CD Projekt s’est fait un nom en adaptant une série de romans de fantasy des années 90 plus ou moins confidentielle avant la sortie des jeux : Le Sorceleur, d’Andrzej Sapkowski – devenu en 2007 la saga de RPG à succès The Witcher. Le prochain projet des développeurs suit un peu le même chemin, la confidentialité en moins, puisque Cyberpunk 2077 est l’adaptation officielle du jeu de rôle papier Cyberpunk, classique du genre, et l’un des titres JdR les plus importants des années 90.
Un titre, un genre
Cyberpunk est un jeu de rôle créé par Mike Pondsmith, et paru en 1988 chez l’éditeur américain R. Talsorian Games (qui, allers-retours amusants de l’histoire, édite depuis un jeu de rôle The Witcher !). La première édition n’a jamais été traduite en français. Son titre est aussi clair que bateau : il reprend simplement le nom du genre littéraire dans lequel il s’inscrit, un peu comme si on sortait un jeu de rôle intitulé « Space-opera » ou « Polar »…
Le cyberpunk, c’est ce futur dystopique dans lequel des humains augmentés par la technologie, les cyborgs (le cyber- du terme) évoluent dans une société plus que jamais inégalitaire, n’offrant que peu d’espoirs (No Future! le -punk du terme). Parmi les grands représentants de cette littérature, on trouve William Gibson, souvent considéré comme le père du genre avec son roman culte Neuromancien (Neuromancer en v.o.), qui pose les bases du genre : mégapole détenue par des grandes corporations capitalistes, société inégalitaire, individualiste et sans pitié, et les hackers, marginaux, capables de se balader sur le réseau des réseaux, la Matrice (oui, ça vient de là !). Mais le grand public connaît surtout l’œuvre de William Gibson via l’adaptation au cinéma de l’une de ses nouvelles, Johnny Mnemonic (avec Keanu Reeves, qui décidément, traverse toute l’histoire du genre !).
Parmi les autres très nombreux auteurs de ce sous-genre de la science-fiction, on trouve Bruce Sterling (Schismatrice+) qui a travaillé avec Gibson, mais aussi Richard Morgan, adapté sur Netflix avec la série Altered Carbon, ou bien évidemment Philippe K. Dick et son classique « Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », devenu au cinéma Blade Runner (le cyberpunk n’est néanmoins pas le genre de prédilection de l’auteur). Chez les Français, on notera l’inégal Maurice G. Dantec (Babylon Babies, ou le plutôt mauvais Les Résidents) ou le plus recommandable Jean Marc Ligny.
Cyberpunk, le JdR
Un jeu de rôle papier, c’est d’abord un/des livre(s). De manière générale, un guide du maître du jeu (souvent appelé Livre de base), un guide du joueur, et diverses extensions présentant certaines parties de l’univers du jeu en détails, ou des scénarios prêts à jouer. Si le livre principal contient les règles nécessaires et les mécaniques de jeu, on y trouve surtout une description du monde dans lequel on va évoluer au gré des parties. Le lore (de « folklore »), comme on dit maintenant.
Cyberpunk 2077 se base sur la deuxième édition du jeu de rôle, titrée Cyberpunk 2020. C’est la première édition à avoir été traduite en français, publiée en 1991 par Oriflam, éditeur disparu depuis. Cependant, de manière plutôt amusante, l’ancienne adresse de l’éditeur (www.editions-oriflam.fr) mène aujourd’hui vers un article sur… la cybercriminalité !
C’est donc l’univers de Cyberpunk 2020 qui est adapté en jeu vidéo par CD Projekt. C’est en effet dans cette deuxième édition qu’apparaît Night City. Projet immobilier utopiste, la cité créée par Richard Night (et qui prendra son nom à la mort de ce dernier) devait représenter la ville idéale. Hélas, le projet a un peu dévié (euphémisme) et en 2077, la ville se trouve coupée en différents quartiers, certains privilégiés et protégés, d’autres gangrenés par les groupes criminels, quand d’autres encore ne sont que des bidonvilles où règnent misère et anarchie.
Il n’aura échappé à personne que du JdR Cyberpunk 2020 au jeu vidéo Cyberpunk 2077, une cinquantaine d’années s’est écoulée, de façon à rester dans le futur, et à redresser un peu la façon dont les réseaux sont décrits. Dans Cyberpunk 2020, internet est devenu une espèce d’immense espace de réalité virtuelle, façon Ready Player One, d’Ernest Cline.
Un petit ajustement pour rester cohérent donc, mais l’immense majorité du lore Cyberpunk sera respecté. On y retrouvera ainsi, de manière jouable ou non, les différentes classes de personnages présents dans le jeu de rôle, des Netrunners, ces hackers qui peuvent se connecter en toute liberté aux réseaux, aux Rockerboys, musiciens et rebelles, dont Johnny Silverhand est désormais le membre le plus éminent ! Parmi les autres classes de personnages, on peut citer les Fixers, dealers de tout et n’importe quoi – informations, drogues, armes, etc. –, les Techies, dont le nom est transparent, les Solos, mercenaires, ou encore les Corporate, qui bénéficient des moyens énormes de leurs employeurs…
Un RPG, un vrai !
Un autre aspect de Cyberpunk 2020 qui sera respecté, c’est sa nature même : le jeu de rôle. Le jeu vidéo a en effet la mauvaise habitude de coller l’étiquette RPG à n’importe quel titre qui propose des statistiques évolutives… On parle d’ailleurs de manière assez agaçante « d’éléments de RPG » dès qu’on trouve dans un jeu une roue de compétences ou des systèmes permettant d’améliorer quantitativement des caractéristiques.
Cette désagréable manie tire son origine des limitations techniques des premiers jeux d’aventure, quand il a tout d’un coup été possible de personnaliser un peu son personnage, en pouvant modifier par exemple armes ou équipement. On a alors trouvé qu’on se rapprochait un peu du vrai jeu de rôle, celui sur table, modèle des premiers jeux vidéo d’aventure. Depuis, dès lors que l’avatar possède des caractéristiques représentées sous forme de pourcentage, on parle de RPG – pour role-playing game. Diablo est ainsi rangé dans cette catégorie, alors que la marge d’interprétation du personnage (le role-playing) reste quand même extrêmement limitée !
Tout récemment, Disco Elysium est venu nous montrer ce que pouvait être un véritable RPG version vidéoludique (il existe bien heureusement d’autres exemples), et ce qu’on a pu voir de Cyberpunk 2077 semble emprunter le bon chemin. Le jeu vise en effet à offrir de nombreuses manières de réaliser les multiples missions, laissera le joueur décider à qui il fera ou non confiance, pour qui il travaillera et qui il décidera éventuellement de trahir… Une vraie liberté d’action sur la carte, mais aussi dans le scénario.
On a vu avec The Witcher III comment CD Projekt pouvait sublimer un matériau de base. Avec une licence aussi solide que Cyberpunk, et sous l’œil bienveillant de son créateur Mike Pondsmith, qui assume le rôle de conseiller sur le jeu, les rôlistes vont peut-être tenir leur Graal vidéoludique !
Pour l’instant, le jeu semble en tout cas en prendre la direction… On rappelle que Cyberpunk 2077 sortira le 17 septembre 2020 sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. Il devrait être porté un peu plus tard sur les machines de la nouvelle génération.