Les nombreux reports annoncés sont autant de rallonge de crunch pour les développeurs.
S’il y a bien une chose qui fait l’actualité du jeu vidéo en ce début d’année, ce sont les reports ! Ceux-ci s’enchaînent en effet à un rythme qui pose question : Final Fantasy VII d’abord, reporté d’un bon mois, suivi de Marvel’s Avengers, reporté lui au 4 septembre ; puis c’est Cyberpunk 2077 qui a décalé sa publication de près de 6 mois au 17 septembre 2020 et enfin (pour le moment…) c’est Iron Man VR, l’exclu PlayStation VR, qui voit sa date de sortie passer du 28 février au 15 mai. Une épidémie dont on pourrait penser qu’elle permettrait aux développeurs de fignoler les titres sans passer par la case “crunch”, cette période de travail intense, faite d’heures supplémentaires déraisonnables, qui arrive généralement dans les dernières semaines de développement d’un jeu pour tenir le calendrier. On se souvient notamment du scandale concernant le rythme de travail chez Rockstar (jusqu’à 100 heures par semaine !) qui avait suivi la sortie de Red Dead Redemption 2.
On se souvient aussi, justement, des déclarations de CD Projekt, qui s’était engagé à limiter ce crunch. D’où le report de 6 mois de Cyberpunk 2077 ? Il semblerait qu’au contraire, chaque semaine de report donnera lieu à une semaine de crunch supplémentaire… C’est en tout cas l’avis du journaliste jeu vidéo le mieux informé de l’industrie, Jason Schreier, de Kotaku, qui a beaucoup écrit sur les conditions de travail dans les studios de jeu vidéo (“Du sang, des larmes et des pixels”, aux éditions Mana Books).
Ce dernier nous explique en effet que pour chacun des titres cités et reportés, le crunch avait déjà commencé, les reports marquant ainsi immanquablement le prolongement de ce dernier. Un point de vue appuyé par les déclarations des studios eux-mêmes. Ainsi, lors d’une conférence avec des investisseurs, lorsqu’il a été demandé au PDG de CD Projekt, Adam Kicinski, si le report de Cyberpunk 2077 allait conduire à une période de crunch, celui-ci a répondu :
“À un certain degré, oui – pour être honnête. Nous essayons de limiter le crunch autant que possible, mais nous sommes dans la dernière étape. Nous essayons de rester raisonnables, mais hélas, oui.”
Si vous vous disiez que six mois, cela allait être long, imaginez les équipes de développement qui en prennent pour six mois d’heures sup’ ! Et encore : ces dernières, chez CD Projekt, ont la “chance” de travailler pour un studio européen (polonais, en l’occurrence), dont la législation protège plus ou moins les salariés. Ce n’est pas forcément le cas pour les studios américains, notamment, où la loi au regard du travail est extrêmement libérale. Rappelons que si l’adjectif “libéral” prend bien sa racine au niveau du nom “liberté”, il s’agit ici de liberté économique – une liberté offerte essentiellement aux entreprises et aux patrons. À ne pas confondre avec “libertaire”, l’adjectif (et la doctrine) qui évoque les libertés individuelles. Ainsi, dans de nombreux studios, les heures supplémentaires sont par exemple imposées aux salariés.
Il ne serait pas étonnant qu’on retrouve à l’automne prochain le genre d’articles qu’on avait pu lire après la sortie de Red Dead Redemption 2, sur les conditions de travail déplorables en fin de développement. Si vous trouviez que tous ces reports étaient une mauvaise nouvelle pour les joueurs, c’en est probablement une pire encore pour les développeurs !