Il y a quelques semaines de cela, une cartouche NES de Super Mario Bros. s’est vendue pour la bagatelle de 660 000$. Record explosé, puisque le jeu le plus cher échangé par les collectionneurs n’avait jusqu’alors été vendu « que » 156 000$ (et il s’agissait là encore d’un Mario, Super Mario Bros. 3 sur NES).
Un prix défiant la raison, qui s’explique en partie bien entendu par la cote d’amour pour le jeu, l’un des plus populaires au monde, le fait que la cartouche est complètement neuve et encore emballée, et surtout que le packaging est assez rare, puisque faisant partie d’un premier lot expédié par Nintendo en même temps que les premières NES sur le territoire américain, le packaging du jeu ayant rapidement changé ensuite.
Avec ses ventes aux enchères dans des salles prestigieuses, ses collectionneurs et ses prix qui font tourner la tête, le jeu vidéo semble prendre le chemin du marché de l’art. À raison, a-t-on envie de penser, puisque le jeu vidéo en est un aussi, d’art.
Sauf que quand les collectionneurs achètent des tableaux, ils achètent effectivement le savoir-faire des artistes, ou, dans le cadre de l’art contemporain, la manifestation originale d’une idée, d’un concept. Un collectionneur d’art achète certes quelque chose d’unique (quoique pas toujours), mais pas seulement.
Or, une cartouche NES vendue à des prix record l’est pour des raisons tout autres. Le savoir-faire des artistes en question est à la portée de n’importe qui, immédiatement. Je peux jouer au « vrai » Super Mario Bros. et apprécier le génie du level design et ses idées novatrices pour l’époque presque gratuitement avec le service Switch Online. Ou même récupérer une vieille cartouche NES en loose pour une poignée d’euros. Le jeu sera rigoureusement le même que celui à 660 000$ (là où une reproduction d’un chef-d’œuvre, ou un faux, ne permettrait pas d’apprécier véritablement le coup de pinceau du maître).
Ce qui fait grimper jusqu’au vertige les prix de ces cartouches, c’est l’emballage, les quelques grammes de plastique qui montrent que le jeu n’a pas été utilisé, et dans le cas du Super Mario détenteur du record, le packaging. C’est-à-dire les arguments marketing de l’époque. De ce fait, ne confond-on pas le contenant avec le contenu ?
De façon générale, les jeux en loose (sans boîte, ni manuel), quelle que soit la machine et quel que soit le titre, ne valent pas grand-chose. Le prix monte avec la présence de la boîte et du manuel, et atteint son plus haut niveau si le tout est encore sous blister. En fait, plus on est proche des conditions de vente en magasin à l’époque, plus le jeu sera vendu cher. Avec ce paradoxe qu’on ne pourra pas y jouer, puisque défaire le précieux scellé fera s’effondrer la valeur de la cartouche.
Même si chacun fait bien ce qu’il veut de son argent, le problème avec cette culture désormais installée, c’est qu’on élève au rang d’art des produits manufacturés, sortis d’usine, tout en ignorant abondamment le savoir-faire et l’œuvre qu’ils abritent pourtant : le jeu.
Andy Warhol avait su convertir un produit populaire (les boîtes de soupe en conserve Cambell) en œuvre d’art (Campbell’s Soup Cans, 1962). Les riches collectionneurs de jeux vidéo ont peut-être mal compris le message, s’imaginant que la boîte de soupe elle-même était l’œuvre d’art ? Pas si loin, Marcel Duchamp, lui, avait justement signé non pas une boîte de conserve, mais un urinoir (Fontaine, 1917), autre produit manufacturé, décrétant ainsi avec pas mal d’ironie que l’art et la beauté étaient partout où l’on voulait bien les voir. La beauté est alors peut-être dans le blister transparent du Super Mario Bros. de 1986. Ou alors la comparaison avec l’urinoir est-elle ailleurs…?
Banksy, avec Girl With Ballon (2017), sa performance qui a vu se détruire automatiquement une toile à peine adjugée en salle des ventes, semblait nous dire que ces ventes à prix d’or « tuent » l’art. Et en effet, la toile Girl With Balloon se portait très bien avant de se voir adjugée pour 1,2 million d’euros ! Une métaphore qui irait particulièrement bien aux jeux vidéo, ceux qu’on achète et stocke sans qu’ils ne quittent leur précieux blister, espérant avoir fait un bon investissement, mais dans le même temps niant ce qu’ils sont et leur véritable valeur : des jeux, d’abord faits pour être découverts et parcourus.
Malheureusement, une indication nous laisse à penser que les choses ne vont pas dans le bon sens : l’œuvre détruite de Banksy a très cyniquement doublé de valeur pour les collectionneurs une fois déchiquetée…
Histoires de me plaindre #2 – Le scalping au Japon, routine d’un fan de jeux
LD4K4
Un premier exemple de loi contre le scalping de PS5 évoqué en Écosse
Luynan
Retrogaming made in France – la série docu sur Arte
n1co_m