Voilà déjà onze ans que le jeu de combat Skullgirls est sorti du studio Reverge Labs, acquérant une certaine popularité grâce à son ton décomplexé. Comme la majorité des titres en ligne, il a connu son lot de mises à jour au fil du temps, ce qui lui a permis de rester pertinent auprès de sa communauté. Cependant, il y a quelques semaines, il a intégré un patch bien particulier, qui n’est pas du goût de tous les joueurs. En effet, les développeurs ont décidé de revoir leur copie, en supprimant de Skullgirls le contenu jugé trop offensant.
En l’occurrence, cette mise à jour vise essentiellement à réduire la sexualisation des personnages féminins (notamment d’une jeune fille mineure) ainsi qu’à supprimer l’iconographie nazie et des références jugées racistes. En somme, que des choix bien respectables, puisque depuis 2012, les débats sur le sexisme, le harcèlement et toutes les formes d’oppression ont pris de l’ampleur, tandis que les mentalités commencent péniblement à évoluer, dans l’industrie du jeu vidéo comme ailleurs. L’équipe derrière Skullgirls fait ainsi la démonstration de sa capacité à remettre sa création en question.
Bien sûr, cette décision n’a pas fait l’unanimité, et des joueurs mécontents ont décidé de le faire savoir sur Steam, arrosant la page du magasin de critiques négatives en criant à la censure. Certains s’insurgent de voir le contenu pour lequel ils ont payé être modifié, estimant qu’il est absurde de revenir sur un jeu sorti il y a plus de dix ans. Si l’on a désormais l’habitude d’assister au review bombing rituel des œuvres qui osent se montrer progressistes, le cas de Skullgirls soulève une question intéressante : à l’heure où la plupart des jeux peuvent être patchés, la responsabilité du studio et de l’éditeur vis-à-vis du contenu éditorial s’arrête-t-elle au moment de la publication ?
Bien sûr, nous n’en sommes pas au point où l’opinion publique attend que chaque œuvre soit révisée pour refléter les progrès sociaux faits entretemps, ce qui constituerait un tout autre débat. Par contre, lorsqu’un jeu, un film ou une série fait l’objet d’un remake, il paraît tout à fait naturel que celui-ci en tienne compte (n’en déplaise à certains). Alors, dans le cas d’un jeu en ligne qui entend maintenir une communauté active, pourquoi ne devrait-il pas en être de même ? D’autant plus qu’on apprend également que Skullgirls s’apprête enfin à faire son arrivée sur Xbox One et Series X/S, revenant de fait dans l’actualité.
Il faut par ailleurs noter qu’en 2020, Lab Zero Games, le studio qui avait pris la main sur Skullgirls à partir de 2014, a souffert d’une polémique liée à Mike Zaimont, le principal designer du jeu, qui a été accusé de harcèlement sexuel et de racisme, en plus d’une attitude globalement toxique. Suite à cela, le titre était passé sous la houlette de Hidden Variable Studios, qui s’était déjà chargé de l’adaptation sur mobile. Ainsi, cette mise à jour est peut-être aussi l’occasion de se laver du stigmate laissé par cette affaire peu reluisante.
Je trouve que cette auto-censure du média, et de la société de manière générale, devient de plus en plus problématique d’un point de vue artistique et libertaire. Le jeu est sorti depuis des années, jusque là, ça ne posait de problème à personne et aujourd’hui, soudainement, il faudrait laver ce jeu impie de ses impuretés inacceptables ? l’hypocrisie a ses limites.
Hypocrisie encore plus frappante quand on regarde de plus près les éléments qui ont été ajustés. Une culotte blanche passée en noir, un symbole de croix rouge (sur le chapeau d’une infirmière) changé en étoile… on est à ce niveau
Quant à l’imagerie nazie, il s’agissait de brassards rouges ornés d’un parapluie au bras de militaires. Alors oui, ca fait évidemment référence à cette période de l’histoire, mais, au delà du fait que je doute qu’un brassard puisse intoxiquer la jeunesse qui joue à Skullgirls, ca ne me parait pas vraiment pertinent de cacher ça sous un tapis.
Quelle sera la prochaine étape ? supprimer les nazis dans Indiana Jones, interdire Inglorious Bastard, conspuer la liste de Schindler ? Ca semble extrême sur le papier, mais on en est quasiment là.
Sauf que c’est comparer deux choses qui n’ont rien à voir, voire qui sont radicalement opposées : à aucun moment dans La Liste de Schindler les nazis ne sont là pour donner un côté « fun » ou subversif. Bizarrement, on ne retrouve pas souvent ce traitement avec le Angkar ou le franquisme… On ne peut pas nier qu’il demeure une certaine glamourisation du nazisme à travers son iconographie, qui est jugée « classe » à sa manière. Dans un pan non-négligeable de la fiction, le gradé nazi est devenu un archétype de méchant charismatique, et c’est ça qui est problématique, en plus d’être irrespectueux pour les victimes.
Par ailleurs, comme tu le fais justement remarquer, concernant Skullgirls ce sont des modifications très mineures qui n’affectent en rien l’expérience de jeu. Ce qui est inquiétant, en revanche, c’est la violence de la réaction en conséquence. Défendre les culottes blanches et les brassards rouges, c’est tout de même un étrange choix de colline sur laquelle mourir… A ma connaissance, aucun remake ne s’est jamais fait review bomber pour avoir osé changer la coupe de cheveux du personnage masculin ou avoir redesigné un monstre. La réaction épidermique qu’on lit dans certains commentaires (sur ce jeu comme d’autres d’ailleurs) révèle donc bel et bien que ce qui dérange leurs auteurs, c’est qu’on remette en question leur liberté d’objectifier les personnages féminins à leur guise.
Après, quand on voit la véhémence de la levée de boucliers pour des modifications somme toute superficielles, je pense que c’est parce qu’en définitive certains le perçoivent comme une accusation personnelle. D’une certaine manière, reconnaître le problème de ces représentations, cela revient à insinuer que ceux qui ne le percevaient pas devraient se remettre en question. Donc, même si ce n’est pas le but, ça braque forcément des gens. Mais de là à aller faire étalage publiquement et en masse de son réactionnisme dans les reviews Steam… ça me dépassera toujours.
Je reste en total désaccord. Je n’y vois aucune « glamourisation » de l’idéologie Nazie. Ma question sur « la prochaine étape » n’est pas innocente. Tout est susceptible de choquer tout le monde, faut il alors supprimer tout ce qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, déranger / choquer un groupe de personne ? Je comprend totalement le levée de bouclier, quand bien même les modifications ne sont qu’esthétique, c’est aussi un questionnement sur le type de société dans lequel on veut vivre.
Encore une fois, en aucune façon cacher de éléments qui évoque plus ou moins maladroitement des signes nazis ne sont une validation ou même le signe d’une appréciation quelconque du mouvement. N’est-il pas là l’irrespect que tu évoques envers les victimes, en balayant sous le tapis ce qui ne plait pas. On se retrouve dans une société où on peut tranquillement commander Mein Kampf, mais montrer un brassard rouge avec un parapluie dessus, oula, faut censurer, ca risque de créer de nouveaux SS… (sachant qu’on parle de jeu vidéo, qui plus est indé, faut aussi doser).
Demain, l’évocation de militaires russe ou de Poutine sera aussi prohibée ?
Après, je te rejoins sur le review bombing, c’est globalement une pratique que je ne cautionne pas. Je ne pense pas que ce soit perçu comme une attaque personnelle, ca me parait etre un raccourcis, et pour le coup, le coté réactionnaire vient, de mon point de vue, du coté de la censure, quelle qu’elle soit.