Un long chemin a été parcouru pour parvenir jusqu’aux platformers 3D d’aujourd’hui, depuis que Mario, alors appelé « Jump Man« , est allé se tirer la bourre avec Donkey Kong parce qu’il avait osé kidnapper sa chère moitié. Pas de scrolling, des graphismes sommaires (limitations techniques obligent), trois bruitages et demi, et pourtant, le fun était déjà là, et la jeunesse de 1981 allait rendre riche les possesseurs de salles d’arcade ou de bars enfumés.
1996 : une révolution est en marche. Mario prend du volume, non pas dû à une consommation excessive de pâtes, mais à son passage à la 3D. 2021 : on s’extasie désormais sur le ray tracing et sur le nombre de K que peuvent afficher nos écrans extra-plats, mais le fun est toujours là, au cœur du jeu. L’arrivée dans nos consoles survitaminées de Ratchet & Clank: Rift Apart nous donne l’occasion de donner un coup d’œil dans le rétroviseur, de voir le chemin parcouru et de se rappeler quelques grands noms.
Un platformer 3D, c’est quoi ?
Avant d’entamer toute exploration, il faut savoir ce qu’on cherche. D’où la nécessité de définir exactement ce qu’est un platformer 3D, et les principaux éléments qui le composent. Réduisons-le à quelques composantes majeures :
1. Le platformer 3D se déroule principalement dans un monde en trois dimensions (trois axes : x, y et z).
2. Il utilise des polygonaux et une modélisation 3D pour les environnements et les personnages.
3. Les mouvements du personnage principal sont contrôlés par le joueur.
4. Il est presque toujours conçu avec une vue à la troisième personne.
5. La plateforme est au premier plan et n’est pas éclipsée par d’autres genres (survival, RPG, etc.).
Nous partirons avec pour présupposé que si un jeu peut rassembler ces cinq éléments, il s’agira d’un jeu de plateforme en 3D. Maintenant, passons aux choses sérieuses. Direction la DeLorean vidéoludique.
Le premier platformer 3D, c’est Mario 64…
Eh bien, non. Ni le premier, ni le deuxième, et même pas le troisième. Le titre de premier jeu de plateforme en 3D revient à Alpha Waves, un titre de 1990 (sept ans avant Mario 64 !) développé pour DOS et Amiga par un seul homme : Christophe de Dinechin. Une véritable curiosité, et un exploit technique pour l’époque.
Quelques années plus tard, il sera suivi par Geograph Seal (1994), sorti sur le micro-ordinateur Sharp X68000, puis par l’excellent Jumping Flash! en 1995. Un jeu qui aura marqué les esprits, car il accompagnera la sortie de la PlayStation première du nom. Véritable démonstration technique de ce que la boîte grise de Sony était capable de faire, le jeu ne connaîtra pas un immense succès commercial, mais gardera un indéniable statut de précurseur.
L’année suivante, c’est le fort sympathique Bug! qui viendra tenter sa chance sur PC et Saturn, avec une formule hybride, certains niveaux étant en full-3D, d’autres avec un scrolling horizontal classique. Cependant, vos mouvements sont contraints, car le héros ne peut se déplacer que sur quatre axes (haut, bas, gauche et droite) quand il est au sol. L’axe haut-bas n’apparaissant que quand il se déplace sur les murs et les plafonds.
Le véritable bouleversement se produira en 1996 avec Super Mario 64. Dès 1991, le créateur de Mario, Shigeru Miyamoto, entame la production du surprenant Star Wing, un rail shooter 3D sur SNES, exploit technique et graphique mémorable. Cette technologie 3D le fascine, et il commence à mettre au point les prémices d’un jeu de plateforme en 3D. Quand Star Wing sort en 1993, il conquiert toutes les rédactions JV. Ce qui finit de convaincre Miyamoto que l’avenir se situe dans la troisième dimension.
Il lui faudra attendre que la technologie soit à la hauteur de ses ambitions pour entamer le projet Mario 64 sur Nintendo 64. Super Mario 64 fait partie des jeux de lancement de la console en 1996 (1997 en France), et est un succès instantané, devenant un véritable system-seller, et au passage définissant le paradigme pour tous les jeux de plateforme en 3D. Les niveaux sont ouverts, encourageant l’exploration et le choix de son propre chemin. La caméra est relativement facile à utiliser et les contrôles sont fluides. On ne va pas refaire le match, Mario 64 est un chef-d’œuvre, un point, c’est tout.
Quelques années plus tard, Nintendo enfonce le clou à grands coups de Banjo-Kazooie (1998) et Donkey Kong 64 (1999), deux platformers 3D développés par Rare pour le compte de Big N. Banjo est salué pour sa qualité graphique, son level design et pour ses énigmes bien pensées, alors que DK64 apporte un vent de fraîcheur avec pas moins de cinq personnages jouables, et une structure quasi metroidvania.
Mais la concurrence n’est pas en reste, et Sony brandit quelques mois après Mario 64, les franchises Crash Bandicoot de Naughty Dog, Spyro et Tomb Raider comme fers de lances de sa PlayStation (alors que Lara ira fricoter sur Saturn et PC…). Crash est certes un excellent platformer avec une belle modélisation 3D, salué par les critiques et très aimé du public, mais on est encore loin de la structure semi-ouverte de Mario 64. Dans la forme, il reste très old-school et attaché à l’héritage 16 bits de Donkey Kong Country en particulier.
Spyro, lui, aura bien appris la leçon Mario 64 et récitera ses gammes. Quant à Lara Croft, elle a certes le mérite d’introduire un nouveau type de système de plateformes en 3D, mêlant le jeu d’action, gunfights et la résolution d’énigmes, mais est-ce encore un jeu de plateforme ? Nous pouvons en douter, au vu des critères que nous avons retenus.
L’Ère 128 bits : la nouvelle génération
Malgré un démarrage en mode diesel, la PlayStation 2 lancée en 2000 finira par tout rafler sur son passage, y compris le titre de console la plus accueillante pour les platformers 3D. En 2001, Naughty Dog arrive avec un platformer 3D en monde ouvert : Jak and Daxter. La formule fait mouche, c’est le carton plein. L’année suivante, Insomniac (oui, ceux de Spider-Man PS4) introduit une grosse dose d’action dans sa vision de la plateforme avec Ratchet and Clank alors que Sucker Punch prend le pari de l’infiltration avec Sly Raccoon. Trois excellents titres qui auront marqué leur époque, mais qui montrent surtout le début de l’hybridation d’un genre vers d’autres styles de jeu.
Nintendo ne compte pas rester sur le carreau, et envoie sa réponse du berger à la bergère : Conker’s Bad Fur Day (2001), chef-d’œuvre d’impertinence made in Rare pour la N64, aux références cinématographiques qui vont d’Orange Mécanique à The Matrix… Quelques mois plus tard, en 2001, Big N lance sa GameCube, mais sans Mario pour accompagner son lancement, au grand dam des fans. Il faudra attendre 2002 et le lancement de Mario Sunshine pour voir cet affront lavé. Un épisode exceptionnel qui aura cependant divisé les amateurs de plateforme, celle-ci se retrouvant moins mise en avant.
Quid de SEGA ? La Dreamcast tente d’occuper le terrain tant bien que mal depuis 1999, mais peine à trouver son public, surtout face au raz-de-marée Sony… Sonic Adventure est le titre phare de la console à son lancement et représente une transition réussie de la vitesse vertigineuse de l’ère MegaDrive vers la troisième dimension. Mais comme son nom l’indique, une fois encore, la plateforme ne se suffit plus à elle-même, et il faut ajouter de l' »Adventure » pour s’inscrire dans une certaine modernité. Sonic se scénarise (un peu), et offre une variété de gameplay inédite pour la saga, grâce à six personnages jouables. La console sera gâtée niveau platformers 3D scénarisés, avec Rayman 2 et Sonic Adventure 2, mais elle rendra son tablier en 2001, vaincue par la concurrence (et par les pertes occasionnées par l’échec de la Saturn).
Nous n’oublions pas pour autant la concurrence américaine. La Xbox tentera d’avoir sa part du gâteau, tant bien que mal. Surtout mal à dire vrai. Une génération largement dominée par Sony et qui voit les platformers 3D s’hybrider, pour coller aux attentes de joueurs bien plus demandeurs de contextualisation et de scénarisation des jeux. Génération qui permet également à des titres cross-consoles d’obtenir de grands succès, tels que le fabuleux Psychonauts (2005) de Double Fine.
PS3 VS Xbox360 VS Wii
Les progrès techniques permettent aux développeurs de voir leurs limites créatives repoussées de plus en plus loin. La mutation du platformer 3D se poursuit, et on s’éloigne de plus en plus de nos chers critères-repères du début de notre exploration.
Nintendo se jette dans le motion-gaming avec Wii, mais son Super Mario Galaxy (2007) brille plus grâce à son level design exemplaire que par la présence de la wiimote. Ratchet and Clank: Opération Destruction (2007) met les pieds dans le domaine du triple A, en multipliant les effets pyrotechniques et de mises en scène. Et la même année, la plateforme embrasse le FPS pour devenir Mirror’s Edge sur Xbox 360 et PS3, une petite révolution dans la manière d’appréhender le platformer 3D.
Toujours en 2007, Naughty Dog délaisse Crash Bandicoot pour créer Uncharted, expérience quasi cinématographique, mêlant third-person shooter et phases de plateforme scriptées. En 2008, pour le compte de Sony, Media Molecule lance la franchise LittleBigPlanet, un jeu de plateforme en full 3D permettant aux joueurs de créer leurs propres niveaux de A à Z.
Une nouvelle fois, les platformers 3D continuent leur mutation, embrassant de nouveaux genres (TPS, FPS, do-it-yourself, etc.). Les titres paraissent pour la plupart sur toutes les plateformes, exceptions faites de quelques exclusivités. Une génération de consoles marquée par la déchéance de la licence Sonic, qui peine à garder la tête haute, malgré la hausse des budgets qui lui sont alloués…
Parallèlement à ces grands noms, des seconds couteaux sont parvenus à se faire de belles réputations parmi les platformers de cette époque. Citons pêle-mêle : Disney Epic Mickey 2: The Power of Two, le très familial Skylanders, et la résurrection de Prince of Persia avec Les Sables du Temps.
Adressons aussi au passage un regard appuyé à la scène indé, qui explose lors de cette génération, et qui donnera un second souffle à la plateforme traditionnelle 2D (Braid, Fez, Super Meat Boy, Limbo, entre autres).
La huitième génération : la fin des platformers 3D ?
Les années 90 et début 2000 ont été submergées par les platformers 3D de qualité variable. Un marché saturé jusqu’à écœurement, qui a fini par provoquer le désintérêt des joueurs, malgré les tentatives d’amener la plateforme vers d’autres genres. Preuve en est que même le Boss du Game, Nintendo lui-même, a fini par revenir à une formule plus classique avec la série New Super Mario Bros. sur 3DS, offrant des visuels en 3D sur un plan en 2D.
La saga des Super Mario 3D World ne mise pas non plus sur un gameplay 100% 3D à la Mario 64, mais propose des phases de jeux qui alternent 2D et 3D, toujours dans l’optique de renouveler une formule parfois perçue comme éculée. Et même si Mario Odyssey (Switch, 2017) est un pur platformer 3D (extrêmement réussi au demeurant), la recette commence à s’essouffler…
Bien que le genre semble prendre doucement sa retraite, d’irréductibles stars continuent à faire de la résistance. En 2016, Ratchet revient sur PS4 avec un remake de sa première aventure. L’année suivante, c’est Crash avec sa N. Sane Trilogy rassemblant ses trois premiers opus qui vient mettre le bazar. Spyro lui aussi aura droit à ses remasters… Mais quid de la nouveauté ?
Le Roi est mort. Vive le Roi !
Alors, morts et enterrés les platformers 3D ? Ce serait mal les connaître.
Ce bon vieux Bandicoot nous a bien fait souffrir en 2020 avec une nouvelle aventure inédite au parfum de die & retry. Astro’s Playroom a mis une jolie petite claque aux joueurs au lancement de la PS5. Et c’est maintenant vers Ratchet and Clank: Rift Apart que se tournent tous les regards. Un jeu qui s’annonce magnifique, et qui pourra indéniablement ancrer le jeu de plateforme 3D dans une nouvelle ère.
Bien que les jeux de plateforme aient connu une croissance exponentielle au fil des décennies, avant de les voir réduits à peau de chagrin, ils constituent toujours l’une des portes d’entrée favorite pour le jeu vidéo, pour le jeune public en particulier.
Le genre doit sa survie à sa capacité à muter et à s’adapter à d’autres mécaniques de jeu. En se scénarisant, en regardant du côté des mondes ouverts, en embrassant des styles de jeu parfois inattendus (avec le Souls-like par exemple, comme pour Shattered: Tale of the Forgotten King), ou en adoptant une direction artistique forte (A Hat in Time et son cel shading). Il a réussi à perdurer.
On ne peut pas dire dans quelle direction iront les platformers 3D à l’avenir, mais gageons qu’ils seront toujours là, prêts à nous laisser sauter de blocs en blocs, et à écraser les ennemis à coup de trauma crânien.