Entre la sortie événement d’Hogwarts Legacy, le jeu qui s’inspire de la saga Harry Potter, les annonces de Krafton autour de son projet The Bird that Drinks Tears, d’après un roman fantastique coréen à succès, ou encore le nouveau trailer de The Invincible (rendez-vous le 17 février), jeu narratif qui adapte le roman éponyme de Stanislaw Lem (auteur, on le rappelle, du roman qui donnera le classique du cinéma Solaris), les adaptations littéraires font l’actualité du jeu vidéo.
Alors, après les adaptations à la va-vite de succès du cinéma, puis l’exploitation, parfois à outrance, de licences issues des univers mangas et animes, nous dirigeons-nous vers une vague d’adaptations d’œuvres littéraires ? En vérité, l’exercice a toujours existé, même si de façon discrète. Les jeux adaptés de romans n’utilisent en effet pas souvent cette facette de leur développement comme argument commercial, contrairement aux licences accolées à des films ou des animes, plus vendeuses.
Bien entendu, les exemples de The Witcher, ou des innombrables adaptations plus ou moins officielles des écrits de H.P. Lovecraft sont parmi les premiers qui viennent en tête. Mais l’histoire du jeu vidéo est truffée d’adaptations d’œuvres littéraires, ou d’inspirations plus ou moins directes.
Jeu d’aventure textuel et littérature : une évidence !
Ainsi, dès les années 80, et alors qu’il n’en est encore qu’à ses débuts, le jeu vidéo s’emparait déjà de la littérature. Le roman d’espionnage The Fourth Protocole, de John Forsyth (1983), a alors donné un jeu portant le même titre en 1985, sur ZX Spectrum et CPC. Le roman sera ensuite adapté en film, en 1987. C’est l’un des rares exemples d’adaptation littéraire en jeu vidéo réalisée avant l’adaptation au cinéma.
En 1987, le roman Tai-Pan, de James Clavell, deviendra un jeu d’aventure pour les ordinateurs de l’époque (Commodore 64, Amstrad CPC et ZX Spectrum). Sa suite, Shogun, donnera elle aussi naissance à un jeu vidéo en 1989. À noter que Tai-Pan avait déjà été adapté en 1979, dans une version préhistorique (mais qui avait rencontré un franc succès à l’époque), et jouable aujourd’hui dans un navigateur à cette adresse.
La génération 8 et 16 bits s’illustre
La franchise d’Atlus Shin Megami Tensei/Persona doit tout au succès du tout premier jeu portant le titre Megami Tensei, Digital Devil Story: Megami Tensei, sorti au Japon en 1987 sur NES et MSX. Et à l’origine du jeu, il y a la trilogie fantastique de Aya Nishitani, Digital Devil Story, hélas jamais publiée en français. D’autres publications de l’écrivain seront ensuite adaptées, comme la série de romans Tokyo Shadow, qui donnera un jeu en FMV sur PlayStation et Saturn.
Au début des années 90, les Bitmap Brothers règnent en maîtres : Xenon II: Megablast, ou Speedball 2: Brutal Deluxe enchantent les possesseurs d’Atari ST ou d’Amiga. En 1993, les Bitmap Brothers sortent un solide run and gun : The Chaos Engine. Le jeu sera basé sur une histoire de William Gibson (le « père du Cyberpunk ») et Bruce Sterling, The Difference Engine (La machine à Différences, en V.F.), une histoire qui met le cyberpunk à l’ère Victorienne et le mêle au folklore steampunk, comme le fera Steel Rising trente ans plus tard.
3D et performance capture donnent corps à la littérature
Far Cry 2 (2008) et Spec Ops: The Line (2012) se sont tous les deux fortement inspirés du roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres. Si c’est plus une inspiration générale pour Far Cry 2 (qui revendique aussi des idées piquées chez Dashiell Hammet, l’inventeur du roman noir), Spec Ops: The Line se veut lui une véritable adaptation, à la manière du film Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola, basé sur le même roman.
Sorti en 2010, Enslaved: Odyssee to the West devait être un blockbuster. Il deviendra hélas un échec commercial, avec moins de 500 000 copies écoulées, contre un objectif initial d’un million. Le jeu est probablement à redécouvrir, d’autant que Ninja Theory y avait mis les moyens comme rarement alors dans un jeu vidéo. Andy Serkis, la star hollywoodienne de la « performance capture », interprète le personnage principal et Alex Garland, auteur des romans et scénarios de La Plage ou 28 jours plus tard, devenu par la suite le réalisateur d’Ex-Machina, fut chargé de l’écriture : une adaptation façon science-fiction du classique asiatique Journey to the West (la Pérégrination vers l’Ouest), adapté de multiples fois en jeux vidéo.
Plus étonnant, la saga Assassin’s Creed est elle aussi basée sur un roman : Alamut, publié en 1938 et signé du slovène Vladimir Bartol. Le roman raconte l’histoire de la secte des Haschichins (un nom qui donnera le terme « assassins »), des combattants redoutables manipulés psychologiquement, notamment grâce à l’usage du haschish (d’où le nom…), pour leur faire entrevoir le Paradis qui les attend s’ils mènent leurs missions à bien. Des faits « historiques » pas complètement prouvés. Le leitmotiv de cette manipulation mentale est, dans le roman, une phrase tirée du Zarathoustra de Nietzsche : « Rien n’est vrai, tout est permis ». Une phrase qui sera le moto des Assassins du jeu d’Ubisoft…
S.T.A.L.K.E.R. (2007), dont certains attendent impatiemment la suite prévue pour cette année, est lui encore tiré d’un roman très populaire en ex-Union soviétique : Pique-Nique au bord du chemin, des frères Strougatski. Le roman avait déjà été adapté au cinéma sous le titre Stalker (Andrei Tarkowski, 1979), titre qu’on a fini par donner au roman dans ses rééditions – le film étant plus populaire que l’œuvre originale – et qu’a aussi emprunté le jeu.
Les adaptations littéraires traversent ainsi toute l’histoire du jeu vidéo. On aurait pu évoquer les grandes licences fondées sur le travail de Tom Clancy, maître du roman d’espionnage (les séries Rainbow Six ou Splinter Cell…), les jeux Conan, d’après le personnage de R.E. Howard, ou encore les nombreux titres tirés des œuvres de J.R.R. Tolkien. Ce dernier fera d’ailleurs encore l’actualité du jeu vidéo en 2023, aux côtés d’autres jeux inspirés par la littérature, puisqu’on attend entre autres cette année les sorties de The Lord of the Ring: Gollum, S.T.A.L.K.E.R. 2, ou encore Black Myth: Wu Kong, énième variation sur le thème de la Pérégrination vers l’Ouest…