Rétro (mais pas trop), c’est la chronique qui rebondit sur l’actualité pour revenir en arrière et évoquer l’histoire d’un jeu vidéo, ou du jeu vidéo. À l’occasion des 30 ans de Rayman, nous replongeons dans les origines fascinantes de la création de la licence phare d’Ubisoft.
Il y a 30 ans de cela, en septembre 1995, la génération de consoles 32 bits démarre à peine. Dans le line-up de lancement de la PlayStation figure un jeu venu d’un studio français : Rayman. Né de l’imagination d’un jeune prodige de 17 ans et de choix techniques improbables, le héros sans bras ni jambes va très vite devenir culte. Depuis, la licence a fait du chemin et s’apprête à revenir sur le devant de la scène. Mais avant cela, replongeons dans ses origines fascinantes.
Le Créateur de Rayman
Il est impossible de parler de Rayman sans mentionner Michel Ancel, le créateur de génie du héros. Son histoire est aussi exceptionnelle que le personnage qu’il a façonné. En 1986, Ubisoft organise un concours auquel il participe. Il ne le remportera pas, mais son travail tape dans l’œil des frères Guillemot, les fondateurs du studio, qui l’invitent à Paris pour le rencontrer. Impressionnés, ils l’emmènent visiter le siège d’Ubisoft au château de Crécy, où le jeune Ancel démontre déjà ses talents en code et en animation, alors qu’il n’a que 14 ans. À partir de ce moment, il collabore régulièrement avec Ubisoft en tant que jeune contributeur. Deux ans plus tard, à seulement 16 ans, les frères Guillemot décident de l’embaucher officiellement, et Michel Ancel s’installe alors à Crécy pour travailler au sein du studio.
Malheureusement pour lui, le château n’est pas l’endroit idéal pour accueillir une équipe de développeurs : les coûts sont élevés et la main-d’œuvre manque. Ubisoft décide donc logiquement de déménager à Paris, plus précisément à Montreuil. Mais cet environnement urbain pèse tellement sur Michel Ancel qu’il choisit de quitter l’Île-de-France et Ubisoft par la même occasion pour revenir s’installer dans son berceau familial : Montpellier.
Conscients de l’importance grandissante de leur jeune employé, les frères Guillemot font tout pour ne pas perdre leur graphiste et prennent un pari osé : ouvrir une antenne du studio à Montpellier.
Les débuts du projet
Avec cette opportunité, Michel Ancel comprend la valeur que les frères Guillemot lui accordent. Les dirigeants d’Ubisoft lui confient alors les rênes d’un tout nouveau projet : un jeu de plateforme pour le SNES CD-ROM, le lecteur de CD que Nintendo préparait avec Sony. Le jeune homme a carte blanche et se lance avec enthousiasme dans cette aventure. Aux côtés de son collègue Frédéric Houde, il commence à poser les bases du jeu. L’histoire devait mettre en scène un garçon de 11 ans, Jimmy, qui plonge dans un monde virtuel qu’il a lui-même créé, baptisé Hereitscool. Le jeu proposait même un mode coopératif à deux joueurs.
Pour construire son univers, Michel Ancel s’inspire des dessins-animés de son enfance : les œuvres de Tex Avery, maître du burlesque et créateur de gags visuels avec des personnages comme Bugs Bunny ou Daffy Duck. Il se souvient alors d’un croquis qu’il avait dessiné dans sa jeunesse et décide de le reprendre comme base. Mais deux problèmes se posent. D’abord, soucieux de créer une animation de qualité, il se rend compte qu’il a beaucoup de mal à animer le personnage avec la fluidité qu’il souhaite. Ensuite, les ressources nécessaires pour gérer un héros aussi détaillé s’avèrent bien trop lourdes pour la Super Nintendo. La solution viendra d’un choix aussi pragmatique que génial : lui retirer ses bras et ses jambes. Ainsi naît le personnage de Rayman, à la fois plus simple à animer et immédiatement reconnaissable.
« Comme j’avais envie d’un personnage capable de courir, nager et s’agiter dans tous les sens, je l’ai dessiné sans bras ni jambes, ce qui le rend plus facile à mettre en scène »
Le projet est gourmand et nécessite l’utilisation de la future extension de la Super Nintendo : le SNES-CD. Malheureusement pour l’équipe, Nintendo décide d’abandonner ce périphérique, ce qui rend impossible la sortie de Rayman sur la console 16 bits. Heureusement, à la même époque, la nouvelle génération de machines s’apprête à envahir le marché. Le développement repart de plus belle, avec des contraintes techniques revues à la hausse, qui permettent au jeu de devenir bien plus ambitieux graphiquement.
Le projet repart de zéro, ce qui donne à l’équipe l’occasion de revenir à l’idée initiale : utiliser de la 3D pour les personnages. Mais à cette époque, la 3D en est encore à ses balbutiements et le rendu laisse à désirer : textures floues, animations raides, personnages cubiques. Face à ces limites, l’équipe fait un choix décisif : rester sur une “2D de luxe”, beaucoup plus proche du rendu cartoon et burlesque à la Tex Avery qu’ils recherchaient, plutôt que de s’engager dans une 3D encore trop maladroite.
Rayman débarque !
Après trois ans de travail et un reboot complet du projet, Rayman débarque en septembre 1995 sur Jaguar et figure au line-up de lancement de la PlayStation, avant d’arriver quelques mois plus tard sur Saturn et PC. Le résultat bluffe tout le monde, journalistes comme joueurs. Rayman séduit immédiatement par ses graphismes colorés, son animation d’une fluidité inédite et son univers féérique, à contre-courant de la 3D polygonale encore balbutiante de l’époque. La presse spécialisée salue un jeu de plateforme “digne d’un dessin animé interactif”, même si beaucoup soulignent une difficulté redoutable, capable de décourager les joueurs les moins persévérants.
Commercialement, le démarrage reste discret, en particulier sur Jaguar, dont la carrière sera rapidement enterrée. En revanche, la version PlayStation profite de la montée en puissance de la console et s’impose peu à peu comme un long seller. Le véritable tournant arrive en 1997, lorsque Rayman est intégré dans plusieurs packs officiels de la PS1. Ses ventes explosent alors et dépassent les 4 millions d’exemplaires. Une performance exceptionnelle pour un jeu de plateforme occidental à l’époque, qui consacre Rayman comme le premier grand succès international d’Ubisoft.
Le petit héros sans bras ni jambes devient alors la mascotte d’Ubisoft et s’impose dans l’imaginaire collectif comme l’un des symboles de cette 2D de luxe qui a marqué toute une génération. Il ouvre ensuite la voie à une saga incontournable, de Rayman 2 à Rayman Legends, et demeure aujourd’hui encore l’un des personnages les plus emblématiques du jeu vidéo français… et du jeu vidéo tout court !
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