On avait peur. Non pas de la ville brumeuse et des horreurs qui y demeurent, mais bien du remake de Silent Hill 2, qui, au travers d’une communication ratée, n’avait pas réussi à rassurer les joueurs pendant de longs mois. Trop d’action et ne mettant pas suffisamment en avant l’atmosphère si particulière qu’avait su poser le jeu original, les différents trailers présentés depuis l’annonce de la relecture de Bloober de ce qui est une œuvre culte du jeu vidéo, laissaient entrevoir le pire. Pourtant, et soucieux de rassurer les fans, le studio nous offrit par la suite des bandes annonces bien plus convaincantes, et à force de déclarations et autres vidéos de gameplay, l’optimisme revint.
Oui, ce remake de Silent Hill 2 est un vrai triomphe. Oui, Bloober Team a réussi son coup et est parvenu à transcender ses propres limites pour nous apporter ce qui est, à notre sens, le meilleur survival-horror que l’on ait eu entre les mains depuis peut-être le Resident Evil 2 de 2019, le surpassant même sur bien des points. Beaucoup se sont trompés, et sûrement que, nous aussi, nous l’avons jugé trop précipitamment, une leçon que nous retiendrons dorénavant.
(Test de Silent Hill 2 sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Nul besoin de résumer dans le détail le scénario de Silent Hill 2, car à moins que vous viviez cachés dans une grotte depuis 2001 et la sortie de l’original, vous devez à peu près savoir de quoi il retourne aujourd’hui. Dans les grandes lignes, on incarne James Sunderland qui part en quête de sa défunte femme Mary dans la ville de Silent Hill, après avoir reçu une lettre de cette dernière lui disant qu’elle l’attendait dans leur « endroit spécial », alors même qu’elle serait morte trois ans auparavant. De là commence un périple qui mènera notre héros dans un enfer qui lui est intimement lié.
In my restless dreams
Silent Hill 2 est un jeu complexe à bien des égards. Il soulève des thématiques qui le sont tout autant, sans nous faire l’affront de nous les cracher en pleine face, optant alors plutôt pour une narration tout en subtilité. De là intervient aussi bien le visuel, via les différents décors et ce que certains représentent, que le parlé, avec des conversations entre les différents protagonistes de l’histoire qui nous en apprennent plus sur leur psychologie et leurs traumatismes. C’est un exercice délicat à mettre en place, surtout en 2001, car il faut que le ton et l’écriture soient justes, sans fausse note et que chaque pièce du puzzle cérébral que l’on traverse s’emboîte parfaitement une fois notre périple conclu.
Et ce fut à l’époque une des grandes réussites du titre, qui reste encore aujourd’hui une référence en matière de storytelling. Bloober Team se devait donc de ne pas trahir l’esprit même de ce dernier sur ce point précis, et autant dire que nous avons été totalement estomaqués quant aux qualités narratives du remake. C’est certes un peu moins suggéré, dans le sens où les développeurs ont souhaité éclaircir certaines choses qui étaient assez obscures auparavant, mais cela ne rend en rien l’expérience moins captivante. Aussi, les ajouts présents font mouches, ont tous un sens défini, rien n’est donc superflu, et on en ressort entièrement satisfait.
La mise en scène gagne forcément en modernité, mais pas que, puisque les différents personnages voient ici leur psychologie s’épaissir et l’on comprend alors mieux ce qui les motive et ce qui les enferme dans ce terrible enfer qu’est Silent Hill. Chacun possède un secret qui les guide dans la brumeuse ville, et chacun y vit son propre cauchemar, cherchant alors un moyen d’en réchapper, tout en atteignant la chimère après laquelle ils courent.
En cela, Bloober a coché toutes les cases de ce que l’on attendait d’un remake, une relecture qui ne trahit en rien le matériel de base, tout en apportant aussi leur pierre à l’édifice, en rendant la narration visuelle encore plus élaborée, et vous n’imaginez pas à quel point c’est réussi, tout en ne négligeant pas, au passage, la complexité des thèmes abordés. Le deuil, le harcèlement, et d’autres que nous tairons pour ne pas vous gâcher votre descente dans un purgatoire qui, tel celui de Dante, est d’une magnificence morbide.
I see that Town, Silent Hill
Ce remake de Silent Hill 2 est magnifique. Ce que Bloober a fait de la direction artistique du jeu original, déjà incroyable, est-ce que l’on pourrait apparenter à une toile de maître. La ville, noyée sous une purée de pois, est proprement anxiogène et nous maintient constamment sous une pression difficilement supportable, malgré les larges rues qui la traversent. Cela grâce au rendu impeccable de la brume, qui est loin de faire office de cache-misère, car le souci du détail y est, donnant une impression de réalisme perturbante à la bourgade.
C’est un maelstrom visuel innommable, tel une zone sinistrée après le passage d’un ouragan, mais c’est là le but de la manœuvre, nous plonger dans un lieu commun qui transpire la souffrance et la rage de tous ses pores. Elle est, au même titre que tous les humains et créatures du jeu, un personnage important, qui a aussi un rôle à jouer et parait comme vivante, malgré sa complète désolation et son aspect fantomatique.
Et on pourrait dire, au-delà de cela, que le sound design y est aussi pour beaucoup. Si la cité parait si éveillée, c’est aussi parce qu’elle émet un vacarme quasi constant dans nos oreilles. On vous incite d’ailleurs à jouer au casque, tant on a rarement goûté à une ambiance sonore aussi terrifiante de notre vie de joueur, et on pèse nos mots. Entre les thèmes d’ambiances glaçants, le sifflement du vent qui maintient le lieu en constante alerte, la radio qui grésille à l’approche d’un monstre, ou encore tous ses sons qui proviennent d’on ne sait trop où et qui nous pétrifient sur place, vous dire qu’on a frôlé plus d’une fois la crise cardiaque serait un doux euphémisme.
L’atmosphère qui se dégage de ce mélange d’une direction artistique et d’un sound design léchés est proprement digne de cauchemars desquels l’on n’arrive pas à se réveiller, ceux qui nous terrorisaient étant gamin. Et cela se corse d’autant plus lorsque l’on est en intérieur, et si quelques surprises sont au programme, vu que le level design a été repensé, ce qui donne la possibilité d’explorer plus de lieux, on retrouve pour ce qui est de la quête principale les endroits iconiques du jeu de 2001.
Les appartements de Woodside, l’hôpital Brookhaven ou encore la prison de Toluca, font très fort en termes d’ambiance angoissante, et si leur agencement a été modifié, pour le meilleur, rassurez-vous, Bloober a aussi changé leur habillage graphique, surtout dans l’Otherworld.
Beaucoup plus glauque, malsain et déstructuré que dans l’original, l’otherworld n’a jamais paru aussi inhospitalier que dans ce remake. Déjà que sans cela, on avait parfois toutes les peines du monde à s’avancer dans les dédales de couloirs des différents lieux, eh bien une fois plongé dans ce qui semble être tout droit sorti d’un esprit à l’imagination tordue, chaque porte devient un challenge à ouvrir.
Tout y est plus intense, excessif, jusqu’à nous donner l’envie de prendre une pause pour souffler un peu. On n’avait pas ressenti telle peur sur un jeu d’horreur depuis peut-être Alien Isolation, et encore, il ne parvenait à maintenir ce sentiment sur la durée, ce qui est tout le contraire de Silent Hill 2. En cela, le jeu se place tout en haut du panier pour ce qui est de l’horreur psychologique, s’affirmant de ce fait, comme le nouveau mètre étalon du genre.
Aussi, cette fameuse nouvelle vue par-dessus l’épaule a obligé Bloober à repenser les mécaniques de peur dans leur intégralité, si l’on excepte l’élément sonore qu’est la radio, quoique là aussi, il y a quelques surprises, et le contrat est amplement réussi. Si l’on peut aujourd’hui contrôler pleinement la caméra, le manque de visibilité, dû à la brume en extérieur, et à la pénombre en intérieur, rend la progression pénible pour nos nerfs.
Par ailleurs, si l’on peste parfois sur notre lampe torche qui n’éclaire pas assez loin, on reconnait qu’elle participe grandement à créer cette crainte ressentie à chacun de nos pas. Silent Hill 2 fait peur, et ça fait un bien fou, tant ce n’est pas accessoire, ni même superficiel, mais bel et bien maitrisé.
You promised me you’d take me there again someday
Le jeu se veut sans concession sur le reste aussi. Le gameplay, revu pour ce remake, est plus souple et octroie plus de raccourcis, mais n’en est pas plus permissif pour autant. Le système de combat s’appuie avant tout sur l’esquive, ce qui peut faire penser à The Callisto Protocol, sans que l’on ait l’impression d’être « cheater » une fois maitrisé, car notre héros est bien plus lourd et le recovery de l’esquive ne permet pas d’innonbrables fantaisies non plus.
Chaque affrontement au corps-à-corps est une épreuve de concentration, tant c’est brutal et que James est fragile, mais aussi parce que c’est de temps en temps assez illisible du fait de la caméra très (trop) proche du personnage. D’ailleurs, le lock peut aussi se montrer un brin capricieux dans certains cas bien précis, de même que les armes à feu manquent globalement de punch, bien qu’efficace, notamment grâce à l’implémentation de la localisation des dégâts.
Mais c’est bien un jeu de survie, qui multiplie les ennemis vis-à-vis du titre de base, et si l’on comprend pourquoi, on regrette que de ce côté-ci, on est plus proche du troisième épisode que du second. Silent Hill 2 ne proposait pas tant de créatures nous barrant la route, et on y voit une volonté de la part des développeurs de rendre l’expérience plus intense, ce qui est le cas, mais c’est là le seul aspect qui peut trahir un peu son modèle.
Néanmoins, les ressources sont plus nombreuses, et vu que l’on peut dénicher des objets à plus d’endroits qu’auparavant, dans des boutiques laissées à l’abandon, ou en brisant les vitres des voitures par exemple, cela nous pousse aussi à explorer pointilleusement Silent Hill. L’équilibre entre nos besoins et ce que l’on trouve est quasiment parfait, mais attention tout de même à ne pas négliger votre collecte, surtout en mode difficile.
Pour en revenir à l’exploration, c’est là l’une des composantes les plus importantes du jeu. Déjà parce qu’il n’a jamais été aussi plaisant de crapahuter un peu partout, tant il y a de lieux annexes à découvrir, mais aussi, car nos trouvailles conditionnent nos réussites, et passer à côté de précieux objets peut s’avérer fatal. De même, on vous encourage à chercher les très nombreuses références aux autres jeux de la licence (et pas que) disséminées ici et là, qui valent le coup d’œil.
Les ennemis aussi ont connu des avancées dans leur comportement, se montrant bien plus coriaces et intelligents qu’autrefois. Un petit nouveau, qui est une évolution du mannequin, qui lui n’a jamais fait aussi peur, s’amusant à se cacher pour surgir d’un coup, d’un seul, vous donnera bien du fil à retordre. Soit dit en passant, leur « nouveau » design est très réussi, avec une mention spéciale pour les infirmières et les boss, qui sont abominablement beaux.
Les boss ont d’ailleurs été entièrement réimaginés et nous avons enfin le droit à des affrontements dignes de ce nom dans un Silent Hill. Pyramid Head fait de même son grand retour, et croiser sa route fait toujours sauter la jauge de pression, alors que le combattre est à la fois une épreuve d’endurance et d’apprentissage de ses patterns, pour savoir quand placer un coup ou lui tirer dessus avec l’une des trois armes à feu à notre disposition, s’il nous reste bien évidemment des balles en stock.
Pour ce qui est de la progression, c’est du très classique. Ce remake ne renie en rien ses racines old-school du survival-horror et de la licence de manière générale. On doit trouver des clés, des codes, récupérer des objets pour s’ouvrir de nouveaux chemins, en combiner certains via un inventaire fourni, alors que les énigmes prennent une part importante de notre avancée, et elles ont toutes été joliment révisées, alors que d’autres, inédites, sont bien réfléchies. Et il ne faut surtout pas négliger la carte, qui devient un véritable Guide du Routard grâce aux annotations qu’y apporte James.
Certes, on peut reprocher à tout ceci des collisions parfois hasardeuses, une visée assez compliquée, ou encore un bestiaire qui peine à se renouveler dans la dernière partie, même si c’est justifié par le scénario encore une fois, les monstruosités ayant un lien plus profond qu’il n’y parait avec James, mais hormis cela, on ne voit pas trop que dire de mal sur ce Remake de Silent Hill 2. Il est peut-être un poil trop long, surtout sur un segment en fin de jeu qui n’était déjà pas le plus passionnant à l’époque et qui ne l’est pas plus aujourd’hui, même si on apprécie l’effort des développeurs pour le rendre plus digeste, notamment sur sa direction artistique.
Et pour conclure, techniquement, c’est assez bluffant, et c’est de loin le jeu le plus abouti de Bloober, avec notamment des jeux de lumière incroyables et une maitrise du clair-obscur bluffante. Quant au retour d’Akira Yamaoka et à ses réorchestrations, on résumera cela en disant simplement que c’est du miel pour les oreilles, surtout que son sound design est sublimé par cette nouvelle version.
Bloober Team a réussi son coup, surpassant au passage toutes les attentes que l’on avait autour de ce remake de Silent Hill 2. Le jeu est artistiquement phénoménal, propose une ambiance terrifiante comme on en a rarement vu, ou en tous cas pas depuis des lustres, et offre ce qui se fait de mieux actuellement en termes de sound design pour le jeu horrifique.
C’est presque un sans faute, si ce n’est à quelques détails près, et en plus de cela, le New Game + apporte une vraie plus-value, vu que l’on pourra y débloquer quelques fins secrètes (choses habituelles pour un Silent Hill), mais aussi visiter et trouver des objets supplémentaires. Au passage, il faut aussi tirer notre chapeau aux très nombreuses options d’accessibilité que proposent le jeu, tout comme à son affichage absolument modulable en fonction que l’on veuille ou non vivre une expérience des plus old-school.
Mais ce qu’a réussi en premier lieu Bloober, c’est à moderniser un monument du jeu vidéo, sans jamais le trahir, aussi bien sur le fond, comme sur la forme. C’est là le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à feu la Team Silent, et une véritable lettre d’amour à tous les amateurs de survival-horror. Un remake qui fera date et probablement la plus belle des manières de découvrir le chef-d’œuvre de 2001. Merci.