Inquiétant, fascinant, mystérieux, apaisant… L’univers des fonds marins est sans doute l’un de ceux qui nourrit le plus les imaginaires, et c’est celui dans lequel nous emmène le bien nommé Under the Waves. Dans l’obscurité de ce monde silencieux, ce sont aussi les lourdes thématiques du deuil et de l’écologie qui sont brassées, à travers le personnage de Stan qui espère fuir une réalité devenue trop douloureuse en s’embarquant dans une mission solitaire pour une compagnie pétrolière en mer du Nord.
Cette aventure narrative concoctée par Parallel Studio et éditée par Quantic Dream nous amène ainsi à scruter aussi bien les tréfonds de la mer que ceux de l’âme humaine. Avec sa forme très cinématographique (il est d’ailleurs possible de faire disparaître l’interface pour mieux profiter de la vue), elle mise sur une immersion maximale dans cette introspection aquatique qui parvient en dépit du sujet à véhiculer une certaine sérénité. Néanmoins, parvient-elle à donner autant de profondeur à ses thèmes qu’à ses décors ?
(Test de Under the Waves réalisée sur PC à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Des eaux pas si troubles
La progression dans ce décor abyssal ne se fait ni dans l’angoisse de SOMA, ni sous la tension de Subnautica, ni avec l’émerveillement de Abzû. C’est le contrecoup d’une recherche de réalisme qui résulte en une certaine morosité de l’environnement. La faible visibilité, les gouffres et les grottes, les gigantesques structures métalliques qui rouillent sous la surface auraient pourtant tout à fait de quoi se faire le véhicule de l’horreur. Under the Waves fait pourtant un autre choix, qui est d’incarner l’ambivalence de cette atmosphère qui recèle avant tout ce qu’on y projette.
C’est d’abord la musique de Nicolas Bredin, douce et un brin mélancolique, qui vient désamorcer l’aspect oppressant de ce cadre en le transformant, par la puissance des notes, en un territoire calme et apaisant. À ce titre, si certaines pistes se font plus rythmées ou plus énigmatiques, elles ne sont jamais pour autant inquiétantes. À travers la radio de bord, la voix de Tim, liaison de Stan à la surface, permet également de briser la solitude de l’habitacle tout en avançant le fil narratif, de sorte qu’une présence humaine n’est jamais loin pour nous rattacher à la réalité.
Le rapport qu’entretient Stan avec ce monde isolé qui l’accueille évoque Firewatch, mais également des références cinématographiques comme Moon de Duncan Jones. Du fait de l’hostilité inhérente de l’environnement (qui pourrait noyer Stan ou l’écraser sous sa pression), on aurait pu s’attendre à ce que Under the Waves verse plus dans la veine paranoïaque de ce dernier, mais c’est finalement plus à l’introspection paisible du premier qu’il emprunte. En somme, les péripéties se déroulent sans véritable stress pour que l’on puisse profiter au mieux de la narration.
La vie aquatique
Au niveau du gameplay pur, entre les séquences plus libres où l’on pourra décompresser dans notre modeste habitacle, il consistera pour l’essentiel du temps à piloter Moon, notre sous-marin miniature, pour nous déplacer dans les fonds marins, et en sortir de temps à autre pour collecter des objets, manipuler des équipements ou se glisser dans des espaces trop étroits pour le vaisseau. Déplacement en trois dimensions oblige, celui-ci est un peu difficile à prendre en main, et il est d’ailleurs recommandé d’utiliser une manette pour les déplacements à son bord.
Il faut d’ailleurs apprendre à se faire à ses commandes, car les derniers chapitres d’Under the Waves nous réservent quelques passages au cours desquels il faudra le guider à travers des conduits étroits. Si ce mécanisme semble marquer la difficulté croissante de l’aventure, il n’apporte pourtant pas grand-chose en termes de gameplay, et peut s’avérer d’autant plus frustrant que la caméra peine parfois à se placer. Heureusement, ces séquences restent assez sporadiques et on ne manque pas de kits de réparation pour remettre Moon en état lorsqu’on l’a un peu trop brusqué.
Cette remarque est d’ailleurs valable pour l’ensemble des consommables que l’on peut collecter au fil de l’aventure. S’il est possible d’en fabriquer dans notre atelier à partir de matières premières, cela s’avèrera en réalité rarement nécessaire puisqu’on les trouve déjà eux-mêmes en quantité suffisante. L’aspect survie à proprement parler est donc rapidement écarté puisqu’il est pratiquement impossible d’arriver à court de ressources pour peu qu’on soit un minimum vigilant ; d’ailleurs, on finit par se lasser de sortir du Moon pour ramasser tout ce qui traîne.
Sortir la tête de l’eau
Du point de vue narratif, Under the Waves ne part pas nécessairement avec un avantage du point de vue de l’originalité. La thématique du deuil est en effet récurrente dans l’art et peut paraître attendue dans ce cadre esseulé, où les métaphores paraissent un peu trop évidentes : l’isolement, la pression écrasante de la douleur, la difficulté à trouver des repères, la perte de contact avec la réalité… Il y a en revanche un vrai potentiel dans le fait de devoir exécuter des missions de routine, comme l’on doit continuer à vivre, parfois mécaniquement, après un événement tragique.
Les traumatismes de Stan donnent par ailleurs lieu à de superbes scènes de cauchemar, où se mêlent souvenirs et environnement aquatique. Des éléments fantastiques sont également introduits par petites touches, interrogeant sur la santé mentale potentiellement défaillante de notre personnage. Qu’on y voie des hallucinations ou des merveilles d’un autre monde qu’il n’est donné qu’à lui de contempler, ils donnent eux aussi lieu à des visions fascinantes, qui rappellent quelque peu l’expérience en réalité virtuelle Biolum et sa plongée dans l’étrangeté d’une grotte sous-marine.
En fin de compte, le traitement littéraire du deuil reste néanmoins assez balisé, et c’est surtout dans les paysages irréels qu’il induit qu’il trouve une forme de grâce. En ce sens, le fait que beaucoup de questionnements restent en suspens et soient remis à l’interprétation du joueur, à qui il appartient seul de décider de la véracité de ce qu’il voit, semble être le choix adéquat pour amener l’aventure vers sa conclusion. Celle-ci aboutit à une belle séquence finale, où le jeu prend enfin ses libertés avec les décors pour substituer au réalisme un imaginaire grandiose.
L’urgence écologique
L’autre grande thématique de Under the Waves est celle de l’écologie. Stan est en effet aux premières loges pour assister à la destruction de l’environnement par l’industrie pétrolière, qui exploite ses ressources sans vergogne et sans considération pour la vie sous-marine. Alors que le deuil correspond à la trajectoire individuelle et intime du personnage, sa découverte des malversations de son employeur est le fil conducteur qui va guider ses actions pendant l’essentiel du scénario, et l’amener à une autre remise en question sur le sens de sa vie.
Le constat ne se limite néanmoins pas à ce seul démon industriel, puisque les fonds marins sont jonchés de morceaux de plastique, métal et même composants électroniques qui constituent la matière première de Stan pour son atelier. On y trouve également, en plus des épaves de navires, des carcasses de voitures larguées à la mer, des containers abandonnés sur place et autres déchets empoisonnant les mers. Au fil de ces sordides découvertes, le journal de bord de Stan se remplit de notes qui sensibilisent aux conséquences de cette pollution cachée sous la surface.
Là aussi, Stan est frappé par les visions d’une nature qui se rebelle et par l’invasion d’un pétrole devenu proprement monstrueux, défigurant les paysages déjà mutilés par les échafaudages métalliques et conduits en tous genres. Le curseur aurait pu, à cette occasion, être poussé un peu plus vers l’horreur, mais là encore, Under the Waves fait le choix de la modération, afin de rester une expérience avant tout poétique (et politique). L’enjeu est encore et toujours celui d’un équilibre de ton, pour interpeler tout en rappelant la beauté et la fragilité du monde sous-marin.
Chasseur de trésors
Il faudra compter une dizaine d’heures pour compléter l’aventure sans trop se presser. Les complétionnistes auront quant à eux à ratisser le fond de l’océan à la recherche de tous les plans, trésors et autocollants éparpillés aux quatre coins de l’abysse. Pour les dénicher, ils apprendront à se fier aux signes de la vie sous-marine : requins rôdant autour des épaves, poulpes peureux s’empressant de se réfugier dans des grottes… D’ailleurs, il faudra également garder l’œil sur les animaux marins eux-mêmes pour leur tirer le portrait et ainsi valider des missions photos.
Ces objectifs secondaires permettent d’allonger la durée de vie du jeu, mais il faut admettre que se déplacer de marqueur en marqueur sur la carte, les yeux rivés sur son scanner, n’est pas forcément d’un grand intérêt. Ce mécanisme est bien sûr loin d’être propre à Under the Waves, mais les difficultés à manœuvrer le sous-marin peuvent le rendre particulièrement fastidieux. À réserver, donc, aux plus motivés ; les autres auront déjà largement de quoi s’occuper en fouillant les points d’intérêt qu’ils trouveront naturellement au fil de leur exploration.
Under the Waves nous promet un beau périple dans un paysage sous-marin qui paraît d’abord austère, mais se charge peu à peu en magie. En effet, sa poésie se déploie graduellement, au fur et à mesure que le monde intérieur de Stan vacille. À cet égard, le traitement du deuil reste assez prévisible, à commencer par la manière de révéler progressivement le traumatisme du personnage : le procédé semble usé, d’autant que l’on comprend rapidement où le scénario veut en venir. Le démarrage est de fait un peu long, mais l’intrigue prend bien ensuite, étoffée par les notes que Stan rassemble dans son journal et qui permettent de mieux appréhender son histoire et sa psychologie.
Si l’aspect narratif ne révolutionne donc pas foncièrement l’état de l’art et que le gameplay peut quelquefois paraître poussif (surtout lorsqu’il s’agit de couvrir de grandes distances avec Moon), l’ensemble fonctionne finalement plutôt bien, permettant de se sentir pleinement absorbé dans cette aventure solitaire.
En fin de compte, ce brin de lenteur qui nous incite à tout observer est peut-être le gage de l’attachement à cet environnement soigné que l’on verra se transformer et dont on découvrira les entrailles rongées par la cupidité humaine. On salue au passage le soin porté au message écologique, appuyé par un partenariat avec la Surfrider Foundation qui œuvre pour la protection des océans.