Profondément inutiles, mais finalement indispensables pour les fans prêts à dépenser quelques dizaines d’euros de plus pour bénéficier d’objets exclusifs, les éditions dites collectors se sont encore plus multipliées ces dernières années que les pains il y a deux millénaires. Aujourd’hui, la plupart des gros jeux ont droit à leurs éditions deluxes ou collectors, et même les titres mineurs, médiatiquement parlant, bénéficient à présent de leurs versions spéciales. De God of War: Ragnarök à Fire Emblem en passant par Elden Ring, les éditeurs rivalisent d’ingéniosité pour proposer à leurs clients des objets de plus en plus variés, mais aussi de plus en plus chers.
Revenons quelques années en arrière, lors de la génération PS3/Xbox 360. À l’époque, les éditions collectors commençaient à poindre régulièrement. Bien loin du faste actuel, seuls les jeux les plus attendus avaient droit à cet honneur, et étaient souvent très limités, donnant un véritable sens à l’aspect rare des objets proposés. Et surtout, le but pour les éditeurs, au-delà de les vendre évidemment, était aussi de faire plaisir à leurs fans les plus fidèles.
On se souvient par exemple d’un Tales of Xillia, vendu pour moins de 100 euros, qui proposait dans son coffret, en plus du jeu, un artbook au format A4 rigide, une OST sur disque et une figurine de plus de 20 cm. Un peu plus proche de nous, pour 140 € environ, Ni No Kuni 2 était vendu avec le Blu-ray du making-of, un vinyle, un diorama, un artbook, un steelbook, le season pass du jeu et une très belle boîte à musique. Qu’a-t-on aujourd’hui pour le même prix ? Une édition numérique dite « deluxe », mais qui n’en a que le nom, ou quelques goodies pas très engageants, à base de pin’s, posters et autres stickers.
Car depuis la sortie des dernières générations de consoles, les éditeurs ont bien compris que le jeu vidéo déchaînait les passions et les convoitises. Il est devenu un loisir pour lequel beaucoup de joueurs sont prêts à dépenser sans compter. Les fameux scalpeurs, ces personnes toxiques disposées à vendre leur âme et celle de leurs proches, s’en sont aussi rendu compte et achètent les objets les plus désirés ou limités pour les revendre deux ou trois fois plus cher, sitôt leurs achats (ou ceux de leurs robots) validés. Parmi les trente millions de PS5 vendues à l’heure actuelle, il y a fort à parier que plusieurs millions dorment chez ces personnes, dans l’attente de trouver une victime disposée à payer quelques centaines d’euros de plus que le prix recommandé.
Alors, à qui la faute ? Sans doute autant à l’acheteur qu’au vendeur, mais au final, cette réponse n’a plus grande importance. Les éditeurs ont eux-même trouvé la solution pour combattre la spéculation : vendre leurs éditions collectors directement au prix des scalpeurs. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le prix de l’édition collector du dernier God of War, avec son marteau en PVC, un steelbook, des dés et des pions tout riquiquis. Et avec cela, que du numérique, soit un coût de production proche de zéro, le tout vendu à près de 240 €. Et pour ce prix, ils n’ont même pas fait l’effort de mettre un disque de jeu, simplement un code.
Square Enix n’est pas en reste avec par exemple son collector de Final Fantasy XVI, pas beaucoup plus rempli (mais avec au moins un disque de jeu cette fois), pour plus de 350 €. Le jeu du moment, Hogwarts Legacy, n’échappe pas non plus à cette pratique : son coffret, pourtant facturé 300 €, ne contient rien qui puisse de près ou de loin approcher véritablement ce montant. D’autant plus que suinte cette envie nauséabonde et dangereuse de monétiser encore plus d’air avec cet early access de trois jours. Ne nous y trompons pas, la pente empruntée est particulièrement glissante et, à force de tirer sur la corde, elle risque de rompre.
Quelle sera l’étape suivante, la prochaine norme ? Un jeu plus cher que la machine sur laquelle il est censé tourner ? Même Nintendo, pourtant généralement plutôt honnête quant aux contenus de leurs éditions, se met à gonfler ses prix (ou à vider ses coffrets) comme l’atteste celui de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom. Ou bien cessera-t-on enfin de nous prendre pour des vaches à lait, tout juste bonnes à nous jeter sur la moindre évocation, quand bien même soit-elle fallacieuse, de rareté ?
C’est un coup de gueule que nous lançons là, presque une prière que nous formulons. Stop à cette escalade tarifaire sans queue ni tête. Stop à cette sur-monétisation du jeu vidéo, cette apologie du creux sous le terme à présent galvaudé de collector. Ces éditions, aussi chères soient-elles, sont proposées à des dizaines de milliers d’exemplaires, et pourtant, elles n’ont jamais été aussi peu remplies. Certaines sont même plus produites que les versions standards, un comble. Alors, s’il vous plaît, amis éditeurs, rendez aux éditions collectors leurs lettres de noblesse et respectez vos fans.