Des jeux entre deux reliures
Quand on souhaite faire l’expérience d’un jeu vidéo, il convient d’abord de choisir sa console, entre PC, Xbox, PlayStation et Nintendo, puis son matériel, ses accessoires, les jeux auxquels on veut jouer ou bien une formule d’abonnement comme le Game Pass. Nous le savons tous, cela représente un budget suffisamment important pour décourager une partie de la population, ou bien au moins pour limiter la quantité d’expériences vécues. Le jeu vidéo est sans conteste plus cher à aborder que le cinéma ou la littérature, ce qui rend son accès difficile pour certains foyers, notamment les plus précarisés. Heureusement, il existe des alternatives, dont la médiathèque.
Saviez-vous que vous avez peut-être à votre portée un lieu public à même de vous prêter des jeux, ou bien, a minima, de vous laisser les consulter sur place ? Possible que non, puisque l’offre de jeux vidéo en médiathèque est encore trop méconnue d’une partie du grand public. Pourtant, ces services publics s’emparent de plus en plus de la question et le nombre de structures à en proposer ne fait que croître.
Quand bien même, il est important de noter une croissance légèrement en deçà des espérances de certains professionnels du secteur. Après tout, le jeu vidéo reste un art très jeune dont il est encore difficile de comprendre tous les tenants et aboutissants. Pour les bibliothécaires, il n’est pas toujours aisé de savoir comment s’emparer de ces nouvelles œuvres et quelle place leur accorder au milieu des livres et DVD.
En 2019, Julien Devriendt révélait dans un article de la revue « Documentation et bibliothèques » que sur les 7 737 bibliothèques publiques en activité à cette époque, seules 421 d’entre elles ont déclaré disposer d’un fonds de plus de dix jeux, 259 de plus de 50, et 18 de plus de 1 000 titres. Nous ne doutons pas que ces chiffres ont évolué depuis les enquêtes menées il y a cinq ans, mais leur essor ne doit certainement pas être surprenant, sans oublier que les bibliothèques ont été fortement impactées par la COVID-19 entre-temps. Ces chiffres relativement bas, mais tout de même encourageants pour une pratique qui aux yeux de certains ne devrait pas avoir sa place en médiathèque, s’expliquent au travers de plusieurs facteurs importants.
Des budgets souvent limités
Le premier obstacle est sans doute le manque de budget. Nous entamions cet article en brandissant le coût trop élevé pour accéder aux jeux vidéo, et il va sans dire que ce coût s’applique aussi pour les bibliothécaires. À 70 € le bien culturel, il est évident que les professionnels se posent la question de savoir s’il ne vaut pas mieux pour le moment en rester aux livres et autres DVD, dont le coût est par ailleurs déjà considérable à cause des droits de consultation et de prêt qui augmentent la note.
Rappelons aussi que les bibliothèques dépendent le plus souvent d’élus municipaux qui vont voter le budget et qui ont souvent tendance à pâlir face à une augmentation de ce dernier, surtout pour s’équiper de documents si chers.
Quelle place pour les jeux vidéo en médiathèque ?
Si le budget est un véritable problème à considérer, la question la plus importante reste sans doute de savoir comment traiter ce nouveau média en bibliothèque. Les jeux doivent-ils être disponibles en prêt, comme les autres documents ? Cela signifie-t-il que des consoles doivent être prêtées avec ? N’est-il pas plus sage de ne proposer qu’une consultation sur place ? Si oui, combien de temps accorder au joueur ? Quels jeux faut-il mettre à disposition ? Comment ne pas choquer le jeune public avec des œuvres inadaptées ? Pour quel public proposer l’offre en réalité ? Seulement les enfants ou bien aussi leurs parents et les adultes en général ?
Tout cela n’est qu’un aperçu des considérations à prendre en compte avant de former un fonds jeux vidéo. C’est un travail de fourmi qui nécessite souvent non seulement de créer une nouvelle politique d’acquisition, mais aussi de repenser l’espace pour inclure la consultation des jeux. Le problème est encore plus complexe que quand les films ont rejoint les rayons des médiathèques, car la pratique liée au jeu vidéo ne consiste pas seulement à lire ou à regarder, mais bien à interagir, avec la manette, d’une part, et avec de potentiels partenaires de jeux d’autre part.
Un problème épineux pour le bibliothécaire déjà familier du média, mais qui se complexifie encore quand ses collègues doivent assumer la gestion de l’espace. Tout le monde n’est pas habitué aux technologies nécessaires au bon fonctionnement du média et cela nécessite donc des formations afin que chacun et chacune puisse s’investir dans toutes les offres que propose l’infrastructure.
Même si cette barrière existe, il est important de noter que cette question de la place du jeu vidéo en médiathèque apporte son lot de réjouissances. Finalement, bien qu’indéniables, ces obstacles pèsent néanmoins peu dans la balance des bénéfices apportés aux jeux vidéo par les médiathèques et vice-versa.
Le jeu vidéo au cœur de la notion de troisième lieu
Depuis quelque temps, les bibliothèques ont fondamentalement changé. Finie l’image du bibliothécaire en tenue stricte qui baisse ses lunettes pour vous lancer un regard sévère accompagné de son inévitable « chut ! ».
Aujourd’hui, les médiathèques sont avant tout des lieux de vie, d’échange et de partage. Les usagers viennent toujours y emprunter des œuvres, évidemment, mais ils viennent aussi créer du lien, discuter, s’amuser avec de la famille ou des amis, en bref, vivre dans un « troisième lieu ». Un lieu qui vient, comme son nom l’indique, en troisième, après le travail et le foyer. Un lieu qui prend donc une place prépondérante dans la vie d’une personne. La médiathèque n’est plus un lieu de passage, mais un endroit dans lequel on reste.
Ce ne sont pas les très nombreuses activités organisées par les bibliothécaires qui viendront le contredire. Aujourd’hui, ces derniers sont également des médiateurs culturels qui proposent des animations, des ateliers, qui créent des groupes de lecture, proposent des projections de films, etc. Pour tous les publics, la médiathèque devient un lieu dans lequel on vient pour participer à une expérience collective en plus d’y trouver des documents, et ce n’est pas la pratique du jeu vidéo qui entre en contradiction avec cela.
En médiathèque, en plus de parfois être sujet d’emprunt, le jeu vidéo est un levier pour une pratique sociale. Les espaces de jeu sont collectifs et de nombreux usagers viennent pour jouer ensemble. De fait, la pratique est bien différente de celle que l’on expérimente seul chez soi. Il ne s’agit pas tant de faire l’expérience du jeu que l’expérience d’une activité en groupe. À noter, un usager qui ne s’intéresse de base pas à la pratique, que ce soit celle du jeu vidéo ou de la fréquentation d’une médiathèque, sera bien plus susceptible de s’y mettre si c’est sous les encouragements de ses amis.
De cette manière, de nouveaux usagers posent non seulement leurs mains sur des manettes, mais mettent aussi les pieds en médiathèque. Si la pratique du jeu se suffit à elle-même, il est bon de voir les interactions sociales qu’elle suscite et aussi le contact avec une diversité culturelle plus importante disponible en bibliothèque. Un usager qui joue régulièrement en médiathèque sera plus facilement tenté par les autres médias disponibles, variant ainsi ses horizons culturels.
Un système à encourager
Ce dont nous sommes certains, c’est que les jeux vidéo ont leur place en médiathèque. Ce service public a toujours eu pour but de rendre la culture accessible à tous, de réduire la fracture culturelle et sociale et d’inviter à la réflexion. Les jeux vidéo vont bien entendu dans ce sens et leur usage avisé permet d’autant plus de faire vivre les bibliothèques françaises et la pratique du jeu comme vectrice de lien. Pour que ce système perdure et que les médiathèques s’équipent plus, mieux, et avec des idées novatrices, il est important que les usagers redoublent et démontrent de l’intérêt pour cette nouvelle proposition.
Pour terminer, nous pensons qu’il est nécessaire de sortir les jeux de leur cadre uniquement industriel et mercantile. Les médiathèques ont toujours eu cette qualité de savoir tirer les œuvres de leur contexte commercial et le jeu vidéo n’y fait pas exception. Affirmer la position légitime du jeu vidéo en bibliothèque lui permet aussi de s’émanciper d’une image qu’il a encore auprès de la majorité de son public, une image qui ne le rattache qu’à son statut de produit, alors que comme un livre, il est avant tout une production de l’esprit qu’il est nécessaire de présenter et de conserver en tant que tel.
La médiathèque, c’est une solution pour les petits budgets, mais pas seulement. C’est une solution pour celles et ceux qui en ont assez de jouer seuls et qui n’ont pas de partenaires d’aventure ludique. C’est une solution pour découvrir des jeux que nous n’aurions pas connus sans le regard d’autrui. Une solution pour tester des jeux auxquels nous n’aurions pas touché en temps normal et une solution pour ne pas laisser l’industrie nous jouer ses tours habituels.
Alors, plus d’excuses, à vos cartes de médiathèque : de nombreuses surprises vidéoludiques vous y attendent.
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