Dans Diablo, on explore des souterrains et on élimine des monstres pour ouvrir des coffres. Coffres qui, on l’espère, nous donneront de nouvelles armes pour occire plus de monstres, et ainsi ouvrir de nouveaux coffres… Et ce qui est au cœur de la mécanique de Diablo, c’est le « on l’espère ». Car les coffres nous fourniront régulièrement une énième copie d’une hache qu’on avait déjà quatre ou cinq fois, mais à de rares occasion, ils peuvent aussi contenir un objet unique, dont les statistiques viendront sensiblement faire évoluer notre personnage. On repartira alors revigoré, et plus puissant que jamais, à la recherche de nouveaux trésors.
La possibilité que les coffres lâchent une récompense inhabituellement importante est le véritable moteur qui fait avancer le joueur dans un Diablo-like. C’est ce qu’a démontré, bien avant Diablo, le psychologue comportementaliste B. F. Skinner avec la boîte qui porte son nom (la Boîte de Skinner, donc), aussi appelée Chambre de Conditionnement Opérant. L’expérience consiste en une boîte dans laquelle on place un rat. La boîte est munie d’un levier, qui, quand on l’actionne, distribue une certaine quantité de nourriture au rat. Ce dernier à force d’expérimentation, finira par comprendre le principe, et actionnera le levier quand il aura faim. Mais seulement quand il aura faim. Or, en introduisant une part d’aléatoire à la récompense, le modèle se dérègle.
En effet, dans une autre phase de l’expérience, quand le rat appuie sur le levier, il va recevoir souvent une toute petite part de nourriture, mais de temps à autre, une très grande quantité de nourriture. Ce système de récompense aléatoire va modifier le comportement du rat, qui actionnera alors en permanence le levier, qu’il ait faim ou non, comme obnubilé par l’idée de vaincre le hasard et d’obtenir le trésor (la grosse quantité de nourriture). C’est le fait de « gagner » qui, finalement, lui importe plus que le prix remporté, et le pousse à continuer de « jouer » (appuyer sur le levier), même lorsqu’il a bien assez de nourriture.
C’est exactement ce système qui pousse des joueurs à rester des centaines d’heures dans les grottes des jeux Diablo, à la chasse au loot ! C’est aussi lui qui a donné naissance à la plaie du jeu mobile, le gacha-game, et avant cela, aux machines à sous des casinos. C’est encore le même principe qui nous pousse à jeter un œil à l’écran de notre téléphone toutes les quarante secondes, parce qu’on ne sait jamais, il pourrait y avoir une notification…
La série Diablo, auréolée d’un succès certain, a-t-elle inspiré ces œuvres du démon que sont les free-to-play sur mobile d’aujourd’hui ? Probablement en partie. Mais les jeux de la série principale, dont le tout récent Diablo IV, ont au moins pour eux de ne pas mobiliser les mécaniques prédatrices dont use en général les free-to-play (mais qu’Activision-Blizzard a fini par récupérer à son compte en sortant l’an dernier un Diablo mobile).