Palworld, vendu comme un jeu mêlant « Pokémon et pistolets », reçoit un succès sans précédent depuis sa sortie ce 19 janvier. On parle de plus d’un million de joueurs simultanés sur Steam et de plus de 3 millions de copies vendues en moins de 48 heures. Pourtant, pour le studio derrière le titre, PocketPair, peut-être aurait-il fallu rester discret : il semblerait qu’il ne soit pas sans reproches.
Avec un tel succès, il est évident que le titre ne puisse pas faire l’unanimité. Simple affaire de goût ? Pas forcément. La polémique part d’un constat simple : le jeu ne semble pas seulement « s’inspirer » de Pokémon. Ce n’est pas un nouveau débat. Déjà lors de la sortie des bandes-annonces, les fans de la licence de Nintendo avaient remarqué les nombreuses similitudes entre les créatures des deux jeux.
Avec la diffusion du roster de créatures complet, la polémique a pris de l’ampleur : PocketPair n’est plus accusé de s’être inspiré de Pokémon – quelque chose qu’on ne peut pas vraiment condamner –, mais d’avoir utilisé des assets du jeu et d’être allé jusqu’à plagier certains designs imaginés par des artistes indépendants prévus pour des jeux de fans.
De fait, il s’agit seulement d’allégations : bien que certaines parties des créatures de Palworld semblent effectivement très proches des modèles de Pokémon, il n’y a eu aucun choc entre PocketPair et Nintendo – encore moins d’annonce liée à un quelconque procès. Cela ne lave pas PocketPair de tout soupçon : de fait, lorsqu’on y regarde de plus près, les similitudes restent assez accablantes, et cela en devient même un défaut du titre si l’on se place d’un point de vue plus pragmatique.
De par les inspirations multiples que le titre traîne derrière lui, il est certain que l’esthétique qui en ressort paraît brouillonne, mélangeant des designs de créatures très stylisées dans un univers ultra-réaliste, avec des menus semblant tout droit tirés du jeu Ark Survival (une autre influence majeure du titre).
Si cela aide au décalage « Pokémon avec des pistolets », il est peu certain que cela ne fasse du jeu autre chose qu’un titre que l’on achète et teste une fois pour rire – avant de le poser pour se remettre à des jeux qui eux ont un réel objectif. Pire encore, cette esthétique déconstruite, sans cohérence, amène à la mémoire des critiques les plus acerbes les résultats d’Intelligences Artificielles Génératrices (dites GenAI).
Elles sont le gros sujet de discussion en ce moment. On les retrouve dans tous les domaines : images, sons, voix. Elles sont critiquées tant pour des raisons éthiques que légales : elles sont un argument des entreprises pour licencier ou maltraiter leurs employés, tout en étant construites à partir de données volées sur internet, souvent sous copyright.
Ce n’est pas surprenant que Palworld semble être construit de la même manière qu’une image générée par Intelligence Artificielle. Le président du studio, Takuro Mizobe, en est un fervent défenseur. Pire encore : sa position pro-IA est fondée sur l’usage de l’IA pour contourner et affaiblir le copyright :
En passant par un filtre IA, l’image qui en résulte est souvent moins spécifique, alors peut-être cela résoudra-t-il la question du copyright ? C’est surprenant de voir le monde aller dans cette direction. D’ici trente ans, il est possible que la perception du copyright par le grand public ait changé considérablement.
Une vision bien sombre donc, qui s’exprime dans les jeux du studio : spécifiquement, AI: Art Imposter est un jeu qui intègre un générateur d’images au cœur du jeu. Avec une telle vision des choses, il est facile d’imaginer, bien qu’il n’y ait aucune preuve, que l’IA ait eu un rôle à jouer dans la création de Palworld.
Ce qui est certain, lorsqu’on regarde les déclarations de Takuro Mizobe, c’est qu’à un moment ou à un autre, les développeurs, au vu de leur inexpérience et de leur rendement, ont dû prendre quelques raccourcis pour proposer Palworld : que ce soit avec l’aide d’une IA, ou bien à partir d’inspirations très prononcées tirées d’autres licences connues.
Ce qui pose question, c’est bien son succès ainsi que les réponses majoritaires aux critiques de ce qui entoure le jeu. Si certaines réactions sont bien entendu exagérées, Palworld est en effet un jeu avec certains éléments inquiétants quant à l’évolution d’une partie de l’industrie.
Pourtant, beaucoup de ces critiques ont été moquées, vues comme un point de vue réactionnaire en faveur de Nintendo, ratant ainsi le cœur du problème. Alors que nous sortons de grèves majeures afin de prémunir les acteurs et les scénaristes des dégâts que peuvent causer les intelligences artificielles, alors que des entreprises comme Square Enix, Wacom ou Wizards of the Coast se font épingler pour leur utilisation de l’IA dans leurs promotions, Palworld semble s’en sortir tranquillement.
Le succès de Palworld souligne que le jeu doit manifestement aligner des réussites : tant dans son game design que dans sa promotion qui utilise Pokémon, probablement l’une des licences les plus connues au monde actuellement régulièrement critiquée pour la qualité médiocre de ses jeux. Le joueur, qui n’est de plus en plus qu’un simple consommateur, va forcément être attiré par la comparaison.
Une comparaison qui ne tient d’ailleurs pas forcément la route, Palworld empruntant son gameplay à divers autres styles de jeu, mais qui donne un narratif en or à la promotion du titre. PocketPair a trouvé un narratif qui va offrir une défense de choix face aux critiques, légitimes, subies par Palworld tout en éclipsant les autres titres qui eux relèvent du jeu de monstres à collectionner.
Palworld et PocketPair font peur : aux artisans derrière les jeux, ceux qui voient leurs contrats diminuer à vue d’œil depuis que la GenAI est devenue performante. Car, dans ce succès, ils voient le peu de soutien qu’ils reçoivent en réalité, malgré de belles paroles. Car, en fin de compte, ce qui différencie la réaction du public face à Foamstars et Palworld, c’est bien que les joueurs ont eu envie de jouer à Palworld. Et que le plaisir du divertissement prend le pas sur les engagements éthiques.
Il s’agit d’une question de plus en plus courante dans le jeu vidéo : cela avait déjà été un sujet de conversation majeur lors de la sortie de Hogwarts Legacy, le choix de jouer ou non à un jeu peut parfois rejoindre un choix éthique. Les discussions autour de Palworld, en ce sens, semblent rater leur objectif : à se demander si les créatures de Palworld sont légales, on en vient à rater le questionnement éthique – le seul qui vaille pour l’instant face à l’IA, tant qu’il n’y aura pas de réelle loi décidée sur leur usage.
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