S’il y a bien un sujet sensible et difficile à traiter, c’est celui du harcèlement. Pourquoi ? Parce qu’il se matérialise sous plusieurs formes, il peut par exemple être physique ou moral, voire sexuel et même les trois, mais aussi parce qu’il est souvent très personnel. Une personne ne réagira, ne ressentira pas la situation comme une autre et il est est très dur pour nous autres épargnés de comprendre ce que ressentent les personnes victimes de harcèlement. Aujourd’hui, avec l’émergence des réseaux sociaux, le thème n’a jamais été autant d’actualité, puisque le cyber harcèlement est l’une des problématiques premières liées à internet et il peut prendre là encore différentes formes. Alors avant de rentrer dans le vif du sujet et vous parler du manga de Rensuke Oshikiri Le Perce Neige, nous préférons vous prévenir : cette oeuvre n’est pas à mettre entre toutes les mains.
D’une violence crue et touchante, Le Perce Neige dépeint l’extrême et ne s’enquiquine pas de taboux. Le manga se veut aussi dur que son imagerie et se montre sans concession sur ce qu’il raconte, une histoire de harcèlement scolaire qui vire au drame le plus horrible qui soit et devient alors un récital sanglant, mais ô combien jouissif. Son premier tome, dont il est question ici et contenant tout de même 340 pages, est paru le 13 juin dernier chez Omaké Books, maison d’édition qui s’occupe aussi de Bip-Bip Boy du même auteur.
Initialement sorti en 2008 au Japon dans une courte série de trois volumes nommée Misi Misô, le manga connut une adaptation filmique live en 2018 chapeautée par son auteur Rensuke Oshikiri.
Il était une fois une vie brisée
Six mois se sont écoulés depuis que Haruka Nozaki et sa famille ont déménagé dans une petite bourgade rurale du Japon. Six mois que la jeune fille subit chaque jour des brimades de ses camarades de classe et est littéralement victime d’un harcèlement moral et physique des plus effroyables. Face à cela et pour ne pas inquiéter ses parents, ni même sa petite sœur, elle garde la tête haute et ne laisse rien paraître devant eux, même si au plus profond elle est très affectée par la situation.
Alors que les choses vont en empirant, Haruka trouve du réconfort auprès d’un jeune garçon de sa classe, Aiba, le premier à la considérer comme une personne et non comme un objet de supplice. Mais c’est sans compter sur la cruauté sans pareil des autres élèves qui décident de commettre l’irréparable en incendiant la maison de la jeune fille lorsque celle-ci ne s’y trouve pas. Ses parents meurent durant l’incendie et sa petite soeur est plongée dans un profond coma suite aux graves brûlures qu’elle a subie sur toutes les parties de son corps.
Non contents d’avoir déjà causé un mal inqualifiable à Haruka, les coupables essaient de la pousser au suicide pour que cette dernière ne témoigne pas contre eux. Commence alors un jeu macabre, transformant la réservée et timide écolière en machine à tuer froide et sans pitié.
L’élégance macabre
Vous l’aurez compris en lisant les quelques lignes plus haut, Le Perce Neige n’est pas un manga gentillet qui parle avec douceur des petits tracas d’une collégienne alors qu’elle intègre un nouvel établissement. Non, Le Perce Neige est extrême, aborde un sujet encore aujourd’hui trop tabou ou ignoré par des ignorants volontaires qui se voilent la face avec des excuses du type » ce ne sont que des gamins, c’est rien « . Rensuke Oshikiri ne prend pas de pincettes pour dépeindre le quotidien insoutenable de Haruka et à mesure que le récit avance, une sorte de fatalité inéluctable prend forme, une de celles que l’on craint de voir arriver après la lecture de chaque page et qui une fois clairement établie sous nos yeux, nous plonge dans un état de tristesse intense tout en nous enrageant.
Un des bons choix de Rensuke Oshikiri est de n’avoir pas placé le récit dans un établissement scolaire citadin. Il explique dès le début que la classe dans laquelle se trouve Haruka est la dernière que connaîtra le collège avant sa fermeture, il ne reste alors que quelques élèves et un professeur pour y donner vie. Ceci créant une sorte de microcosme dans lequel les plus anciens font la loi, allant même jusqu’à totalement soumettre la dernière figure d’autorité en poste. Une sorte de tradition s’y est installée, celle de malmener le dernier élève arrivé, car considéré comme un parasite qui n’a rien à faire là. On découvre alors un simili de société dictatoriale, dans laquelle une figure toute puissante ordonne et terrorise, les lieutenants suivant sans sourciller, prenant même un plaisir certain à harceler Haruka, les autres acquiescent par peur des représailles.
Seul un Aiba ne participe pas à cela et prend la défense de la jeune fille. Il sera d’ailleurs le phare au milieu de la nuit pour la collégienne et lui permettra de reprendre goût à la vie et espoir en l’avenir. Malheureusement cette amitié a un prix et des conséquences funestes. La famille d’Haruka fait aussi office d’échappatoire pour elle, et par pudeur plus qu’autre chose, elle essaie de les préserver de tout ce qui lui arrive. Comprenez bien qu’il ne s’agit pas de lâcheté, elle n’a aucune peur des personnes qui lui font du mal, elle ne les méprise pas non plus et ne ressent aucune haine contre eux, elle ne comprend juste pas pourquoi ses camarades lui font subir de telles humiliations.
Cependant, tout ce qui nous est introduit lors de la première partie du manga, la vie familiale d’Haruka, le collège, les sévices moraux et physiques, la poésie du moment qu’elle passe avec Aiba… tout ceci change et un véritable retournement de situation se produit après l’incendie qui voit les parents de la collégienne mourir et sa petite sœur tomber dans un coma profond. La protagoniste devient alors renfermée sur elle-même, et ce, avec n’importe qui et seule la vengeance va guider ses pas. Au Japon, elle devient ce que l’on appelle communément une Yandere. Une personne qui de prime abord sympathique et généreuse développe pour x raisons un côté psychotique et devient dangereuse, voire mortelle. Rensuke Oshikiri impose donc aussi sa vision de la Yandere, une vision beaucoup plus macabre et morbide qui sort du traditionnel basculement pour cause de jalousie ou d’amour.
Le manga vire alors avec virtuosité dans une sorte d’ode à la tuerie. Froide et cruelle, Haruka ne semble plus ressentir aucun sentiment, elle n’exprime rien et tue sans aucune pitié. Le sang coule, les pleures s’accumulent, l’espoir n’est plus, seule demeure la morbidité de la vengeance implacable qui s’abat sur les élèves coupables directement ou indirectement de la destruction de la vie d’une jeune collégienne qui avait les yeux pleins de rêves.
L’impact du manga s’explique aussi par celui des dessins. Ce qu’il faut savoir c’est que Le Perce Neige est le premier manga paru de Oshikiri, bien avant Hi Score Girl ou Bip-Bip Boy qui évoluent dans un registre totalement différent. Le dessin qu’on lui connait est donc présent et si on avait un peu peur qu’il ne convienne pas à une histoire aussi grave, cette dernière s’est vite envolée vers de nouveaux horizons passées les premières pages. Son coup de crayon si délicat, si peu évident dans un premier temps pour un Seinen se marie magistralement bien avec la puissance dramatique de l’histoire. Cela ne jure à aucun moment et amplifie même le malaise que l’on ressent page après page tant il s’en dégage une certaine innocence. D’ailleurs, n’est-ce pas là tout l’enjeu ? Le Perce Neige est un peu l’histoire de la fin de l’innocence et le début du chaos, la mort de l’amour et l’amour de la mort.
Le Perce Neige de Rensuke Oshikiri est un manga cru et puissant qui traite de sujets graves et profonds ancrés aussi bien dans la société japonaise que dans la nôtre. Le thème du harcèlement n’a de plus jamais été autant d’actualité avec la montée en puissance des réseaux sociaux et notre société de consommation qui mise énormément sur l’apparence.
C’est l’histoire d’une jeune fille aux mille rêves et espoirs, un peu naïve aussi, qui se retrouve confrontée à une réalité cruelle et pourtant si humaine. L’histoire d’une société qui dégénère par son indifférence et laisse son innocence partir en fumée. Le Perce Neige peut être résumé et expliqué de bien des façons, mais la meilleure chose à faire est tout simplement de lire ce premier tome en attendant le second de sortie en septembre.
- Le Perce Neige de Rensuke Oshikiri
- Éditeur : Omaké Books
- Date de parution : 13/06/2019
- Prix conseillé : 12, 99€
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