Sorry We’re Closed nous avait particulièrement tapé dans le coin des yeux lors des différents showcases indépendants de l’année. Des graphismes low poly de l’ère 32/64 bits, qui ont le vent en poupe chez les indés, mais surtout une esthétique porte-étendard de la contre-culture queer (ayant définitivement infusé la culture populaire, au grand dam des réactionnaires), associée à un « survival horror nostalgique », en faisaient l’une de nos attentes de cette fin d’année.
Premier jeu commercial de « À la mode games », studio britannique composé de deux personnes (l’une ayant été artiste 2D sur Paradise Killer) et édité par les américains d’Akupara Games, l’expérience traite de l’Amour avec un grand « A », et ce, d’une manière relativement atypique pour le médium. Ne gardons pas la surprise plus longtemps : c’est une grande réussite, et les réflexions posées par le jeu nous resteront longtemps en tête.
(Test du jeu Sorry We’re Closed sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Une solitude à en crever
Michelle n’arrive pas à faire le deuil de sa relation amoureuse, pourtant terminée depuis trois longues années, et qui n’a été pour elle qu’un long face-à-face avec le néant. En rentrant de son boulot de vendeuse dans un magasin d’un petit quartier londonien (comprenez : triste et déprimant), elle est victime d’une paralysie du sommeil, durant laquelle un démon à l’apparence androgyne et affriolante fait irruption dans son appartement. Celui-ci, nommé « La Duchesse », perçoit sa solitude accablante et lui ordonne de tomber amoureuse d’iel fissa.
“Iel cherche le grand amour. C’est son fardeau, iel cherche un amour à saisir, mais on sait que l’amour ne se prend pas, il se donne.” – Marty à propos de La Duchesse
La Duchesse est en quête d’amour et marque ses prétendantes du troisième œil, une malédiction qui condamnera bientôt Michelle à une vie de servitude en tant que démon si elle ne s’en débarrasse pas.
Sorry We’re Closed puise ses inspirations dans de nombreuses références : Resident Evil pour ses angles de caméra fixes, Silent Hill pour l’ambiance rouillée et industrielle de ses donjons, mais surtout un mix détonant entre un surréalisme lynchien, l’ambiance chaude et les questionnements d’un Catherine, et même la folie d’un Goichi Suda sous œstrogènes.
Le résultat ? Une esthétique pop art fluo, parfois crasse, et faisant appel aux imaginaires religieux et érotique, le tout baignant dans une atmosphère exposant les divergences morales et philosophiques entre anges et démons, dont vous croiserez nombre de leurs représentants, la plupart étant en conflit avec leur propre nature.
Hors donjon, Michelle passe son temps dans son petit quartier londonien, plongé dans l’obscurité, et dans un hôtel luxueux peuplé de démons. Ces deux environnements sont l’occasion de papoter avec les habitants du coin : humains, anges et démons, tous hauts en couleur et marquants dans leurs apparences et leurs personnalités.
Entre Chamuel, l’ange alcoolique ne cherchant qu’a cultiver sa relation amoureuse maudite avec un démon, l’obsession de La Duchesse pour l’amour comme seule solution salvatrice à sa morosité existentielle, et ce gros con de loubard qu’est Darrel, en quête de rédemption à travers son compagnon Oakley, la personne la plus guimauve que vous croiserez dans ce bas-monde.
L’Amour comme seule arme
La communication de Sorry We’re Closed se veut avant tout axée sur son côté survival horror pour attirer le joueur moyen, mais c’est malheureusement l’aspect le plus bancal du jeu. Globalement, l’aventure se découpe en deux phases alternées : les déambulations de Michelle dans son petit quartier et à travers l’hôtel démoniaque, et les donjons où vous devrez poursuivre les anciennes victimes de La Duchesse pour trouver un moyen de contrer votre malédiction.
Ces derniers présentent quelques rares énigmes, mais surtout beaucoup d’ennemis, jusqu’à arriver au boss du niveau. Pour utiliser vos armes, vous devrez passer dans une vue à la première personne qui vous rendra immobile, comme au bon vieux temps. L’originalité du jeu vient de sa mécanique du troisième œil : d’une simple pression de touche, vous pourrez voir l’autre monde dans un petit rayon autour de vous, modifiant ainsi votre environnement.
Cette mécanique, également au centre du système de combat, vous permettra de voir les points faibles des ennemis pour les éliminer en quelques balles. Les affrontements se révèlent vite répétitifs, surtout les combats de boss, qui ne seront qu’une simple routine (heureusement pas trop longs).
Ces combats, néanmoins, sont agrémentés d’une bande-son rappée par le duo Okumura, déjà entendu sur No More Heroes 3 (oui, encore Suda51) et Paradise Killer. Ces chansons apportent une intensité notable aux boss et offrent une fracture nette avec la B.O., qui se fait plutôt discrète d’habitude, et qui évoque parfois le travail d’Angelo Badalamenti aux côtés de David Lynch.
Mais le morceau important de Sorry We’re Closed reste sa narration et ses personnages développant les différentes intrigues du jeu. Les phases en dehors des donjons vous permettront de suivre quelques quêtes secondaires qui conditionneront directement la fin du jeu selon vos choix. Essaierez-vous de sauver la relation Darrel/Oakley ? Ou la jugerez-vous toxique et la saboterez-vous, pour le plus grand plaisir du démon portant le doux nom de Clarissa ? Michelle connaît déjà bien les différents protagonistes peuplant son quartier, mais c’est bien le joueur qui sera seul juge des relations l’entourant.
Au bagne le cerveau, vive le cœur
L’Amour est traité de manière frontale, sans détour, et tout est très explicite. Ça pourrait paraître grossier, mais c’est bien là où réside la puissance évocatrice du titre d’À la mode games, qui ne va pas aborder ce thème seulement au travers de personnages et de leurs actions. Ici, tous les protagonistes ou presque, recherchent d’une manière ou d’une autre l’amour sans s’en cacher, que ce soit au travers de l’affection d’autrui, ou seulement de quelqu’un capable de recevoir le leur.
Cette année fut forte en productions indépendantes remplies d’aphorismes émotionnels marquants (1000xResist, Mouthwashing), et Sorry We’re Closed s’inscrit dans cette lignée. L’écriture des personnages et des dialogues irradie d’humanité (bien que ces derniers ne soient pas doublés), il est toujours plaisant de ne sentir aucun filtre entre ce que les développeurs veulent nous dire, et ce que le jeu essaie de nous raconter. Pas de doute, le cœur y est.
Toute la cosmogonie posée autour des anges et des démons, de la déchéance des premiers devenant les seconds parce qu’ils ont osé écouter leur cœur et défier la morale que leur impose leur statut, est plutôt fascinante, mais est trop peu exploitée. Les relations amoureuses entre ces deux espèces, que l’on entrevoit à peine, auraient mérité plus de développement.
“Pourquoi pensez-vous que l’amour soigne tout ?
– C’est la seule chose qui me manque. La seule chose que l’on m’ait volée.
– On m’a dit un jour que tout change quand on perd son premier amour. Qu’on doit accepter les changements qu’un nouveau apportera.” – Extrait d’une interview avec La Duchesse
Nous aurions envie de dire que du fait d’un gameplay un peu bancal et répétitif auquel nous sommes confrontés, le jeu est un rendez-vous manqué. Mais tout cela est bien insignifiant face à la puissance évocatrice de Sorry We’re Closed, qui débute comme une élégie, et développe des propos remplis d’intelligence émotionnelle et d’une sensibilité rare.
Tout ça dans un écrin esthétique pop art provocateur, et en totale adéquation avec sa proposition narrative franche. Son traitement plein d’humanité de l’amour et de la souffrance qu’il engendre nous restera longtemps en tête. Pour un premier jeu de la part d’À la mode games, c’est plus qu’encourageant. Si ces thèmes vous parlent ne serait-ce qu’un peu, foncez, impossible d’être déçu du voyage.