Pendant que Supermassive Games prépare son nouveau projet d’envergure nommé Directive 8020, The Casting of Frank Stone débarque, et s’inscrit dans la continuité des précédentes productions du studio anglais (Until Dawn, The Quarry), c’est-à-dire un slasher/survival interactif, lettre d’amour à un genre cinématographique phare des années 80. Une recette radicale de la part du studio, mais qui n’a pas grandement évolué depuis une dizaine d’années.
Attention, twist : nous sommes sur un travail de commande pour les Canadiens de chez Behaviour Interactive, connus pour le jeu multijoueur asymétrique à succès, Dead By Daylight. Cet univers s’étend donc de nouveau avec une expérience solo d’envergure. Ajoute-t-il quelque chose de nouveau à une formule bien rodée ? Et bien, en partie, oui.
(Test de The Casting of Frank Stone réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
I Know What You Did Last Summer
The Casting of Frank Stone ne s’éloigne pas, en grande partie, de l’expérience classique d’un jeu Supermassive : nous incarnons à tour de rôle des membres d’un groupe de jeunes avec un tueur qui leur colle aux basques, et beaucoup de cutscenes avec des choix de dialogues ouvrent sur différents « embranchements » de scénario. Tout cela est entrecoupé de phases d’exploration à la troisième personne avec des collectibles à ramasser, parfois des énigmes, mais surtout des QTE pouvant mener à la mort abrupte de l’un de nos jeunes et fringants héros.
À la manière de Riot Games avec la multiplication des projets cross-média autour de League of Legends, Behaviour souhaite donner du sens et de la texture à son univers horrifique (films, spin-offs), qui ressemble pour l’instant plus à une boutique de souvenirs grotesque qu’à un véritable espace-temps cohérent. Les liens avec l’univers de Dead by Daylight restent minimes en apparence, avec quelques clins d’œil par-ci par-là et une fin qui fait la liaison au chausse-pied, mais l’intérêt du jeu n’est de toute façon pas là.
Les différents embranchements de situation sont visibles dans un menu dédié, la « salle de montage », où est mise en évidence la trajectoire actuelle du scénario et le pourcentage des joueurs ayant suivi cette ligne. La plupart des séquences du jeu sont rejouables en un clic depuis ce menu, nous laissant la possibilité de changer nos choix en pleine partie. Certains des chemins de jeu seront également influencés par les relations entre nos personnages, impactées par nos décisions.
Le jeu jongle principalement entre deux temporalités différentes (1980 et 2024), avec des transitions bien réalisées entre celles-ci, où l’on retrouve certains protagonistes ou leurs descendants. La construction du scénario apporte une vraie singularité, fort appréciable, dans les productions Supermassive qui s’étaient enlisées dans la formule ultra-codifiée du slasher, avec son groupe de jeunes, tous aussi idiots qu’un pied de table, se séparant à la moindre opportunité, et partant en virée dans un chalet ou un camp de vacances pour se faire découper un par un.
L’aventure est entièrement jouable en coopération locale jusqu’à trois joueurs, chacun pouvant incarner les personnages de son choix. Jouées entre amis, les productions de Supermassive Games prennent un tout autre sens : l’expérience est transcendée, et l’on passe d’une virée d’horreur à un véritable moment de partage et de convivialité, rare de nos jours et qui donne du sens au titre, même si ce n’est visiblement pas l’objectif principal du studio.
L’ origine du Mal
Le prologue du jeu se déroule en 1963, où Sam, un flic, vient inspecter une aciérie à la recherche d’une personne disparue. L’introduction se termine par la rencontre et la mort de Frank Stone, autour duquel plane une sombre malédiction liée à des forces occultes, ainsi qu’à une mystérieuse entité traversant les âges.
Les chapitres alterneront ensuite entre les deux temporalités : d’abord en 1980, où nous suivrons une bande d’adolescents réalisant un film d’horreur avec les moyens du bord et armés de leur caméra Super 8, dans la fameuse aciérie, où l’ombre de Frank Stone plane toujours.
Quarante-quatre ans plus tard, nous retrouvons trois nouveaux personnages, dont Linda, la caméraman de notre groupe en 1980, devenue réalisatrice de films de genre. Notre bande de joyeux lurons se réunit dans un gigantesque manoir, rempli de secrets, tous invités par une certaine Augustine, bourgeoise énigmatique et collectionneuse d’artefacts occultes, cette dernière voulant acheter les trois derniers morceaux existants du film de 1980, toute copie ayant disparu de la circulation pour une raison inconnue.
Voici donc le point de départ de notre aventure, vraiment convaincante dans son premier tiers avec l’introduction de tous nos personnages, de la mythologie autour de Frank Stone, d’Augustine, et du mystérieux film tourné par nos héros. Tout cela dans un entrelacement de temporalités (le jeu jouant même avec), franchement bien réalisé et pertinent dans ses alternances, dévoilant petit à petit, et avec parcimonie, le fil rouge de l’histoire et les motivations de chacun, qui, au passage, s’éloignent un peu des stéréotypes du genre et donc des précédentes productions du studio.
La malédiction de Supermassive
Malgré la fraîcheur de la situation initiale, The Casting of Frank Stone traîne aussi les vieux démons du studio : notamment certaines séquences d’exploration trop longues pour leur propre bien (l’aciérie et ses souterrains), ainsi que des environnements remplis de vide une fois passé le premier tiers du jeu, bien mieux rythmé, qui est essentiellement composé de cutscenes et de petits environnements avec quelques collectibles.
Parlons aussi des « énigmes », qui n’apportent strictement rien à l’expérience, mis à part un agacement croissant face au non-respect de notre précieux temps. Pousser des caisses sur 10 mètres pour monter dessus. Sérieusement ? En quelle année sommes-nous ? On espère sincèrement que le prochain projet s’affranchira de toutes ces mécaniques vieillissantes.
Concernant l’ergonomie, malgré des efforts appréciables comme les notifications lorsqu’on atteint un point de non-retour, ce qui nous permet de laisser tranquillement parler notre collectionnite aiguë, et ce sans aucun stress d’en oublier en chemin, certains points sont hautement critiquables. Un obstacle majeur à la rejouabilité, pourtant une des forces des productions Supermassive, est l’impossibilité de passer les cutscenes ou même les dialogues, ce qui rend l’exploration d’autres branches du scénario beaucoup trop pénible. Les choix restent aussi en grande partie une illusion, amenant de petites variations de situation en majorité, mais saluons tout de même leur grand nombre.
Techniquement, The Casting of Frank Stone est une catastrophe sur PC : le framerate est au rabais et instable comme jamais. Vous vous approchez un peu trop d’une lumière ou vous montez sur une caisse ? Hop, chute de 30 frames. Pareil concernant certaines collisions dans l’aciérie et les changements de plans lors des cutscenes.
Quand votre jeu tourne entre 40-60 fps avec des presets en moyen et le DLSS 2.0 en équilibré (RTX 2080, Ryzen 3700X, SSD, 16 Gb de RAM 3600 MHz), il est temps de se poser des questions sur la pertinence d’utiliser l’Unreal Engine 5 quand on n’en a pas les compétences, ou le temps de les acquérir. Merci aussi de prévenir lorsqu’il faut redémarrer son jeu pour appliquer certains paramètres, cela nous aurait économisé quelques cheveux arrachés lors de l’optimisation des settings. Heureusement, le prologue est disponible en guise de démo, ce qui rend l’offre déjà plus honnête et vous permettra de tester votre tolérance à la fluidité exécrable du titre par vous-même.
Hormis sa technique complètement honteuse, The Casting of Frank Stone renouvelle, sur le fond, sa sempiternelle formule empruntée au slasher, grâce à la construction intéressante et bien exécutée de son scénario et de sa mise en scène. Malgré cela, les défauts d’ergonomie qui touchent l’essence même du jeu l’empêchent d’être une véritable nouvelle étape pour Supermassive Games et rendent l’expérience frustrante par moments.
L’aventure reste tout de même agréable si vous arrivez à faire abstraction de l’optimisation, et elle apporte une bonne bouffée d’air frais dans la proposition toujours aussi radicale du studio. Comme ses prédécesseurs, la coopération entre amis transforme le jeu en un catalyseur de liens sociaux et de bons souvenirs, multipliant l’intérêt du titre. Au final, n’est-ce pas ça qui est important ?