Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. À l’occasion de la sortie de Starfield, nous souhaitions nous arrêter sur ce qui fait l’identité d’un jeu Bethesda.
Peu de studios ont une image aussi clivante que celle de Bethesda. Quelques happy few peuvent se vanter d’avoir autant occupé l’esprit des joueurs sur une aussi grande période, et on rappelle que The Elder Scrolls V: Skyrim (2011) se vend toujours en 2023. Toutefois, beaucoup seront contents de leur laisser cette image de studio aux yeux plus gros que le ventre qui ne finit pas ses jeux, de bugs risibles qui sont autant de munitions pour des memes parfois vindicatifs. Ces mêmes bugs qui rendent parfois impossible de finir le jeu ou ruinent totalement le jeu de rôle (assez dommageable pour des jeux mettant en avant l’immersion) et de micro-transactions toujours plus envahissantes au sein même du jeu (on pense bien sûr à Fallout 76).
Pour comprendre ce qu’est un jeu Bethesda, un petit tour du propriétaire s’impose.
Fondé en 1986, Bethesda Softworks est un studio américain qui développe une quantité de jeux dont la série notable des The Elder Scrolls qui les fera connaître. Après 2001, suite à la croissance de l’entreprise, le studio de développement devient Bethesda Game Studios et Bethesda Softworks la branche éditoriale. Toujours grâce à une croissance très positive, Christopher Weaver et Robert A. Altman, les fondateurs de Bethesda Softworks, fondent ZeniMax Media, entité à la tête des studios Bethesda. Petit saut dans le temps qui a toute son importance, le 9 septembre 2021, Microsoft finalise le rachat de ZeniMax Media, l’univers Bethesda et toutes les licences affiliées deviennent donc propriétés de Microsoft.
Il est important de comprendre que Bethesda pèse lourd. Si le rachat de Zenimax se fait grâce à la somme vertigineuse de 7,5 milliards de dollars, c’est parce que ZeniMax est un gros poisson. L’entreprise a déjà opéré quelques OPA très juteuses peu de temps auparavant. ZeniMax a en effet racheté Fallout à Interplay en 2004, Id Software (Doom, Prey, Quake, Wolfenstein, Rage) en 2009 et les Français d’Arkane Studios en 2010 (Arx Fatalis, Dishonored, Deathloop, Redfall). Bethesda joue donc bien un rôle de développeur connu de tous, mais également d’éditeur avec de nombreuses licences très en vue. D’autant plus que la société américaine a les deux pieds dans l’industrie du jeu vidéo, puisqu’elle assume aussi bien le rôle du développeur que celui d’éditeur.
À l’origine était le RPG
On peut difficilement parler de Bethesda sans parler de la série des Elder Scrolls. Cette licence, dans ses origines, est à l’image de son studio, exclusivement PC. Dans un univers jouant la carte de la fantasy et du RPG, les Elder Scrolls ont cette image de jeu difficile qui ne séduit qu’un public de niche, les amateurs de D&D principalement. Déjà, on constate l’ambition du studio avec le deuxième opus de la licence, Daggerfall (1996), qui montre une carte gigantesque pour l’époque, et une influence très marquée par la série des Ultima, jeux de rôle développés au début des années 80 et référence quasi biblique encore aujourd’hui. Cette volonté de créer un monde à part entière et où le joueur se crée lui-même son histoire restera une constante dans les créations du studio.
Le tournant de Bethesda se situe dès Elder Scrolls III: Morrowind (2002). Bethesda veut changer la donne et sortir de sa niche en publiant son jeu sur Xbox. La société essaie donc d’aller chercher un public plus large et ça se passe à l’époque dans le salon, car la culture PC est encore underground et le plus gros du marché ne se trouve pas là. Le studio n’y parvient que modestement, mais la lancée est actée : Oblivion (Elder Scrolls IV – 2006 sur Xbox 360 et un an plus tard sur PS3) confirme l’envie du studio de prendre ses aises sur les consoles de salon. Avec la sortie de Skyrim en 2011, le studio enfonce le clou et bat absolument tous les records avec plus de 7,5 millions de ventes en une semaine et des ventes qui continuent même après dix ans… (Il est estimé que 60 millions d’exemplaires ont été vendus au total en 2023.)
Bethesda n’occupe cependant pas seulement le terrain de la fantasy. Suite au rachat d’Interplay en 2004, le studio américain développe Fallout 3 (2008) et Fallout New Vegas (2010) qui sont de gros succès également (4,5 millions de ventes pour le premier et 5 millions pour le deuxième, soit deux fois plus que les deux premiers jeux d’Interplay). Les deux premiers Fallout sont des monuments du jeu vidéo et leur influence est encore palpable dans les jeux de rôle actuels. Avec le succès, on voit que Bethesda arrive à démocratiser une licence tout aussi difficile d’accès que l’était Elder Scrolls à ses débuts. En effet, dans les différentes propositions de gameplay, Bethesda cherche toujours à séduire de nouveaux joueurs, des plus occasionnels aux vieux de la vieille passionnés par les aspects les plus abrupts du RPG.
Le choc Skyrim
Très attendu, Skyrim est un succès retentissant. Même si la campagne marketing était brillante, on peut tout de même se demander pourquoi le succès est aussi fracassant ? En 2011, beaucoup de très bons jeux sont sortis, dont certains sont devenus des classiques : Portal 2, The Binding of Isaac, Minecraft, mais aussi un dénommé Dark Souls… Avec une telle liste, loin d’être exhaustive, certes, on constate que peu de jeux occupent le même terrain et la même cible que Skyrim, sauf peut-être… Dark Souls. Évidemment, bien que la proposition artistique diffère, la cible des deux jeux est peu ou prou la même : le féru de RPG et de fantasy. Comparer ces deux jeux mythiques et incontournables s’avère être un exercice amusant qui peut aussi amener à certaines réflexions intéressantes : est-ce que la proximité des dates de sortie de Skyrim et Dark Souls aurait fait glisser la niche de la fantasy ? Comment deux propositions de level-design radicalement différentes (monde ouvert permissif pour l’un, labyrinthe d’orfèvre pour l’autre) ont pu tous deux trouver leur public ? Est-ce qu’un gameplay rudimentaire à la Skyrim peut encore séduire après Dark Souls ? (Question qu’on peut légitimement se poser pour Elder Scrolls VI, et aussi pour Starfield).
Mais revenons à nos moutons avec la proposition de level-design de Skyrim. On le sait, Bethesda aime proposer des univers vastes et immersifs qui mettent en avant le côté jeu de rôle : l’incarnation d’un personnage unique. Skyrim propose une map très grande qui donne une sensation de liberté encore peu connue. Le monde ouvert est en 2011 dans une situation bien différente de celle de 2023. Si aujourd’hui, le monde ouvert est synonyme d’excès, de cartes du monde surchargées d’activités secondaires inintéressantes et de villes vides de toute substance où l’interaction avec les habitants est inexistante, en 2011, il est la source de nombreux fantasmes. À part peut-être Rockstar avec GTA III (2001) et Red Dead Redemption (2010), les studios sont plutôt timides à l’idée de proposer un monde gigantesque où le travail de développement l’est tout autant. Bethesda relève pourtant le défi et le fait avec brio avec Skyrim.
Le jeu propose un monde en relief, chose encore rarement vue, avec des chaînes de montagnes omniprésentes et un monde souterrain (habité par les dwemers) totalement interconnecté et qui recouvre presque l’entièreté du monde de Bordeciel. Là où Skyrim fait fort et réussit son coup côté RPG, c’est dans la qualité organique de son monde. Dans Skyrim, on a cette sensation de parcourir un monde bien plus vieux que nous et qui n’a pas besoin de nous pour continuer à exister. On peut décider de devenir bibliothécaire et de récolter les livres de tout Bordeciel pour les stocker dans sa maison (oui, quelqu’un l’a déjà fait) ou bien de totalement oublier la quête principale pour devenir le plus puissant mage de la contrée.
On peut également saluer la volonté de donner à voir un monde réaliste qui n’a pas besoin d’indications artificielles. En effet, il est possible de s’orienter dans Bordeciel sans carte et sans balises et autres repères. Les panneaux placés au bord des routes permettent de trouver son chemin et aucune aide extérieure n’est nécessaire pour trouver son objectif avec un peu de persévérance. L’ATH est également agréablement aéré, peu d’informations apparaissent sur l’écran pour mettre en avant l’immersion. Le studio cherche à créer un monde immersif et à respecter le joueur sans le prendre par la main pour le mener d’une quête à l’autre. En cela, il peut décider de faire son chemin seul, sans aucune aide. Un studio qui fait confiance à ses joueurs, ça fait du bien !
L’autre force du jeu est cette faculté à atteindre plusieurs cibles. Vous aimez les Sims ? Dans Skyrim, vous pouvez vous marier, devenir propriétaire et meubler votre maison comme il vous plaît. L’attachement à votre personnage est même comparable au jeu d’EA. Vous aimez l’exploration ? Vous avez l’un des plus grands terrain de jeu pour l’époque. Vous aimez le RP ? Vous pouvez endosser le rôle d’un fieffé assassin et intégrer une guilde qui vous encouragera à poursuivre votre carrière. Bref, le jeu permet à beaucoup de se plaire à Bordeciel et pour un nombre infini de raisons.
Là où Skyrim joue aussi une carte intéressante, c’est au niveau de l’accessibilité de son gameplay. Si l’on reprend l’exemple de Dark Souls qui fait le choix de l’exigence, de l’apprentissage préalable d’une sorte de chorégraphie dès le premier ennemi du jeu, Skyrim fait quant à lui le choix d’un gameplay très rudimentaire. Un bouton pour attaquer, un bouton pour se défendre. Ce gameplay réduit à son maximum est une force comme on l’a vu, mais aussi une faiblesse. Tout le monde peut prendre part aux combats et appréhender au bout de quelques minutes ce que le jeu attend du joueur. Mais cette simplicité est au détriment d’une certaine nervosité et d’une certaine profondeur qui conduit à une boucle de gameplay très resserrée (on parle ici surtout du combat). On pourra tout de même varier son gameplay autour de trois styles bien marqués de personnage : le voleur, le mage et le combattant. Ce qui nous amène à l’autre particularité du studio : le jeu sandbox.
Skyrim est un jeu qui ne propose pas de réel système de classes, ce qui est plutôt novateur pour un RPG. Là où Oblivion proposait une affinité avec telle ou telle divinité qui permettait de spécialiser son personnage en le faisant tendre vers une « direction » dès le menu de création de personnage, Skyrim ne propose que le choix de la race et du genre de votre avatar. Vous pouvez très bien décider de devenir un magicien et de tomber sur une épée, 50 heures de jeu plus tard, beaucoup trop attirante pour ne pas embrasser la voie du guerrier en armure lourde. Votre façon de jouer vous appartient comme vos objectifs. Bethesda prend ici une décision qui va à rebours de la tendance pour les jeux RPG. Le sandbox à la Bethesda permet une malléabilité et une expérience de jeu beaucoup plus riche, mais appauvrit les possibilités d’optimisations de builds, de theory crafting et autres joyeusetés de joueurs plus hardcores. Le studio opère clairement selon un parti pris sur ce point et annonce la couleur : l’accessibilité et le plaisir de jeu dans sa forme la plus simple.
Autre point sur lequel il faut impérativement s’attarder en quelques lignes : le modding. Le modding fait partie intégrante de l’identité de Bethesda et est disponible sur la totalité des jeux Bethesda depuis Morrowind. L’outil de modding permet aux joueurs de créer ses propres quêtes, son histoire, et même de recréer un jeu à part entière (Enderal, le mod le plus connu de Skyrim, représente plus de 100 heures de jeu à lui seul). Si l’outil a pu lancer des carrières de développeur pour les moddeurs les plus passionnés, donner accès au code source de son jeu est aussi un geste fort de la part de Bethesda. Le modding incarne une liberté rafraîchissante et presque jamais vue dans le monde du AAA, et crée une connexion forte entre la base de joueurs (les clients) et le studio (son image de marque). En 2011, il n’a jamais été aussi facile d’implémenter un mod, car c’est la sortie du Steam Workshop qui permet en quelques clics d’obtenir un mod sur Skyrim, ce n’est plus la peine de mettre les mains dans le cambouis et d’être un expert en informatique pour profiter de l’expérience du modding. Il est amusant de voir que le succès de Skyrim est un véritable alignement des planètes.
Car un autre phénomène explique aussi l’inondation presque ad nauseam des images du jeu à l’époque de sa sortie : le plein boom des plateformes internet. En 2011, Twitch est définitivement lancé et il abreuve l’internet d’images de Skyrim. Il faut très peu de temps pour que le jeu devienne un symbole de la pop culture, les différents memes moquant le jeu autant que ceux qui l’encensent jouent clairement en sa faveur. Skyrim fait rentrer le jeu vidéo dans une nouvelle ère marketing en s’appropriant une diffusion de masse. Bethesda sait également y faire et développe des portages sur toutes les plateformes existantes : de la Switch en passant par la Xbox 360 jusqu’à la Series et bien sûr en faisant un tour chez Sony (PS4 et PS5). Bethesda occupe clairement le terrain des réseaux, mais aussi celui des consoles. Le studio fait définitivement parti du décor et pèse dans l’industrie de manière indiscutable.
Pourtant, une ombre vient pointer le bout de son nez sur ce tableau qui avait tout pour plaire, et c’est en 2018 que l’image du studio perd de sa superbe.
Sortie apocalyptique
À l’aune du succès retentissant du dernier The Elder Scrolls, Bethesda décide de continuer son avancée avec une autre licence : Fallout. Si Fallout 3 (2008) et encore plus certainement Fallout New Vegas (2010 ; à noter que Bethesda n’est qu’éditeur sur ce titre) étaient des réussites critiques comme publiques, Fallout 4 (2015) est beaucoup moins bien reçu. Quelques années plus tard, Bethesda se tire même une (voire plusieurs) balle dans le pied avec Fallout 76 (2018). Pourquoi le soufflet est-il retombé aussi brusquement ? Comment un studio à qui l’avenir semblait si prometteur a-t-il pu perdre autant d’estime de la part des joueurs ?
Petit retour en arrière. Quand Fallout 3 sort en 2008, quelques critiques émergent ici et là pour alerter sur le changement de ton de la série qui se voulait extrêmement corrosive et impertinente (la possibilité de vendre des enfants comme esclaves dans le deuxième opus parle d’elle-même). L’écriture du troisième volet paraît aux fans comme étant beaucoup trop gentille, mais Fallout New Vegas vient corriger tout cela avec une écriture plus mature et un scénario plus travaillé, plus abouti. Les tensions sont apaisées et beaucoup sont confiants pour la suite. Or, en 2015, Fallout 4 semble être un pas en arrière par rapport à New Vegas. Les attentes étaient pourtant multiples, laisser du temps au prochain The Elder Scrolls et mettre d’accord les fans des premiers opus comme les nouveaux venus prêts à arpenter les terres désolées.
Fallout 4 est boudé. Le jeu abandonne de plus en plus le côté roleplay de la série (qui en est pourtant la plus emblématique représentation) et se dirige vers un jeu de tir plus nerveux avec un feeling des armes plus travaillé (sound design et sensation de tir améliorés). Pourtant, le jeu n’atteint pas la cheville des cadors du genre (Battlefield V, Far Cry V et consorts sont des licences de jeux de tirs qui sortent la même année). Sachant que le point fort de la série n’a jamais été le FPS, la confusion chez les fans de la première heure est totale. De ce point de vue, le quatrième volet ne fait pas exception : on constate une IA très brouillonne et des phases de tirs très peu tactiques, des ennemis qui n’exploitent quasiment pas les couverts, bref, les amateurs de jeux de tirs n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent… Du côté jeux de rôle, d’autres sorties font également de l’ombre au titre de Bethesda : Kingdom Come: Deliverance et Divinity: Original Sin II dans sa version définitive, entre autres, alors autant dire que la concurrence est très rude. Mais là non plus, Fallout 4 ne brille pas. Le niveau d’écriture est en berne et l’espoir qui sommeillait chez les amateurs de New Vegas vacille.
Pourtant, Fallout 4 a clairement une intention de plaire au plus grand nombre : des combats plus travaillés comme on l’a dit, mais surtout la simplification à l’excès des perks ou même l’abandon de la survie qui relègue le côté RPG très loin derrière exaspèrent une partie du public. L’écriture, presque comique tant elle est conventionnelle et sérieuse, ne participe pas non plus à une remontée de l’estime du public. La quête principale est la cerise sur le gâteau branlant qui menace de tomber à tout instant : pas assez exploitée et quasiment anecdotique. Les quêtes annexes sont quant à elles des prétextes pour parcourir le monde et sont trop peu mémorables. Le jeu se voit rapidement voué aux gémonies et les quelques défenseurs de la licence du jeu n’offre que peu de résistance.
D’autant que le studio a la triste réputation de sortir des jeux souvent mal optimisés avec des bugs importants. On ne se livrera pas à un catalogage, mais on peut souligner l’ambition du studio de proposer des jeux en monde ouvert, solo, avec un staff particulièrement réduit (le studio n’avait « que » un effectif de cent personnes pour Skyrim). Même s’il est clair qu’on ne peut défendre un studio qui sait ses jeux non terminés à 100% à leur sortie et se repose sur sa communauté pour les finir gratuitement (et qui a tenté parfois de prendre une commission sur le travail des moddeurs, mais nous y reviendrons), les jeux sont d’une ambition folle et jusqu’à 2023, aucun réel concurrent à Skyrim n’a vu le jour (The Witcher 3 peut être évoqué, mais il est tout à fait différent dans son narrative design et sa conception).
Alors oui, Bethesda met au monde des jeux sandbox et une narration environnementale dans lesquels les quêtes ne font pas tout. L’identité des jeux Bethesda repose sur une histoire personnelle qui engage le joueur. Le principe étant de laisser le joueur se faire sa propre expérience dans un monde dit « organique », mais là aussi, Fallout 4 déçoit. Le monde semble être un copié-collé d’une œuvre post-apo lambda, le personnage du joueur n’a qu’un impact minime sur le monde (c’était pourtant une réussite dans Skyrim), les dialogues sont dépouillés de toute profondeur et les choix sont quasi nuls : on se retrouve trop souvent à accepter une quête sans vraiment avoir son mot à dire. Fallout 4 est une déception pour la communauté, mais le pire reste à venir.
2018 marque un véritable tournant pour Bethesda. Fallout 76 (2018) est attendu de pied ferme par une communauté déçue, mais qui croit encore à un possible retour de la licence. En 2018, la mode est à la rétention des joueurs. Les jeux services sont donc un des moyens les plus efficaces pour y parvenir et c’est logiquement que Bethesda propose un mode multijoueur sur son prochain jeu Fallout. En dehors des habituels bugs et problèmes techniques, Fallout 76 continue avec un gameplay peu innovant, mais ce n’est pas sur ce point que le jeu était attendu. C’est sur l’écriture et la liberté accordée aux joueurs que la déception est unanime.
Bethesda semble ne pas accorder d’importance aux remarques de ses joueurs les plus anciens et paraît plutôt tendre le main à une nouvelle base de joueurs grand public. La politique du studio fait débat : la monétisation dans Fallout 76, notamment son système de boutique interne, fait très peur à la communauté. Des polémiques violentes éclatent avec des éditions collectors promettant des produits de qualité qui s’avèrent trompeurs (la polémique du sac canvas de Fallout 76). L’image du studio s’assombrit, mais surprend peu quand on sait que Bethesda a toujours cherché à faire de l’argent et parfois de manière très avant-gardiste.
Il ne faut pas oublier que l’inventeur du DLC est Bethesda, ce qui en dit long. La selle de cheval dans Oblivion est le tout premier DLC de l’histoire du jeu vidéo (DLC rendu délicieusement caduc avec des mods gratuits qui permettaient d’avoir une selle encore plus belle). De manière récurrente, le studio va imaginer plusieurs moyens innovants pour faire plus d’argent, remettant souvent en cause son image : un abonnement tout droit sorti du chapeau donnant droit à une connexion prioritaire sur Fallout 76 et des ressources mensuelles dans le shop, une monétisation des mods faits par la communauté pour en ponctionner une part (le service aura tenu quelques jours en l’absence de réelle législation sur le droit d’auteur principalement)… Oui, Bethesda propose des contenus artistiques, mais est aussi une entreprise qui cherche à faire de l’argent, toujours plus d’argent. Le problème est le suivant : boit-on un coca comme on joue à Fallout ? Rien n’est moins sûr.
Quand on parle de Bethesda, on est donc forcément un peu dans l’embarras. Un peu comme d’autres studios (Blizzard, pour n’en citer qu’un), le studio a mis en branle certaines tendances (brillantes et fallacieuses dans un second temps) dans l’industrie du jeu vidéo et a engendré des ventes colossales jusqu’à devenir incontournable. Et comme ces autres studios, Bethesda n’a cessé de décevoir jusqu’à obtenir une réputation de studio mercantile délaissant les fans qui ont contribué à son succès passé. La relation qu’entretiennent les fans comme certains autres joueurs moins attachés à Bethesda est complexe, jamais la frontière entre amour et haine n’aura été aussi floue.
Et maintenant, qu’est-on en droit d’attendre de la part de Bethesda ? Est-ce que le studio s’est remis en question ? Va-t-il continuer dans la voie « simpliste » sur laquelle il s’est engagé et donc définitivement abandonner une partie de son public ?
Retrouver les étoiles
Un peu de nuance : Bethesda est une entreprise assez unique dans l’industrie du gaming, car sa gestion RH est différente. Avec des effectifs beaucoup moins importants – ce qui est déjà un facteur à prendre en compte –, le turn-over de la boîte est très bas. Les seniors de Bethesda sont conservés et le studio gagne un réel savoir-faire qui n’est pas à sous-estimer. Prenons comme exemple la personne de Todd Howard, visage indissociable de Bethesda, qui est entré en 1994 et est resté depuis, et ce, même après des conférences calamiteuses qui sont restées dans l’histoire d’internet. Cette vision d’entreprise, à travers la gestion RH, montre une vision basée sur le long terme et une tradition quasi filiale. On pourrait donc croire que le changement de direction, via une base salariale inchangée, paraît peu probable. Pourtant, certains studios ont montré que puiser dans ses racines pour se renouveler et accoucher de titres passionnants et rafraîchissants est possible (Id Software avec Doom, Nintendo depuis la création de l’univers…). Le mot d’ordre est donc : wait and see !
Beaucoup attendent le dernier bébé de Bethesda : Starfield (2023). Plusieurs raisons font que les projecteurs sont braqués sur ce jeu. Bethesda est devenu le fer de lance de Microsoft dans la guerre des consoles. Les ventes de Starfield seront donc décisives et seront un marqueur financier, mais tout autant émotionnel après le traumatisme Redfall (2023) qu’a connu Microsoft, et encore plus intimement Bethesda, éditeur sur ce jeu. Il s’agit donc de montrer aux joueurs pro-Microsoft qu’ils peuvent encore faire confiance à ses studios first-party. Aussi, Bethesda a toujours eu cette image de bricoleur qui créait des jeux gigantesques avec les moyens du bord, ici, Microsoft est un réel soutien financier et les bugs à la pelle ne sont plus envisageables. Starfield est une nouvelle licence, mais juxtaposée à Fallout et The Elder Scrolls, elle doit se montrer à la hauteur. Bethesda est donc clairement attendu au tournant, d’autant plus que comme on l’a vu, les dernières sorties du studio avaient clairement déçu. Starfield va aussi devoir faire ses preuves par rapport à son gameplay, Bethesda ne pouvant plus faire l’impasse après la vague des Souls, et il va aussi devoir montrer ce que le studio a dans le ventre pour The Elder Scrolls VI.
Là où Bethesda avait clairement montré sa capacité à créer des mondes ouverts pertinents et organiques, il avait aussi montré ses faiblesses d’écriture et des limites de gameplay sur ses derniers jeux. Toutefois, on espère sincèrement que les équipes de chez Bethesda vont bien. On ne minimise que trop les conditions de travail stressantes (culture du crunch, qui est apparemment en récession chez Bethesda) et la pression énorme qui pèse actuellement sur le studio. Nous souhaitons au studio, pour un bénéfice mutuel, de sortir un très bon jeu, que cette escapade dans les étoiles leur soit bénéfique et qu’elle nous procure de nombreuses heures de jeu. Dans tous les cas, rendez-vous dans le plus spacieux des mondes ouverts le 6 septembre.