On dit régulièrement d’un jeu qu’on n’attendait pas, ou pas à ce niveau là, qu’il « sort de nulle part ». Ce fut le cas pour Inscryption ou pour Disco Elysium, qui avaient pu rendre curieux quelques amateurs éclairés, mais qu’on n’imaginait pas convaincre un large public comme ils ont réussi à le faire. Blue Prince, lui, ne sort pas exactement de nulle part, puisque c’est un enchevêtrement de références qui ont permis d’aboutir à cette expérience si particulière.
Le jeu de plateau
Chose amusante, les deux titres cités ci-dessus, sont des sortes d’adaptations de jeux de société. Un jeu de cartes pour Inscryption, et le jeu de rôle sur table pour Disco Elysium. Et l’inspiration jeu de plateau est fondamentale pour Blue Prince, puisqu’il part d’une idée de Tonda Ros pour, d’abord, un jeu « tabletop ». La mécanique principale du jeu consiste à piocher des cartes, et à les placer sur un plateau afin à la fois de dessiner le plan du manoir, se créer un chemin, mais aussi profiter de divers bonus.
On pense au classique familial Labyrinthe. Dans ce jeu de société, on place des tuiles en « poussant » les tuiles déjà présentes sur le plateau de jeu, tentant de se créer un chemin vers une case abritant un trésor. Mais ce faisant, on modifie aussi la structure du labyrinthe à chaque tour, rappelant le principe du manoir de Blue Prince dont le plan n’est jamais le même.
Dans Karak, autre jeu de plateau façon « dungeon crawler », on tire au hasard des tuiles qu’on viendra poser sur le plateau afin de créer, là encore, un chemin. Certaines tuiles renferment de plus un évènement : loot, combat… Un principe de base très proche de celui du jeu de Tonda Ros.
Le jeu vidéo
Difficile en 2025 de publier un jeu vidéo qui ne vient pas, volontairement ou non, faire écho à un titre plus ancien. À tel point que certains jeux sont devenus des genres (Metroidvania, GTA-like…). De par sa mise en place, le scénario tournant autour d’un manoir qui doit révéler ses secrets, le genre puzzle-game auquel il appartient (parmi d’autres genres), mais aussi l’impact qu’a déjà le jeu sur les joueurs et la critique, on pense rapidement à Lorelei and the Laser Eyes. Cependant, difficile de croire que le jeu puisse être une inspiration pour Blue Prince, dont les premiers jets alors sous forme de jeu de plateau datent, d’après son auteur, de 2016.
Pour les inspirations, il faut plutôt aller voir du côté de Myst et Riven, deux jeux d’énigmes dans lesquels on visite, en vue à la première personne, des environnements mystérieux qui exigent que l’on résolve des puzzles pour continuer à progresser. Ces titres sont souvent évoqués par Tonda Ros dans ses interviews, comme le sont aussi Gone Home ou The Witness, deux jeux que Ros déclare « beaucoup aimer », et qui lui ont montré que de grands jeux pouvaient être développés par de petites équipes, ce qui n’a pas été pour rien dans la décision de l’auteur de commencer à bidouiller avec Unity.
Un autre jeu est directement rattaché à Blue Prince : Riddle of the Maze, développé en 1994 par Interplay, qui adapte le même ouvrage : Maze, Solve The World’s Most Challenging Puzzle, ainsi qu’on le verra ci-dessous.
Des livres
LE livre qui vient en tête assez rapidement quand on joue à Blue Prince, c’est le cultissime La Maison des Feuilles, de Mark Z. Danielewski. Le roman raconte l’exploration d’une maison qui s’avère être plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce qui fera immédiatement penser au manoir de Mount Holy, dans lequel on cherche la 46ème pièce d’une bâtisse qui en comprend 45.
Mais outre ce très gros résumé, l’ouvrage de Danielewski est lui-même un labyrinthe dans lequel notre lecture se perd, et dont il faut appréhender les règles afin d’y progresser. Sa mise en page, quasi expérimentale, est souvent ce qui surprend en premier lieu les lecteurs qui ne connaissent pas l’ouvrage :
Enfin, et surtout, la principale référence de Blue Prince est bien entendu Maze, Solve The World’s Most Challenging Puzzle, de Christopher Manson (à une lettre près, Mansion, « manoir » ! Les joueurs ayant commencé Blue Prince seront sensibles à ce clin d’œil !). L’ouvrage est un livre jeu, un labyrinthe, dans lequel il s’agit d’aller de la pièce numéro 1 à la pièce numéro 45 en résolvant les énigmes qui permettent de passer d’une pièce à l’autre. Non seulement le jeu est dédié à Christopher Manson, mais ce dernier n’est autre que l’auteur des illustration qui, par paires, ornent chaque pièce du manoir de Mount Holy !
Bien avant la chasse au trésor de La Chouette d’Or, l’éditeur de Maze proposait 10 000$ au joueur qui réussirait à atteindre la pièce 45 en un maximum de 16 étapes. Si 12 joueurs ont réussi l’épreuve avant la date limite (et ont partagé les 10 000$), aucun n’a pu résoudre l’énigme de la pièce 45. Combien sommes-nous, dans Blue Prince, à avoir visité la pièce 46 sans avoir pourtant résolu le mystère de la disparition que raconte le jeu ?
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