En 2021, le marché du jeu vidéo a pris son envol. Avec plus de 300 milliards de dollars de recettes dans le monde, il a largement devancé les deux autres gros marchés de la culture, que sont le cinéma et la musique. La mode et le monde du livre suivent d’un peu plus loin. Bien sûr, 2021 fut une année à part. Pandémie oblige, les gens sont restés chez eux, et c’est le jeu vidéo qui a le mieux su tirer son épingle de cette tragique situation. Mais plus que le simple décompte des recettes sur une année, c’est bien la dynamique de ces différents marchés sur la dernière décennie qui symbolise le mieux son essor.
Aujourd’hui, le constat est clair : le cinéma tire la langue et le modèle économique de la vente de musique est perpétuellement remis en question. Même si le jeu vidéo n’est pas épargné par la mutation des modes de consommation, il prouve depuis des années qu’il est devenu la valeur sûre des marchés culturels. Imaginez alors si le jeu vidéo n’était pas si faiblement représenté dans les grands médias. Pourquoi cette sous-médiatisation alors même que le marché est le plus rentable du moment ?
Faites l’essai sur une semaine. Allumez la radio, lisez des journaux ou regardez la télé. Le constat sera édifiant. Sorti de la presse spécialisée, vous n’aurez que peu de contenu proposé autour du jeu vidéo. Au contraire, les grandes chaînes de télévision mettent régulièrement en avant d’autres produits culturels en tous genres. On ne compte plus les performances de chanteurs en direct dans les émissions de divertissements, les bandes-annonces de films diffusés en plein JT de 20h, ou encore les interviews d’auteurs ou de stylistes à la mode dans les matinales radios ou télés. On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de savoir si ce type de publicité a sa place dans les médias d’informations, mais c’est un autre débat.
Même la chaîne Game One, censée être spécialisée, donne aujourd’hui quasiment plus de visibilité à des contenus mangas ou cinématographiques qu’à du jeu vidéo. En 2023, le festival de Cannes, les Victoires de la musique, les Molières, et même des cérémonies étrangères bénéficieront d’une couverture énorme, souvent en direct, et sur le service public. Il faudra encore patienter pour voir à la télé les Pégases ou les Game Awards. Alors oui, culturellement, la France est un pays de littérature, de musique, de théâtre de renommée mondiale. Mais quels arguments qui ne seraient pas uniquement passéistes peuvent bien expliquer une telle différence de traitement ?
Les jeux vidéo mal aimés
Malheureusement, le jeu vidéo traîne depuis des années plusieurs boulets dont il a maintenant du mal à se détacher. Nous avons évoqué plus haut sa faible médiatisation. C’est encore plus marquant quand on se rend compte que la majorité des sujets traitant du jeu vidéo en ont une vision archaïque ou se concentrent uniquement sur ses points négatifs. Oui, il peut entraîner certaines addictions. Oui, certains jeux sont violents, mais pas autant que certains films. Oui, les écrans ne sont pas conseillés pour les enfants. Tout cela est vrai. Mais limiter le jeu vidéo à cela, c’est ne pas avoir encore réussi à cerner ce qu’il est en tant qu’art. C’est également rejeter beaucoup de responsabilités sur les créateurs à défaut de le faire sur les acheteurs.
Aujourd’hui, une chanson vulgaire ou obscène peut arriver en tête des charts sans choquer, avec de la publicité à des heures de grande écoute. Au contraire, un jeu violent peut rapidement se retrouver au banc des accusés pour la mauvaise image qu’il peut véhiculer sur un jeune public. Deux poids, deux mesures. Actuellement, la télévision française reste une télévision âgée, là où la cible première des jeux vidéos est un public jeune. Ce n’est pas péjoratif, c’est un fait. Le peu de représentation des musiques urbaines ou électroniques, autres produits culturels « jeunes », en est une preuve supplémentaire.
Le jeu avant la promo
Une autre raison de la sous-médiatisation des jeux vidéo, c’est sans conteste le produit défendu par les artistes. Dans le jeu vidéo, la star, c’est le produit, pas l’humain. Peu de gens connaissent les personnes derrière un jeu, et les stars du monde du jeu vidéo se comptent sur les doigts des deux mains. Soyons clairs, si le jeu vidéo est vendeur, les hommes qui gravitent autour ne le sont pas. Aujourd’hui, certains invités musicaux de prime-time ne le sont pas pour leur valeur marchande, mais pour le capital sympathie qu’ils ont auprès du grand public. La plus-value d’inviter des personnes de l’univers du jeu vidéo semble trop faible. Pour mettre en valeur le jeu vidéo, il faut avoir la manette en main, pas uniquement se vendre comme un personnage public.
Si le jeu vidéo est sous-représenté, c’est aussi qu’il a depuis longtemps fait le choix de se propager sur un autre type de média, Internet. L’essor de plateformes comme YouTube et Twitch permet de recentrer le débat sur le principal : l’œuvre. Ce qu’aime le jeu vidéo, c’est qu’on parle de lui en profondeur, contenu à la clé. Ce qu’il cherche aussi, c’est aller chercher la jeunesse, celle qui ne regarde plus la télévision et qui n’écoute plus la radio, mais qui cherche à discuter, à partager, à vivre ses aventures. Et là, la réussite est totale.
S’il est bien avéré, chiffres à l’appui, que le jeu vidéo n’arrive à se faire une place dans les grands médias français, c’est autant par incompatibilité que par choix. L’incompatibilité, car il nous paraît difficile aujourd’hui d’imaginer un format télévisé ou radiophonique qui permettrait de mettre en valeur ses qualités. Par choix, car le jeu vidéo est jeune, et qu’il a choisi de se montrer ailleurs. Sur internet notamment, un média bien plus adapté à son développement. Cette sous-représentation dans certains médias semblent finalement être un deal gagnant-gagnant, du moins pour le moment.