Dans la série « le saviez-vous ?», Parasite Eve, le classique PlayStation, est tiré d’un roman ! C’est au hasard de recherches sur un autre titre qu’on découvre que le jeu de Squaresoft (devenu depuis Square Enix) n’était pas tout à fait une œuvre originale. Ce n’est pourtant pas si étonnant, finalement, quand on se souvient à quel point la composante narrative est importante dans le jeu.
Notre curiosité piquée, nous nous mettons en quête de l’ouvrage. Le roman n’a hélas jamais été traduit en français, qui plus est, l’édition américaine, la seule à la portée de celui qui ne maîtriserait pas la langue de Takeshi Kitano, est devenue assez rare et chère (s’échangeant autour de 80€ sur les sites qui proposent des livres d’occasion), surement en partie à cause de l’aura de culte qui entoure le jeu.
Nous mettrons finalement la main sur une copie. Alors ? L’œuvre originale est-elle à la hauteur de la réputation de son adaptation ?
Parasite Eve – L’origine du mythe
Parasite Eve est un roman japonais de 1995, écrit par Hideaki Sena et publié par Kadokawa, vieille maison nippone qui donne aussi dans la presse, le cinéma, la musique, et… le jeu vidéo ! La traduction que nous avons pu consulter est de Tyran Grillo et a été publiée pour la première fois en 2005 (Oui, le traducteur de Parasite Eve porte le nom d’un méchant de Resident Evil. Coïncidence…?!).
Le roman est une variation sur le thème classique du savant fou, à l’instar du Frankenstein de Mary Shelley, ou de l’Île du Dr Moreau de H.G. Wells. Si vous avez joué au titre de Squaresoft, l’histoire n’a probablement plus de secret pour vous. Nous nous permettrons donc de l’évoquer ici sans trop prendre garde aux spoilers (vous voilà prévenus).
Parasite Eve, le roman, commence par un accident de voiture dans lequel Kiyomi trouve la mort. Cette dernière s’était justement, et de manière un peu trop opportune, enregistrée comme donneuse d’organes quelques jours auparavant. La situation a peut-être évolué depuis l’écriture du livre, mais on comprend à la lecture du roman que le don d’organes n’est (n’était ?) pas quelque chose d’aussi accepté que chez nous au Japon. On entendra en effet l’un des collègue de son mari tenir ce discours :
« In other countries, they take organs from dead bodies and transplant them into the living. That’s just barbaric if you ask. Then again, we handle everything much more delicately here in Japan. »
Cette décision avait ainsi mis le mari de Kiyomi, Toshiaki, assez mal à l’aise.
Toshiaki, justement, est un scientifique, un chercheur en biologie. Il acceptera bon an, mal an de laisser les médecins transplanter les reins de son épouse décédée contre un service de la part du chirurgien : que ce dernier pratique une biopsie du foie de Kiyomi, et qu’il lui remette les cellules prélevées.
Cette idée lui a bien sûr été soufflée, on le comprendra plus tard. Mais pour lui, au départ, garder ces cellules en vie n’est qu’une manière de refuser la mort de Kiyomi. Cependant, à mieux l’observer, Toshiaki s’apercevra vite que cette culture de cellules, qu’il baptisera Eve, renferme un parasite qui leur confère des propriétés inédites.
Parallèlement, on suit le cas de Mariko, qui a reçu la greffe du rein de Kiyomi. Bien entendu, le même parasite est présent dans l’organe, et le destin de la jeune Mariko sera lié aux expériences de Toshiaki. Et tous deux donneront bientôt naissance à une créature dangereuse pour la survie même de l’humanité toute entière.
Cette histoire, vous l’avez peut-être entendue dans Parasite Eve, le jeu, puisqu’elle est rapidement racontée à Aya, l’héroïne, par Maeda, le scientifique japonais qui fait le lien entre roman et jeu.
Car le titre PlayStation n’est pas une transcription du roman, mais plutôt une suite. Les événements du jeu ont ainsi lieu quelques années après ceux du roman. L’histoire sort aussi du Japon pour être transposée à New York.
Autre différence de taille : Parasite Eve, en dehors des phases de narration, est essentiellement un jeu d’action. Il y a bien des couloirs à explorer, jamais trop complexes, et des objets à remettre en place, mais tout cela est tellement évident qu’on peut difficilement parler d’énigmes. Pour le reste, il s’agira surtout de combattre le bestiaire de mutants. Le roman, lui, n’est pas un roman d’action, au contraire. Comme observant une expérience derrière une vitre, on y suit la lente et à priori inévitable évolution d’Eve dans le labo de Toshiaki, en même temps que, via de nombreux flashbacks, on découvre ses véritables origines.
C’est le coup de génie d’avoir fait de ce Parasite Eve un jeu vidéo : le lecteur passif, impuissant, qui assiste à la naissance d’une catastrophe, devient joueur, acteur de cette aventure, dont il espère pouvoir infléchir l’issue !
On a cité Frankenstein comme évidente source du roman. On pourrait parler également de l’œuvre de David Cronenberg, et de son obsession de l’organique. Un peu comme dans un épisode d’Urgences, les pages du livre sont pleines de détails scientifiques qui viennent crédibiliser l’histoire. Il faut dire que son auteur, Hideaki Sena, est Docteur en pharmacologie. Ce qui peut rendre la lecture par moment un peu âpre :
« When fats and sugars are drawn into the cell, they undergo a conversion process and are changed into acetyl-CoA in mitochondria. There, the citric acid cycle leads to the formation of adenosine triphosphate, ar ATP. It’s the ATP that the body uses in various ways as energy. »
On doit aussi citer Ring, le roman japonais de Koji Suzuki à l’origine du film culte, sorti en 1991, à côté duquel Parasite Eve participa à la construction de ce grand mouvement appelé « J-horror » que nous avons découvert, surtout au cinéma, de la fin des années 90 au début des années 2000 (citons pêle-mêle Audition, de Takashi Miike ; le génial Suicide Club ; Versus, de Ryuhey Kitamura ; One Missed Call, de Miike encore ; Dark Water, de Hideo Nakata ou encore Ju-On, de Takashi Shimizu, devenu The Grudge à Hollywood…). Parasite Eve lui-même est devenu un film en 1997, soit un an avant l’adaptation en jeu.
L’horreur est présente de manière exponentielle dans le livre, avec une apogée plutôt gore dans le dernier acte. La peur, également, s’insinue doucement dans le récit, surtout autour du sort réservé à la jeune Mariko, qui elle aussi connait de plus en plus la peur à mesure que le récit progresse. De nombreux symboles se dissimulent aussi dans le texte. On lira ainsi, vers la fin de la première partie :
« The Pharmaceuticals building rose into an evening sky tinted in navy blue. Atop a hill just a few miles away a television tower radiated color like a brocade, and the light was illuminating the very heavens. The digital clock in the dashboard read 7:54. »
Si le paradis est littéralement évoqué dans la métaphore qui décrit le ciel ce soir-là, l’heure pourrait renvoyer à la Bible, et notamment aux Actes du Nouveau Testament. 7:54 renverrait ainsi au personnage d’Etienne, et au moment où il aperçoit Dieu avant de mourir, lapidé pour blasphème. Etienne devint ainsi le premier martyre du récit, lui qui sera qualifié plus tard de thaumaturge, faiseur de miracle. Autant de liens qu’on peut faire avec Toshiaki, blasphémateur démiurge ayant créé une créature supérieure à l’homme, à la puissance proche de celle d’un dieu, mais martyre manipulé par des puissances qui le dépassent. On peut remarquer aussi que le personnage biblique Etienne est célébré par les catholiques le 26 décembre, 1 jour après Noël, quand Eve est nommée ainsi parce que Kiyomi est née un 24 décembre (Christmas Eve en anglais), 1 jour avant Noël ; Etienne, et donc Toshiaki, comme un anti-Eve…
Sans pousser trop loin l’analyse du texte, on voit que Parasite Eve a plus à offrir qu’une bête histoire de monstres pour qui se donnerait la peine de lire un peu entre les lignes.
C’est à la fois le premier roman et le plus grand succès de son auteur, Hideaki Sena, qui avait obtenu pour Parasite Eve le tout premier Japan Horror Novel Award. Il continue à écrire et a depuis publié une quinzaine d’ouvrages ; il a également remporté un peu plus tard le Nihon SF Taisho Award pour Brain Valley (également inédit en français).
Sans être indispensable, la lecture de Parasite Eve se révèle plaisante, on a peu l’habitude de lire ce genre d’histoires. D’abord parce que les « pulps » japonais sont peu traduits, aussi parce que le côté très scientifique, clinique, de Parasite Eve le rend un peu particulier, et enfin parce que c’est un roman plus profond qu’on ne l’imagine en lisant le 4ème de couverture. Bien sûr, le livre a quelques défauts, notamment concernant le caractère d’Eve, probablement trop humaine par certains aspects, mais cette lecture vaut aujourd’hui surtout comme « origin story » du jeu de culte de Squaresoft.
Il est amusant de constater que le roman a été victime de l’évolution et de la menace qu’il décrivait. Le jeu vidéo, tel les mitochondries, s’est ainsi nourri de l’œuvre littéraire, pour muter en un objet bien plus puissant qui deviendra culte, jusqu’à phagocyter complètement le texte de Hideaki Sena. Le nom de l’auteur n’apparaît même pas au démarrage d’une partie de Parasite Eve !
Le jeu connaîtra une adaptation en manga, Parasite Eve DIVA, une suite sur PlayStation (Parasite Eve II), et un spin off sur PSP : The 3rd Birthday, et de nombreux joueurs attendent et réclament un retour de la licence sur les machines actuelles. Après la réussite Resident Evil 2, tous les espoirs sont permis, d’autant que la marque Parasite Eve a été redéposée en Europe par Square Enix à la fin de l’année dernière…