À bien des égards, la sortie de Xenoblade Chronicles 3 n’aura pas été comme les autres. On pense notamment à l’imbroglio autour de l’édition collector du jeu, mais pas seulement. Alors que la majorité des gros jeux subissent des reports de sortie, celui de Monolith Software a lui vu sa date de parution avancée de plus d’un mois, un cas unique dans un passé récent, pour atterrir sur nos Nintendo Switch le 29 juillet 2022.
Lorsque le premier épisode est sorti sur Wii en 2010, force est de constater que, malgré ses indéniables qualités, il était beaucoup trop ambitieux pour la petite console de Nintendo. Il a fallu attendre dix années pour que sa ressortie sur Switch puisse enfin faire pleinement honneur au travail des équipes de Tetsuya Takahashi. Mais l’histoire ne risque-t-elle pas de se répéter avec Xenoblade Chronicles 3 qui arrive dans un contexte où une nouvelle génération de Switch, plus puissante, est réclamée à cor et à cri ?
(Test de Xenoblade Chronicles 3 sur Nintendo Switch réalisée via une copie fournie par l’éditeur)
L’aventure avec un grand A
Les premières minutes débutent à peine que nous sommes directement surpris par la direction que prend Xenoblade Chronicles 3. Le second épisode prenait le parti de nous proposer une ambiance légère, mettant régulièrement en avant le côté sexy de ses protagonistes. Ici, c’est la guerre, dans ce qu’elle a de plus cruelle et de plus impassible. C’est dans ce contexte que l’on découvre les héros qui nous accompagneront des dizaines et des dizaines d’heures durant. Dans cette atmosphère pesante, tout prend son temps. Chaque détail a été finement réfléchi pour intégrer un univers que de longues cinématiques nous illustrent à chaque moment clé du scénario.
Guerre, mort, trahison, complot, pardon, etc. Les thèmes abordés tout au long du jeu ont beau être nombreux et variés, tous sont traités avec une grande justesse, parfois même beaucoup de pudeur, permettant à l’ensemble de gagner en crédibilité. Rarement une intrigue nous aura autant happés, sans jamais nous ennuyer. Mais pas seulement, les différents personnages qui composent notre équipe ont aussi bénéficié d’un soin particulier.
Chacun de nos héros a sa propre personnalité, ses propres traumas, envies et qualités dans un univers où ils n’ont que deux avenirs possibles : la mort au combat ou la fin programmée de leur vie après dix ans de service, ou plutôt de servitude. C’est face à cette découverte que d’anciens adversaires vont être contraints de collaborer et explorer ensemble le vaste monde en quête de réponses. Et si l’écriture du passé de nos alliés nous a convaincus, c’est surtout la façon dont ils ont évolué au fil des heures et des révélations qui nous a particulièrement touchés.
Comment d’ailleurs ne pas rendre hommage aux compositions de Yasunori Mitsuda, déjà à la baguette sur le précédent opus ? Il signe là l’une des plus belles OST de sa carrière. Ses musiques offrent un souffle épique incroyable à Xenoblade Chronicles 3. Chaque note sonne éminemment juste, du rythme endiablé pendant les combats de boss jusqu’aux douces mélodies des moments les plus émouvants. Un véritable sans-faute qui permet indubitablement à l’aventure d’atteindre de nouveaux sommets.
Pendant plus d’une centaine d’heures, nous avons vécu une quête résolument mature et très immersive, à quelques mots près. En effet, nos partenaires ont la fâcheuse tendance à utiliser des « brasiers » ou « moucheux » à foison afin de remplacer d’autres termes. On se croirait parfois presque en train de lire un album des Schtroumpfs. D’autant que ces termes ne sont pas nécessairement utilisés pour censurer divers mots vulgaires. Il faut bien admettre que ce choix nous semble douteux et, à la longue, les premiers brasiers qui provoquaient chez nous un sourire gêné ont fini par mouchement nous agacer.
Un pied de géant…
Opulent. Voici l’adjectif qui qualifie le mieux Xenoblade Chronicles 3. Il y a des choses à faire partout, tout le temps. Que ce soit du simple ramassage d’objets sur le sol, des coffres au trésor à découvrir, des quêtes à accomplir ou encore des combats contre des adversaires lambdas ou uniques, on n’a pas de quoi s’ennuyer. Si toutes ces activités ne revêtent pas toujours un intérêt maximal, elles nous poussent néanmoins à explorer de fond en comble chaque mètre carré de la carte.
Si l’intention de constamment nous stimuler est louable et nous aide à mieux appréhender ce gigantesque monde, cela ne se fait hélas pas sans heurts. En effet, en proposant tant d’à-côtés, le rythme global de l’histoire en prend forcément un coup. Heureusement, nous serons régulièrement confrontés à des quêtes annexes, notamment celles liées aux héros, qui s’intègrent parfaitement au récit et permettent de nous garder impliqué.
Hélas, et c’est un peu le problème de tous ces titres proposant une aire de jeu aux multiples objectifs secondaires, il existe une réelle dichotomie entre toutes ces activités secondaires, parfois frivoles, que nous sommes souvent invités à faire, et l’importance de notre quête dont on nous rappelle très souvent le caractère urgent. D’ailleurs, simplement en sortant des sentiers battus pour quelques quêtes annexes, nous avons très vite fini par être d’un niveau bien supérieur aux ennemis rencontrés dans l’aventure principale. C’est assez troublant même de voir à quel point l’équilibre de Xenoblade Chronicles 3 est détruit par la simple invitation à explorer qu’il nous offre en permanence.
C’est dommage d’ailleurs, car le système de combat est particulièrement complet et réussi. Entre un système de classes poussé, une synergie à trouver entre les différentes compétences à débloquer, les fusions, combos et autres enchaînements, il y a de quoi faire. D’autant que contrairement aux précédents opus, la plupart des mécaniques, qui se débloquent peu à peu, sont bien introduites et bénéficient de tutoriels globalement clairs. Mais au final, nul besoin de vraiment tout utiliser, ni même de tout comprendre parfaitement pour s’en sortir.
D’aucuns pourraient d’ailleurs se réjouir de la facilité des combats, pointant du doigt une anarchie visuelle empêchant toute compréhension de la situation. Rien d’inhabituel pour un initié à la saga, mais il est vrai que les mêlées de Xenoblade Chronicles 3 sont saturées d’effets et d’indicateurs auxquels on peut avoir du mal à s’acclimater.
Cependant, au fil des heures, on arrive mieux à appréhender chacun des signaux à l’écran et à optimiser nos positionnements dans le but de remporter la victoire plus rapidement. Car finalement, tant que l’on affronte des ennemis d’un niveau sensiblement équivalent et que notre équipe est un minimum équilibrée, la défaite semble inenvisageable, l’intelligence artificielle pouvant se charger seule de triompher.
… dans un soulier trop petit
Xenoblade Chronicles 3 propose une surface explorable immense et somptueuse… pour de la Switch. C’est d’ailleurs le principal problème du titre. C’est pourtant sans l’ombre d’un doute le jeu techniquement le plus ambitieux de la console. Pour faire entrer sur la cartouche un monde d’une telle taille et d’une telle densité, il a fallu de la part des développeurs un travail titanesque d’optimisation (dont Game Freak devrait s’inspirer).
Mais malgré tous leurs efforts, les équipes de Monolith Software ont dû consentir à de nombreux compromis afin de conserver une fluidité à 30 fps. Ainsi, on sera très souvent confronté à de nombreux décors aux textures disgracieuses et à un clipping omniprésent, avec par exemple l’herbe des plaines qui apparaît comme par magie à quelques mètres seulement de nous. Même la résolution est parfois en chute libre afin que le jeu puisse continuer d’afficher tous ses éléments.
Reste que l’objectif est atteint. Les 30 fps ne sont quasiment jamais pris à défaut et la direction artistique comme la distance d’affichage nous ont presque donné le vertige par instant. Xenoblade Chronicles 3, en dépit de nombreuses lacunes techniques, nous a procuré un incroyable sentiment de liberté et d’aventure.
N’y allons pas par quatre chemins, Xenoblade Chronicles 3 est un titre majeur du catalogue de la Nintendo Switch et sans conteste l’un des meilleurs jeux sorti en cette année 2022. Que ce soit grâce à un scénario mature finement écrit, à un univers gigantesque à découvrir ou aux somptueuses compositions de Yasunori Mitsuda, il s’en dégage à chaque instant un souffle épique qui ne faiblit jamais.
Est-ce suffisant pour lui pardonner ses quelques errements pouvant parfois nuire à l’immersion, le manque de lisibilité des affrontements ou l’équilibre global du jeu ruiné par ses propres aspirations ? Probablement. C’est dire à quel point l’histoire et l’ambiance globale ont su nous convaincre.
On regrette néanmoins que les ambitions de Tetsuya Takahashi ne puissent pleinement se concrétiser. Ses équipes ont beau avoir su utiliser avec brio les ressources d’une machine techniquement dépassée en optimisant au maximum tout ce qui pouvait l’être, on voit que les concessions ont été nombreuses. Xenoblade Chronicles 3 est comme son illustre aîné sorti sur Wii, un J-RPG d’exception sorti une génération de machine trop tôt. Peut-être serait-il enfin temps pour Nintendo de proposer une mise à jour technologique à sa Switch ?