Alors que Disney: Mirrorverse vient de sortir sur appareils mobiles, Disney commence à de plus en plus tendre vers des productions relevant du modèle pay-to-win s’éloignant du traditionnel free-to-play. C’en est au point que ses collaborateurs chez Gameloft, chargés de réaliser les prochains titres, comme Disney Dreamlight Valley et Disney Speedstorm, amènent ce modèle sur console de salon et PC. Une situation bien décevante quand on se rend compte qu’il s’agit du retour de Disney sur consoles, puisque le dernier réel titre ne concernant que Disney pour la console date de 2015, avec Disney Magical World 2 sur Nintendo 3DS. Alors que la bêta de Disney Speedstorm se termine le 6 juillet, revenons un peu sur l’histoire des jeux mobiles estampillés Disney, et des problèmes spécifiques liés à ces pratiques dont fait usage une entreprise avec un tel passif.
En même temps, dans la stratégie d’une firme de ce calibre, le jeu vidéo est plus une arrière-pensée qu’un réel fond de commerce. La présence de Disney sur le marché du jeu vidéo n’est pas une nécessité absolue, mais est toujours un plus. Cependant, le jeu mobile présente de nombreux avantages : pouvant se contenter d’une production demandant de faibles moyens, le jeu mobile peut atteindre un public bien plus vaste que les jeux consoles, de l’enfant que les parents excédés mettent sur le téléphone, au travailleur fatigué qui joue cinq minutes pendant sa pause. Si cela pourrait paraître une bonne chose – rendre le jeu vidéo accessible à un public qui aurait pu ne pas s’y intéresser outre mesure est toujours positif –, Disney, dans tout le cynisme qu’on lui connaît, y voit surtout une occasion d’appliquer les pires techniques de prédation imaginable pour siphonner un maximum d’argent à un public qui ne dispose pas des connaissances nécessaires pour s’en prémunir.
Disney opère sur ce terrain depuis 2015 avec la publication du jeu Disney Magic Kingdom, un jeu de gestion de parc qui s’inspire fortement des jeux de Tycoon, et qui utilise pour point de référence le parc de Floride Walt Disney World. Dans les premières années, la plupart des jeux mobiles de la firme sont de cet acabit : des sortes de « reskins » de jeux populaire : Disney Emoji Blitz profite du succès du jeu de puzzle Candy Crush, et Disney Crossy Road est une collaboration avec le jeu d’origine, Crossy Road, qui demande au joueur de traverser une route avec un personnage en évitant des obstacles. Ces jeux présentent déjà les tares qui vont gangrener les jeux mobiles Disney : ils manquent d’inventivité et sont avant tout des plans pour récupérer quelques deniers en vitesse, dont l’entreprise a bien évidemment tant besoin pour survivre.
Les jeux qui font suite, Disney Heroes: Battle Mode, sorti en 2018, et Disney Sorcerer’s Arena, sorti en 2020, sont tous les deux des jeux estampillés RPG, et vont mettre en place des systèmes très concrets de lootboxes, dans lesquelles seront potentiellement contenus des fragments de personnages. Ils présentent des rosters de personnages aujourd’hui conséquents, et piochent dans tout ce qu’a fait le studio : de Mickey à Baymax, en passant par les personnages de l’Atlantide ou de la série Gargouilles. Il est impossible que quelqu’un n’y trouve pas un de ses personnages favoris.
Les jeux restent confus, avec une interface brouillonne, des graphismes et des modèles très similaires. Il est même difficile de ne pas voir le second comme l’évolution du premier. Si on n’est pas encore dans du pay-to-win à proprement parler, on en voit déjà les prémices : des personnages se retrouvent cachés derrière des paiements, et l’aspect compétitif prend une place de plus en plus conséquente. Pour autant, ils restent peu inventifs, et sont tout aussi peu remarqués.
Entre cette vague et celle que nous observons actuellement en 2022 se trouve un ovni, peut-être le seul jeu à réellement valoir le coup tant il est hors des codes que nous discutons actuellement : Disney Twisted Wonderland. À l’origine prévu uniquement pour le Japon, il sort des sentiers battus de par le public qu’il vise et les codes qu’il applique. En effet, Twisted Wonderland est un otome game, un jeu qui s’adresse aux jeunes filles, qui transforme tous les méchants Disney en de beaux jeunes hommes répondant aux clichés, dont il faudra tirer les cartes rares à travers le système de gacha pour pouvoir ajouter une nouvelle illustration à sa collection, un nouveau costume, et une version plus forte du personnage que celle d’origine.
Le jeu mélange jeu de combat au tour par tour et jeu de rythme, et les designs des personnages de Yana Toboso, connue pour le manga Black Butler, sont une réelle réussite. Le modèle économique du jeu diffère du tout au tout des autres, puisqu’il compte autant sur son gacha in-game, que sur le merchandising produit en dehors : mangas, figurines, peluches, posters, etc. Ce qui diffère aussi, c’est que le jeu vise un public précis, et apparaît alors comme une bouffée d’air frais : les designs sont jolis, les doublages sont efficaces, et, vu le marché sur lequel le jeu s’insère, il se doit d’avoir une réelle plus-value pour réussir à concurrencer les classiques du genre. Cela ne manque pas : le jeu est un succès, mais il faudra attendre 2022 pour qu’il soit exporté en Occident.
Cependant, la sortie de la version internationale de Twisted Wonderland est quant à elle obscurcie par l’annonce des trois derniers jeux Disney, dont deux pour consoles de salon et PC ! Mirrorverse, disponible depuis le 23 juin, Disney Dreamlight Valley, et Disney Speedstorm sont les trois derniers jeux prévus par la firme, réalisés par Kabam Games (Mirrorverse) et Gameloft (Disney Magic Kingdom). C’est une nouvelle échelle comparé à tout ce qui avait été fait avant : une partie du rôle de ces jeux est d’être plus attirants visuellement pour se démarquer des jeux sortis précédemment, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela marche.
Disney Speedstorm et potentiellement Disney Dreamlight Valley semblent apporter le pire des jeux mobiles sur consoles de salon et PC : composés de nombreux systèmes de lootboxes et définitivement pay-to-win pour Speedstorm, il est déjà décevant, avant même la sortie du jeu, que le concept « Mario Kart, mais avec Disney » soit déjà annoncé comme une course à qui rentrera le plus vite sa carte, et non pas à qui jouera le mieux.
Disney Mirrorverse, le dernier jeu réellement mobile de la firme, quant à lui, développe aussi un système de gacha, avec une présentation très agressive et prédatrice. Les nouveaux designs restent néanmoins rafraîchissants, et au strict minimum, si la croissance est fortement ralentie par le refus de payer le contenu interne au jeu, il ne s’agit pas d’un jeu compétitif au même titre que Sorcerer’s Arena : si le joueur est bien poussé à se mesurer à d’autres joueurs, ou à collaborer avec eux par le système de guildes, le cœur du jeu, la manière dont il va causer la frustration est vraiment la courbe de progression, vraiment très abrupte pour qui n’est pas prêt à stagner pendant des semaines.
S’il est bien évident que ces systèmes ne sont absolument pas éthiques, ils apparaissent d’autant plus dangereux que Disney n’est pas n’importe quelle entreprise : le fondement de son modèle, qu’il s’agisse de films, de parcs à thème, ou, comme ici, de jeux vidéo, est la nostalgie.
En effet, si des propriétés intellectuelles nouvelles appliquant ces codes réussissent à se faire une place dans le paysage vidéoludique et à se trouver bien rentable sans que les joueurs n’aient d’attachement préalable aux personnages, qu’en est-il d’un jeu réunissant Elsa, Scar et Stitch ? L’affect très fort que les joueurs peuvent avoir pour ces personnages, et ce, depuis l’enfance (un affect qui peut même être partagé par des personnes de plus en plus âgées, Blanche-Neige et les Sept Nains datant de 1937) influence forcément l’efficacité qu’auront ces tactiques prédatrices, déjà très décriées dans des jeux comme Diablo Immortals, qui s’adresse pourtant à un public habitué.
Si on peut difficilement être déçu de la conduite de Disney, puisque cette logique, bien qu’abjecte, va bien dans la continuité de la logique de profit à tout prix des entreprises de cette envergure, avec tout son lot de décisions qui vont à l’encontre de l’intérêt de leur clientèle (des films décevants, car trop frileux sur la nouveauté aux « fast pass » gratuits des parcs supprimés au profit des tickets « premier access » payants), on ne peut que déplorer cette logique.
Disney avait pourtant su, un temps, proposer des jeux avec un réel intérêt, jeux encore trouvables facilement aujourd’hui puisqu’ils sont réédités sur Nintendo Switch : on ne peut que vous recommander de les essayer. De toute façon, au prix de la compilation, ça ne ferait pas plus de quatre cristaux sur Mirrorverse…