Black Legend, développé par le studio belge Warcave, en plongeant son intrigue dans une atmosphère du XVIIe siècle faite de capes et d’épées jusqu’ici trop peu exploitée, répare une injustice vidéoludique. Doté d’une excellente intrigue bien ficelée, chargée de rebondissements dans une ambiance poisseuse, sombre et morbide, il semble réunir tous les ingrédients pour vivre une vraie aventure épique.
Il s’agit d’un RPG au tour par tour piochant habilement dans la mythologie flamande de l’alchimie du XVIIe siècle. Nous sommes à la tête d’un groupe de mercenaires, des repris de justice en quête d’une grâce royale. Pour l’obtenir, il faudra se défaire de Méphisto, un puissant alchimiste qui a plongé la bourgade de Grant dans un épais brouillard rendant fous ses habitants.
À cause de ses fidèles cultistes, toute la ville vit dans le chaos et la mort. Soutenu par une poignée d’habitants décidés à résister, notre groupe va devoir s’enfoncer dans les ruelles sombre de Grant et mettre fin aux agissements de Méphisto.
(Test de Black Legend sur Xbox One via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Perdu dans le brouillard
Il faut dire que le challenge que s’est imposé Warcave est de taille. S’attaquer frontalement à un genre revenu sur le devant de la scène vidéoludique ces derniers temps notamment grâce au succès du très réussi Darkest Dungeon en 2016 est déjà en soi un énorme défi. Sachant que la comparaison serait inévitable, les développeurs se devaient d’être irréprochables. Or ici, après seulement quelques minutes de jeu, force est de constater que beaucoup de défauts apparaissent rapidement.
En bref, il nous est possible de voyager avec une équipe de quatre mercenaires, chacun doté d’une classe et de compétences distinctes. Nous avons le choix parmi une quinzaine de classes pour ainsi former le groupe le plus à même de progresser en fonction des adversaires rencontrés. La touche d’originalité du gameplay réside dans l’usage de l’alchimie. En effet, toutes les attaques portées sont d’une nature particulière représentée par une couleur. Quatre couleurs sont utilisables (Rouge, Noir, Blanc, Jaune) et elles ont chacune un effet létal différent.
Pour gagner en efficacité, il va donc falloir combiner ces différents éléments afin de les catalyser et ainsi porter des attaques plus dévastatrices encore. Ces règles sont bien sûr également valables pour nos adversaires.
En fonction de la classe de personnage choisie, un type d’armement nous sera attribué avec ses compétences et alchimie distinctes. Au joueur de faire les bons choix d’équipement pour optimiser sa capacité à catalyser ses attaques.
Malheureusement, avec autant d’informations de jeu à assimiler, le didacticiel se doit d’être limpide. Or ici, avec seulement des cartons de quelques lignes en guise d’explications, que vous pouvez certes lire à loisir, les règles d’alchimie apparaissent confuses et peu claires. Nous voilà dans le brouillard après seulement une heure de jeu. Pour permettre une immersion rapide et une implication totale du joueur, il aurait été de bon ton de soigner le didacticiel grâce à des illustrations contextuelles, de courtes vidéos, quelque chose de plus compréhensible, plus visuel.
La mise en pratique ne nous éclaire pas davantage, car les mécaniques de jeu se révèlent d’une subtile complexité et ne sont pas suffisamment détaillées au cours des premiers instants de l’aventure. Il appartient au joueur de les découvrir par lui-même, et devoir prendre des notes comme un écolier pour espérer progresser apparaît anachronique en 2021.
Un feu follet de plaisir
Une fois ces premières difficultés surmontées arrivent les premières (vraies) phases de combat qui rappelleront à certains les heures passées sur Dungeons & Dragons avec un déplacement case par case.
La dimension stratégique des affrontements prend alors tout son sens. Les emplacements en hauteur, les angles morts, les éléments du décor seront tant de variables qu’il faudra mesurer pour sortir victorieux. Le bestiaire est contenu, mais apparaissant aléatoirement, il rend la rencontre toujours imprévisible et le choix tactique de nos troupes est des plus déterminants. On se surprend à analyser, compter, anticiper pour tenter de prendre l’ascendant sur des adversaires toujours plus nombreux et retors.
La construction de sa stratégie et sa résolution restent le moment le plus grisant du jeu. Mais combien de joueurs auront la patience et l’abnégation pour arriver à enfin profiter de ces heures de labeur à concocter des combinaisons sur une feuille de classeur pour ensuite aller réciter ses gammes face à l’adversité ?
Il est clair que Black Legend ne vous prend pas par la main, mais au contraire s’inscrit aussi dans une tradition du jeu vidéo qui semblait avoir disparu. Celle d’un temps où le jeu savait vous résister et mettait vos nerfs, mais surtout votre intelligence, à l’épreuve.
On est ici dans de la réflexion et de la stratégie pure où il faut, à la façon d’un joueur d’échecs, mesurer le poids de chacune de nos décisions. À la manière de certaines productions actuelles, les pics de difficulté se présentent brutalement et vous n’y êtes jamais prêt. L’échec fera aussi partie intégrante de votre apprentissage.
Il faudra souvent se mesurer plusieurs fois à un type d’ennemi pour en comprendre les forces et les faiblesses. Pour nous y aider, un almanach se trouvant dans votre inventaire les répertorie, vous permettant de vous y référer au cours de vos affrontements.
Une purée de pois esthétique
Côté direction artistique il est douloureux d’admettre que visuellement, ce n’est pas la panacée. L’ensemble fait globalement daté et ne flatte vraiment pas la rétine. La rigidité de notre personnage lors de l’exploration libre n’est pas sans rappeler celle des jeux du début des années 2000.
Les interfaces sont peu ergonomiques et ne sont pas aux standards actuels. Même les plus cléments en la matière en conviendront : tout est sens dessus dessous. Aucune action n’est intuitive et on se surprend à gaspiller nos consommables ou à mal positionner nos personnages, et cela peut avoir de funestes conséquences. Fort heureusement, tous les réglages sont personnalisables, mais il est étrange que cela n’ait pas été davantage réfléchi en amont.
Les décors subissent le même constat, avec des textures baveuses et des environnements qui ne se renouvèlent que peu, participant à une rapide redondance, mais aussi, et cela est plus préjudiciable, on a tendance à se perdre dans ce dédale de ruelles.
On peut regretter l’absence de mini-carte sur l’interface qui aurait pu faciliter l’appropriation de l’espace. Pour orienter le joueur, les développeurs ont fait le choix d’une boussole soutenue par des panneaux indicateurs disséminés dans les différents quartiers de la ville qui s’avèrent paradoxalement d’un piètre secours. Enfin, pour ne rien arranger, l’affichage est souvent à la traîne, nous ramenant sans cesse à l’image d’un jeu d’un autre temps.
L’OST, sans être mauvaise, reste convenue et peu inspirée, mais elle ne cesse d’être couverte pas le son des dialogues qui eux, en plus d’être mal calibrés, ont tendance à cracher et saturer pour finir par devenir inaudibles. Reste à espérer que des patchs et correctifs seront apportés, car il en va du confort de jeu.
Le studio Warcave, malgré la louable volonté d’imprégner ses environnements d’une ambiance dark-fantasy baroque, a sûrement fait preuve de trop d’ambition ou de moyens trop limités pour parvenir à convaincre. Et cela est fort dommage, car on a constamment le sentiment qu’on est passé à peu de choses d’avoir ici un jeu AA sans prétentions, mais aux finitions et aux ambitions abouties.
Difficile de se positionner face à ce Black Legend qui, malgré une intrigue rondement menée, accumule les erreurs techniques à la limite de l’indigent. On ne peut que constater que ce jeu a probablement vingt ans de retard, mais ses qualités sont à chercher ailleurs.
Un joueur non averti n’y verra que la vétusté apparente de ce titre, sa faiblesse technique et l’archaïsme de ses mécaniques d’un autre âge. Black Legend exigera beaucoup d’implication et en ne la récompensant que tardivement, cela peut engendrer de la frustration chez les plus impatients.
À l’inverse, l’amateur du genre va y trouver un jeu qui compense ses lacunes techniques par l’ingéniosité de ses mécaniques et par un haut niveau d’exigence. Black Legend va constamment mettre l’intelligence, le sens de la stratégie et la patience de celui-ci à l’épreuve. Il le sait, cette ville de Grant ne s’offrira qu’aux plus téméraires.