Dans l’univers du divertissement, on aime bien assigner la paternité d’une œuvre à une seule personne, quand bien même celle-ci n’est pas vraiment la seule ou la plus directement active sur le projet. Un phénomène encore plus présent quand on parle de jeux vidéo. Kojima Hideo, Miyamoto Shigueru, Ken Levine, David Cage, Todd Howard, etc., on en passe et des (bien) meilleurs. Pourtant, dans certains cas, cette paternité revêt une bien plus grande légitimité, comme pour le Chained Echoes qui nous intéresse ici.
Il s’agit essentiellement (à l’exception de la musique et de quelques arrière-plans) l’œuvre d’un seul homme, Matthias Linda, puisqu’il lui a fallu des années de travail acharné pour arriver le concrétiser son rêve, lui qui a commencé ses premières armes sur RPG Maker avant d’apprendre Unity sur le tas pour Chained Echoes.
Pour son jeu au look 16bit au rendu très « SNES », le créateur allemand s’est inspiré de titres tels que Secret of Mana, Suikoden 2, Breath of Fire ou encore Xenogears. De prestigieuses références qui peuvent se révéler parfois trop lourdes à porter. Alors, quel sera le destin de Chained Echoes ? Est-il un digne successeur d’une époque bénie du RPG ou n’est-il qu’un énième projet tentant de s’en arroger l’aura ?
(Test de Chained Echoes sur PS5 réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Un RPG à systèmes
Dès les premières notes de musique, lorsque l’écran d’introduction de jeu apparaît, l’ambition débordante du projet nous saute aux yeux (et aux oreilles). Pas besoin de dizaines d’heures de jeu pour s’en convaincre, Chained Echoes est un RPG avec un grand A, le A de l’aventure comme on l’aime, comme on ne la voit plus si souvent dans le paysage vidéoludique moderne. L’esprit décomplexé des jeux de la Super Nintendo suinte par tous les pores, et se vérifiera jusqu’au bout de l’histoire.
Chained Echoes est un RPG au tour par tour qui n’a rien de classique. Bien au contraire même, le titre se permet systématiquement de proposer de nouvelles approches à un gameplay aujourd’hui considéré comme archaïque, malgré un léger retour de popularité dans les sphères d’amateurs de jeux de rôle. Premier exemple frappant, il n’y a aucun système de niveau de personnage. Quand on triomphe d’un affrontement, on ne gagne pas de points d’expérience. Notre évolution repose sur deux aspects clés : les compétences et l’équipement.
Ainsi, à chaque victoire, on est récompensé par quelques points de compétence permettant d’augmenter le niveau des compétences acquises tels qu’un meilleur pourcentage de réussite ou un coût en PT (Points de Technique) réduit pendant les combats. Pour débloquer de nouvelles habilités actives ou passives, nous avons besoin d’éclats de grimoire pouvant être obtenus en vainquant certains ennemis spécifiques, généralement les boss. Une manière astucieuse et élégante de gérer la courbe de difficulté du titre, permettant de ne jamais tomber sur un mur ou de devoir subir des séances de farm rarement agréables. De quoi en plus pousser à la curiosité, en quête des coffres de chaque région permettant de naturellement remplir les objectifs secondaires (mais aux récompenses qui sont loin de l’être).
Quant à l’équipement, le système d’évolution a beau paraître basique sur le papier, il offre en réalité beaucoup d’options de personnalisation. Grâce aux nombreux objets à glaner en récompense de combats ou simplement en explorant les grandes étendues du monde, il est possible de renforcer les statistiques de nos armes et armures, mais également d’y ajouter des emplacements de sphères accueillant des joyaux permettant d’affiner encore plus la spécialisation du personnage qui en sera équipé, joyaux qu’il conviendra de créer soi-même à la forge. Bref, il y a de quoi faire pour participer à l’évolution de nos héros et si on peut se sentir presque intimidé par le nombre de possibilités, en prenant le temps de tester chacune d’elles, on se rend vite compte qu’elles s’avèrent en fait bien pensées et accessibles.
Mais c’est surtout par son système de combat que Chained Echoes arrive à marquer encore plus son identité. En effet, les affrontements se déroulent sous l’influence d’une jauge de synergie. Celle-ci, à chaque mouvement allié ou ennemi, augmente pour se diriger vers une zone verte de synergie augmentant notamment la résistance et diminuant le coût en PT des compétences. Mais attention, en augmentant trop, la jauge sera alors en zone rouge de surchauffe, transformant ainsi bonus de la synergie en malus.
Si on subit l’influence majeure de cette jauge pendant les combats, on n’en est pas seulement la victime passive. Bien au contraire même puisqu’on peut en diminuer le niveau en utilisant un type de compétence affiché à l’écran (magie, attaque physique, soin…). De fait, on se sent concerné à chaque combat, quand bien même notre équipement serait à jour, sans pour autant qu’on ressente cet aspect de jeu comme une contrainte. Un équilibre fragile mis en place dans le système de combat que l’on qualifiera de fabuleux dans Chained Echoes. Et en plus, après des heures de jeu, alors que nous nous sommes habitués aux affrontements, le titre se permet de continuer de nous surprendre en ajoutant de nouvelles (très bonnes) strates à son gameplay.
Deutsche qualität
Comme vous avez sans doute pu le constater sur les illustrations précédentes, Chained Echoes est un titre coloré nous rappelant fortement l’ère SNES. En explorant le vaste monde de Valandis, nous avons découvert de nombreux biomes aux teintes très différentes les unes des autres. Plaines verdoyantes, marais ternes, monts enneigés, villes festives ou en ruines, tous les classiques sont présents, mais pourtant, chaque lieu a sa propre singularité, une identité rendant le monde presque organique.
Un ressenti qui tient aussi beaucoup aux personnages hauts en couleur que l’on est amené à rencontrer, et aux dialogues qui s’ensuivent (en français dans le texte, c’est assez rare dans le genre pour être noté). Tantôt très sérieux, sur fond de guerres, trahisons, armes de destruction massive et fin du monde, tantôt beaucoup plus léger, avec par exemple l’humour ravageur de la voleuse/charmeuse Sienna, Chained Echoes nous propose de découvrir de nombreuses facettes de nos personnages sans pour autant véritablement casser le rythme de l’aventure, à l’exception des deux premières heures de jeu, moins inspirées et engageantes que le reste du jeu.
Toute une troupe, pourtant presque (voire complètement) ennemie à la base, va pourtant se réunir autour de Glenn, un ancien mercenaire tourmenté par sa dernière mission ayant conduit à la mort de milliers de soldats et d’innocents suite à la destruction du grand Grimoire, un artefact ancien et puissant. Tel un Hiroshima d’août 1945, cette explosion a entraîné une (courte) période de paix, mais la guerre gronde de nouveau, et les différents pays placent leurs pions pour mettre un point final à une animosité mutuelle centenaire.
Bien qu’on nous ressorte les mêmes poncifs scénaristiques éculés, l’histoire et la narration de Chained Echoes ont le mérite de constamment nous impliquer. Si le gameplay, varié, nous permet de ne jamais nous ennuyer pendant les phases actives, ce sont les surprises régulières, petites ou grandes, du scénario qui parviennent à nous tenir en haleine à chaque nouvelle révélation, tel un Game of Thrones aux accents de J-RPG.
Une structure narrative pas si moderne puisqu’on la retrouve dans les inspirations du titre, Final Fantasy VI et Suikoden en tête, mais qui reste encore incroyablement efficace aujourd’hui. Si la première partie du jeu peut sembler linéaire, avec un fil conducteur que l’on est dans les faits contraint de suivre, ces limites finissent par voler en éclats dans la seconde moitié du jeu qui, telle un feu d’artifice, nous fait profiter de sa constellation d’étincelles, avec tout un univers à explorer librement pour accomplir de nombreuses quêtes annexes, dénicher des monstres uniques et découvrir d’innombrables surprises que nous vous laisserons trouver.
Peut-on considérer Matthias Linda comme un créateur de génie ? Au vu de l’ambition et de la qualité de Chained Echoes, on répond sans grande hésitation par l’affirmative. Rarement un RPG a réussi à aussi bien combiner une excellente histoire, un univers organique crédible et une évolution de personnage aussi intéressante.
Même l’OST d’Eddie Marianukroh (à écouter sur sa chaîne YouTube), bien souvent laissée pour compte dans ces projets indépendants, se révèle d’une qualité insoupçonnée. Chained Echoes est un RPG à la fois très inspiré par d’anciennes gloires de l’ère SNES et extrêmement moderne. Le créateur allemand a réussi à reprendre l’essence de ces titres majeurs de l’histoire du jeu vidéo pour nous en proposer un équilibre magistral en une histoire particulièrement bien écrite et un système de combat novateur.
Car bien loin de simplement proposer un simple pastiche, il nous a créé là un RPG proposant des affrontements tactiques extrêmement plaisants, très bien équilibrés et aux multiples systèmes s’imbriquant parfaitement. Un grand nombre de strates qui réussit l’exploit de ne pas alourdir l’ensemble et de toujours nous pousser à la curiosité (notamment grâce à un système de missions très intéressant). Il était si facile de passer à côté de ce Chained Echoes. Pourtant, on a potentiellement là affaire au RPG de l’année, et sans doute l’un des titres les plus intéressants et innovants depuis bien longtemps. Merci Monsieur Linda pour cette aventure !