Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. À l’occasion de la sortie de Scorn, nous nous arrêtons sur la figure singulière de Hans Rudi Giger, peintre de l’horreur dont la signature hante le jeu vidéo bien plus qu’on ne l’imagine…
Si le jeu aux visuels cauchemardesques Scorn est si attendu, c’est essentiellement pour sa signature graphique qui cite très ouvertement le peintre suisse Hans Rudi Giger. L’artiste (1940 – 2014) reste dans la culture populaire essentiellement pour son travail sur le design de l’alien du film éponyme. Mais son travail va bien au-delà, et vous l’avez probablement croisé, même sans vous en rendre compte, au détour d’une pochette de disque, ou d’un jeu vidéo.
HR Giger, peintre officiel de vos traumatismes
La peinture de Giger est immédiatement identifiable : ses toiles les plus célèbres représentent en nuances de gris des corps qui se mélangent douloureusement aux machines. Giger est un adepte de l’aérographe, technique qui donne à ses peintures une tonalité « CGI » avant l’heure, qui accentue encore le côté froid, mécanique, déshumanisé, de ses sujets.
On lui attribue la paternité du style biomécanique, un sous-genre raccroché au surréalisme, dont les tatoueurs se sont depuis emparé, pour ces images en trompe-l’œil qui laissent faussement apparaître des parties mécaniques sous la peau des tatoués. « Les porteurs de tatouages sont peut-être les fans les plus sincères de mon œuvre », écrit Giger. Le genre biomécanique annonce aussi, dix ans avant, un courant phare des années 80 et 90 : le cyberpunk et ses cyborgs, mi-hommes, mi-machines, qui voient leur humanité s’éteindre
Les tatouages bioméchaniques de Guy Aitchison
Cette imagerie torturée commence comme un jeu innocent : fasciné par les wagonnets d’une usine située près de sa maison, Giger jouait au train fantôme. Train fantôme qu’il fera exister « pour de vrai » dans l’intimité de son jardin privé, et dans le film « La Mutante ». Il semble qu’il avait de toute façon des prédispositions pour le morbide : enfant, il a l’habitude de jouer avec un crâne humain possédé par son père pharmacien, puis collectionne les armes à feu… à dix ans seulement !
En 1974, il est devenu peintre (après un début de carrière d’architecte d’intérieur) et réalisera deux de ses toiles emblématiques : Li I et Li II, des portraits de sa compagne, l’actrice Li Tobler, qui se suicidera l’année suivante.
Au milieu des années 70, il travaille avec Alexandre Jodorowsky et Jean « Moebius » Giraud sur la direction artistique d’un film inspiré du roman Dune, qui ne verra jamais le jour. C’est néanmoins au cinéma que Giger finira par marquer définitivement le grand public, en signant le design du xénomorphe d’Alien, le film de Ridley Scott. Design qui lui permettra de remporter un Oscar, et qui sera ensuite repris dans toute la saga et dans les productions dérivées.
Une influence de poids sur le jeu vidéo
Si Scorn est conçu autour de la signature visuelle de Giger, ce n’est pas le premier jeu à s’inspirer ainsi de son travail. On citera ainsi Darkseed (1992), point & click culte de l’époque Atari ST/ Amiga, sur lequel Giger en personne a travaillé. L’artiste a ainsi donné accès à l’ensemble de son œuvre aux studios Cyberdreams afin que ceux-ci puissent les scanner et les intégrer au jeu. Le titre, faisant la part belle à la qualité graphique, est l’un des rares de l’époque à être sorti dans une résolution de 640×350, quand la norme était de 320×200.
Dans le même ordre d’idée, citons Tormentum – Dark Sorrow. Le jeu, sorti en 2015, est aussi un point & click, et si Giger en personne n’a pas participé au développement, le jeu cite abondamment l’artiste comme inspiration majeure du titre. Mais avant même ces titres en forme d’hommage au maître, H.R. Giger avait laissé son empreinte dans le jeu vidéo. La direction artistique d’un jeu comme R-Type (1987) peut ainsi être facilement qualifiée de biomécanique, et a évidemment été inspirée par Giger et Alien. Le monstre qui figure d’ailleurs sur la boiîe du jeu est à quelques coups de pinceaux près un xénomoprhe.
On remarquera la même chose dans les premiers jeux Metroid (1986), dont le design des statues de Chozo ou des monstres justement baptisés Ridley (comme Ridley Scott) sont inspirés d’Alien, et donc du travail de Giger. Même Streets of Rage 2 a un niveau inspiré du peintre !
Une grande partie des productions Psygnosis (Lemmings ou WipeOut sur le tard, mais aussi une flopée de shoot ‘em up avant ça), dont la créature de l’un des hits qui ont fait la renommée des studios, Shadow of the Beast, revêt une esthétique sombre et très biomécanique qu’on rapprochera volontiers de l’univers de Giger, ainsi qu’en témoigne la galerie ci-dessous. Enfin, on pourra encore évoquer la direction artistique de Lust From Beyond (voir notre critique), dont certains tableaux auraient pu être peints par H.R.Giger.
Ci-dessus, Shadow of the Beast ; ci-dessous, quelques illustrations qu’on retrouvait sur les boîtes de jeux Psygnosis.
Si H.P. Lovecraft est l’un des auteurs qui aura le plus inspiré les jeux vidéo, H.R. Giger est probablement le peintre le plus souvent cité, directement ou non, dans l’univers vidéoludique. D’ailleurs, les deux univers ne sont pas complètement étrangers l’un à l’autre, et un jeu comme Darkseed est tout autant lovecraftien que « Gigerien ». Malheureusement, ce dernier titre est, de nos jours, un peu compliqué à faire tourner sur les machines contemporaines (où est GOG quand on a vraiment besoin de lui ?!). Avant de parcourir les labyrinthes torturés de Scorn, on se rabattra donc sur l’autre point & click inspiré de Giger, Tormentum – Dark Sorrow, porté sur mobile et toujours disponible sur iOS et Android.