Vous n’avez probablement pas pu passer à côté de ce phénomène international de l’édition qu’était Ready Player One, d’Ernest Cline, sorti en France en 2013 sous le titre Player One (pourquoi ne pas avoir garder « Ready Player One » ? Un de ces mystères insondables de la traduction…). Ne serait-ce que parce que Steven Spielberg en a tiré un film portant le même titre en 2018.
Le film de Spielberg était une collection de citations de tout ce qu’a connu la pop culture des années 80 et 90 – à commencer par les propres films de Spielberg –, mais le roman, lui, se concentrait surtout sur la « préhistoire » des jeux vidéo, les classiques des années 80. Si on n’échappait pas au détour d’un chapitre à un clin d’œil appuyé à tel ou tel groupe des 80s, ou à une référence au cinéma de l’époque, c’était vraiment autour du jeu vidéo que tournait l’aventure.
Et outre l’originalité du thème, Ernest Cline se trouve être un puits de science en la matière (ou il a beaucoup travaillé pour le livre, mais peu importe, le résultat est le même). C’était donc un vrai plaisir que de découvrir les anecdotes qui entourent les grands pionniers du jeu vidéo, et de (re)découvrir ces titres qui n’ont pas encore droit au traitement qu’on offre à l’histoire de la littérature ou du cinéma. Ces qualités d’archiviste venaient largement compenser un style et finalement une histoire un peu passe-partout.
On avait retrouvé Ernest Cline dans Armada, une pâle copie sans ambition ni surprise du scénario du film The Last Starfighter (Nick Castle, 1984). Cline avait voulu rester dans le confort de ce qui avait fait le succès de Ready Player One : un contexte nerd (jeu vidéo, cinéma de genre, etc.), et un roman basé sur le name dropping, et le résultat, attendu, fut une belle déception.
Insert coin
C’est donc avec beaucoup de précautions qu’on a ouvert Ready Player Two, la suite, évidemment, de Ready Player One. Wade/Parzival a remporté la chasse au trésor, et est désormais à la tête de l’entreprise qui gère l’OASIS, cette simulation en VR bigger than life. Devenu plus riche qu’un Jeff Bezos qui aurait épousé Elon Musk, et aussi puissant qu’un dieu dans l’OASIS, Wade s’emm#rde (nous aussi, un peu, du coup...). S’il ne le fait pas dans le bouquin, Cline aurait pu évoquer la situation de Notch, le créateur de Minecraft, et son ennui permanent après qu’il est devenu riche en revendant Mojang à Microsoft…
Heureusement, on apprend après 150 pages qui trainent en longueur que le créateur de l’OASIS, James Halliday (aucun lien), avait laissé une dernière énigme pour son héritier (« dernière », en tout cas jusqu’à un éventuel, mais peu souhaitable, Ready Player Three…) : réunir les sept éclats d’âme de la Sirène (oui, ça rappelle furieusement le premier bouquin). Et ce n’est pas tout, puisqu’en fouillant les bureaux dont il est le nouveau propriétaire, Wade trouvera également un nouveau casque VR révolutionnaire qui se connecte directement au cerveau, permettant non seulement de voir le monde en VR, mais aussi de le sentir.
Grâce à ce nouveau dispositif baptisé ONI, on vit effectivement les expériences simulées. Ce dispositif changera vraiment le monde, mais dans le roman, OSEF un petit peu, on traite ça en quelques lignes et on se concentre sur la quête des éclats… Jusqu’à ce que les utilisateurs de l’ONI se retrouvent prisonniers de leur dispositif, puisqu’une méchante intelligence artificielle veut obliger Wade à réunir pour elle les fameux sept éclats, retenant ainsi en otage tous les joueurs équipés d’ONI. Vous avez dit Sword Art Online ? Carrément. L’anime est d’ailleurs cité dans le roman, ce qui n’excuse pas le manque d’originalité.
Remake ? Remaster ? Demake ?
S’en suivra une série d’épreuves, comme dans le premier épisode, durant lesquelles Wade et ses amis devront venir à bout d’énigmes retorses et hyper référencées mises en place par Halliday. Cette fois, Cline sort un peu du milieu du jeu vidéo, ne consacrant qu’une seule petite partie de l’aventure à SEGA Ninja (1985). Et vu comme c’est traité, finalement, on se dit « heureusement ». Cline s’échine en effet à nous décrire chaque niveau du jeu d’arcade, leurs décors, leurs ennemis, nous offrant alors un passage aussi peu littéraire que passionnant. Une tentative de faire un « let’s play » à l’écrit, peut-être ? Dans tous les cas, un exercice à ne pas reproduire. Pas comme ça ! Pour le reste, on s’attardera sur le cinéma de John Hughes (La Folle Journée de Ferris Bueller, Une créature de rêve, entre autres), la musique de Prince, ou le Silmarillion, l’œuvre inachevée de Tolkien.
Cline connaît ses classiques, et le bouquin est rempli d’anecdotes. Mais voilà : les anecdotes, ça ne fait pas tenir un roman. Le scénario n’est absolument pas crédible, truffé de raccourcis et autres Deus Ex Machina un peu trop pratiques, et l’auteur passe complètement à côté des enjeux qu’il met en place… Comme l’ONI, cette machine révolutionnaire qui, dans le roman, changera le monde ; mais de ces changements, on n’en fera rien, ne leur consacrant qu’une poignée de paragraphes. Sans trop dévoiler la fin, il y sera question de transhumanisme, et d’une certaine immortalité… Rien que ça ! Mais là encore, l’auteur traitera tout cela sur le ton de l’anecdote, qui décidément pollue son récit.
Le bouquin donne la sensation d’avoir été construit à l’envers, et plutôt que d’avoir placé des anecdotes au sein d’un récit d’aventure, on a la sensation que l’aventure s’est écrite autour des fun facts que l’auteur voulait raconter. Il se dit qu’un Ready Player Zero, prequel du premier roman, serait déjà en préparation. Sans promettre dès aujourd’hui qu’on ne le lira pas, on peut au moins affirmer qu’on ne l’attend pas avec impatience…
Ready Player Two est disponible en anglais uniquement, chez Ballantine Books, et s’échange contre un peu moins d’une quinzaine d’euros. Une traduction française chez Michel Lafon est attendue (enfin, « attendue », c’est vite dit) pour le 10 juin prochain.
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