savoir transmettre des émotions à travers un récit, le tout porté par une bande-son sincère (mention spéciale au thème du chat) et un style graphique des plus originaux.
Mais surtout 11-11 Memories Retold enfonce le clou sur l’utilité narrative et pédagogique qu’ont les jeux vidéo. Alors continuez à créer, continuez à raconter, à expliquer, on ne demande que ça. Pour approfondir le sujet de la représentation de la guerre dans le jeu vidéo, on vous invite à consulter le passionnant article du Monde – Un jeu vidéo peut-il montrer l’horreur de la Grande Guerre ?