Pour celles et ceux ayant fait Undertale (2015), Third Editions a sorti récemment un livre revenant sur « l’anomalie » vidéoludique qu’incarne Undertale. En effet, le livre que nous allons vous présenter est plutôt réservé aux personnes ayant une idée assez développée de ce qu’est Undertale. Comme le dit Corentin Benoit-Gonin, l’auteur du livre, et ce dès le préambule en guise d’avertissement, si vous vous mettez à lire ce livre par pure curiosité sans avoir jamais joué au jeu ou sans même le connaître vaguement, vous allez clairement patauger pendant les quelque 200 pages délivrées par l’auteur.
Jeu atypique, Undertale raconte l’histoire d’un jeune enfant tombé dans l’Underground qui fera tout pour remonter à la surface pour rejoindre les siens, car si les Humains restent à la surface, ce sont les Monstres qui peuplent l’Underground. Pitch assez simple qui sera un peu l’arbre qui cache la forêt. Si le jeu paraît extrêmement rudimentaire dans les premières minutes, c’est une réelle complexité souterraine qui structure le jeu : fins multiples, parodie de narration, un côté méta, des relations entre personnages complexes… Bref, ce jeu avait besoin d’un livre qui tente de décrypter son sens et son gameplay, et on vous le donne en mille, c’est chose faite !
Toby Fox alias Undertale
Difficile de parler d’Undertale sans parler de son créateur : Toby Fox. Car oui, Undertale est un jeu indépendant, mais il est aussi un one-man game (comme on pourra le lire, ce n’est pas tout à fait vrai, mais la majorité du travail a été abattue par Fox). Si Undertale est une véritable infusion de la personnalité de Toby Fox, c’est parce que l’influence de tous les jeux de son enfance est palpable. La première partie du livre revient sur l’enfance du créateur et de son éveil vidéoludique bercé par la SNES. Autant dire que Brandish, Mother, Earthbound, Secret of Mana, Chrono Trigger, Final Fantasy VI sont des titres importants pour le petit Américain.
Corentin Benoit-Gonin dresse un tel portrait de Fox qu’on dirait presque que le jeune homme était destiné à produire un jeu comme Undertale : passionné par la musique, un humour méta et absurde développé largement via Homestuck et un amour débordant pour le RPG, c’est un véritable alignement des planètes qui place le passionné en position de réaliser un jeu pas comme les autres.
La culture internet. Grande histoire d’amour pour Toby. S’étant fait connaître largement avec un ROM Hack, il doit énormément à Internet. Starmen.net, Tumblr, autant de canaux qui ont participé à le mettre en avant et à propulser Undertale dès sa sortie. On sait que c’est largement le bouche-à-oreille qui aura fait marcher le jeu. Toutefois, une certaine base de fans a aussi largement aidé à donner une assise de ventes à Undertale.
La culture internet, donc. Toby Fox le dit lui-même : sans internet, il n’aurait jamais pu jouer à autant de jeux et se forger la culture qui est la sienne. Époque largement révolue où l’on se procurait sur la toile à peu près tout et n’importe quoi sans aucune contrepartie ; vous l’aurez bien compris, l’illégalité n’est pas loin.
Toby Fox aura au moins le chic d’être plutôt large sur ses droits d’auteur sur Undertale. Petit exemple : compositeur principal des musiques d’Undertale, il n’hésite pas à dire à Alpharad, YouTuber américain qui utilise Dating Start!, musique composée par Fox, de « dire à Nord VPN qu’il l’a composée lui-même » lorsque celui-ci lui demande l’autorisation d’utiliser sa musique contre rémunération. Cet exemple montre clairement que Toby Fox sait d’où il vient et cette tolérance se retrouvera un peu partout chez lui.
Le RPG comme boussole et comme prétexte
On peut facilement dire d’Undertale qu’il est un jeu qui parodie allègrement. Si vous n’avez jamais joué à un RPG avant de jouer à Undertale, vous allez passer à côté d’énormément de sous-texte et d’allusions. Toby Fox s’est abreuvé de RPG, et plus spécifiquement de J-RPG. Comme on a pu le dire plus haut, cette époque faste du J-RPG, que certains qualifient d’âge d’or du RPG (un livre de Third Editions sur ce sujet sort au moment même où nous écrivons ces lignes), Toby Fox l’a vécue, et à fond. Comme une éponge, il a pu absorber tous les tropes du genre et les détourner dans Undertale pour s’affranchir des codes et pousser l’expérience RPG dans ses retranchements.
« Il parle finalement de tous ces jeux qui possèdent bien entendu leurs spécificités (NDLR, les J-RPG), mais dont les tropes et les similarités finissent par sauter aux yeux. La prophétie annonciatrice du héros qui sauve le monde. Le héros obstinément mutique, qui se réveille en retard, souvent pour aller à un quelconque rite initiatique. Les utilisations de l’imagerie chrétienne ou du folklore nordique. » p.31, « L’anomalie Undertale », Corentin Benoit-Gonin.
C’est avec une malice certaine que le développeur propose une expérience RPG unique qui, au final, ne l’est pas tant que ça… Si l’auteur de « L’anomalie Undertale » décrypte le jeu et l’épluche tel un oignon (oui, oui), la complexité du titre étonne même lorsque l’on a fini celui-ci. À l’aide d’outils théoriques complexes, Genette, Derrida et Barthes sont cités dans « L’anomalie Undertale » (pas d’inquiétude, l’auteur vulgarise parfaitement), et le livre démontre clairement l’ambition assez folle du jeu et aide à sa compréhension. Si l’un des objectifs du jeu était de donner des clés de compréhension de l’œuvre, on peut dire que c’est une réussite.
L’importance de la musique
Comme dit plus haut, Toby Fox est un musicien et c’est lui qui a principalement œuvré à la création de l’OST d’Undertale. Si vous avez envie d’en savoir plus à ce sujet et d’avoir un avant-goût du livre, sachez que chez Third Editions, un podcast entier est dédié à la musique d’Undertale. Le Sound Teams #17 revient sur la création musicale, les sources d’inspiration de Fox et sur des éléments très importants de sa musique comme le leitmotiv.
Si la musique n’est pas trop votre truc et qu’octave est seulement le prénom d’un ami d’enfance, pas de souci, « L’anomalie Undertale » vous initiera au pont, à l’ostinato, à la note tonique et à la note dominante, et en douceur, promis ! Toutes ces notions sont en effet très importantes dans Undertale, car la musique est ici une narration à part entière. Corentin Benoit-Gonin décortique très bien tous les morceaux et accorde un chapitre entier à la musique d’Undertale. Nous avons été bluffés par toutes les informations accumulées par le journaliste sur le sujet.
« T’as vu, c’est méta »
Nous n’aurions pas pu vous parler d’Undertale sans mentionner le côté méta de ce jeu. Avec un personnage capable de charger une sauvegarde plus avantageuse pendant un combat, un jeu qui se souvient de vos précédentes parties, et ce, même lorsque vous désinstallez le jeu, Undertale devient presque dérangeant tant il déborde dans notre réalité.
La spécificité du médium, notion bien vulgarisée encore une fois dans L’Anomalie Undertale, est bien exploitée avec Undertale et incite à une véritable réflexion sur notre consommation du jeu vidéo. Certaines lignes de dialogues s’adresseront directement aux personnes consommant le jeu sur Twitch ou YouTube pour connaître toutes les fins par exemple…
Autre petit exemple de réflexion, l’une des fins exige d’emprunter « la route génocide », c’est-à-dire se forcer à tuer tous les monstres rencontrés. L’expérience est un parallèle du grind bien connu des joueurs de RPG, et encore plus dans le J-RPG. Le grind, c’est cette technique qui consiste à tourner en rond dans les herbes hautes des jeux Pokémon par exemple pour gagner plus d’XP et vous faciliter la tâche pour la suite de l’aventure.
Dans Undertale, les monstres se font de plus en plus rares et les combats se déclenchent de moins en moins souvent, car ils ont peur de vous. Les marchands dans les villes abandonneront leurs marchandises, les habitants ne vous adresseront plus la parole, bref, vous êtes devenu un monstre et le jeu vous le rappellera sans cesse avec des dialogues cherchant à vous faire éprouver des remords.
On questionne ici clairement la mort dans le RPG et la moralité de nos actions. Oui, Undertale est un jeu très moralisateur et peut paraître énervant à ce titre, et il l’est, mais il reste très intéressant dans sa structure.
« Avec son emploi intelligent de la spécificité du médium, Undertale évoque en sous-texte le joueur et le rapport qu’il entretient avec le jeu vidéo. Comme on l’a montré juste avant, le titre manipule au sein de sa propre diégèse un lexique et des procédés exclusifs au médium pour permettre au contenu de parler du contenant. » p. 175, « L’anomalie Undertale », Corentin Benoit-Gonin.
Aussi, le livre parlera de la communauté d’Undertale et soulignera quelques zones d’ombre concernant celle-ci. Bien qu’une part de la communauté soit extrêmement créative (artworks, musique, théorie sur l’univers…), elle peut également apparaître comme particulièrement insistante, voire péremptoire, du genre : si à 50 ans, on n’a pas joué à Undertale, on a raté sa vie. Le livre, comme on peut le voir, revient vraiment sur tous les aspects du jeu.
En définitive, L’Anomalie Undertale de Corentin Benoit-Gonin est un livre qui revient en long, en large et en travers sur Undertale. Avec un travail de fond plus que sérieux, Corentin Benoit-Gonin recouvre la genèse, la sortie et l’après Undertale, le tout en donnant des clés de compréhension de l’œuvre de Toby Fox que nous n’aurions jamais devinées. La vulgarisation de certaines notions parfois complexes, aussi bien dans la musique qu’avec des théoriciens généralement cantonnés à la critique littéraire, se fait très facilement et c’est à l’auteur qu’on le doit.
On s’amusera de voir que L’Anomalie Undertale agit comme un miroir avec Undertale. Une certaine abstraction graphique avec une totale absence d’images et un sous-texte très amusant avec des notes de bas de page toutes bien senties qui provoqueront parfois un petit rire. Des notes de bas de page qui font réfléchir également, on pense notamment à la soi-disant interaction propre au jeu vidéo qui est ici mise à mal dans une note de côté de page immense qui montre bien l’interaction qu’on peut avoir avec la littérature.
Corentin Benoit-Gonin, que l’on peut retrouver chez Silence on joue, véritable institution, fait clairement le café avec ce livre et il fait même plus : il donne envie de jouer. Et pas seulement à Undertale. En convoquant certains jeux, celui-ci nous invite à jouer ou à rejouer à Earthbound évidemment, mais aussi à Bioshock Infinite, Doki Doki Literature Club!, Metal Gear Solid V, bref, la liste est longue. En plus d’éclairer un jeu monstrueux qui en avait bien besoin, le livre apporte quelque chose de fondamental : la passion du jeu vidéo.
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