Frogwares revient encore une fois avec un nouvel opus de Sherlock Holmes. Le studio de développement ukrainien est en effet connu pour toutes ses adaptations du plus célèbre des enquêteurs. Le studio connaît donc la recette, et il faut ainsi la renouveler. C’est ce qu’ils ont essayé de faire ici avec Sherlock Holmes: Chapter One, le neuvième jeu de la série créée par Frogwares. En même temps, le studio a raison, un jeu Sherlock, ça marche toujours, c’est extrêmement plaisant de résoudre des énigmes dans la peau du plus grand des comportementalistes. Savoir décrypter le moindre indice, naviguer dans le palais mental, tout ça est jouissif.
Mais pour cet opus, le studio s’est mis en danger, pour le meilleur, comme pour le pire, et à la manière de Sherlock, on va décrypter tout ça.
(Test de Sherlock Holmes: Chapter One sur PC réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Il faut affronter la réalité
La première quête d’introduction résume à elle seule un peu tout ce qu’on a à dire sur le jeu, mais ne vous inquiétez pas, on ira plus loin. Dans Sherlock Holmes: Chapter One, on incarne évidemment Sherlock, mais dans la fleur de l’âge. Le jeune homme ne s’est pas encore fait un nom, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas animé par sa fougue et la fameuse délicatesse qu’on lui connaît (c’est ironique). Sherlock retourne à Cordona, l’île de son enfance, où il va enquêter sur la mort mystérieuse de sa mère, tout en se mêlant des déboires de Cordonna qui est en proie aux crimes.
Tout ce qu’il y a de plus basique, pour l’instant. Le tutoriel se déroule dans l’hôtel Il Palazzo del Lusso où on va devoir résoudre une affaire de meurtre couplée à une affaire de vol de bijoux d’un noble britannique, Lord Craven. Tout ceci sert juste de didacticiel avant de nous jeter dans le grand bain. Et cette quête nous en dit long sur le jeu. Déjà, on a très peu d’aide au gameplay, voire pas du tout. Il y a juste un onglet où sont répertoriées toutes les commandes, comme si on lisait un livret avant de pouvoir toucher au jeu. Si on a supprimé les livrets des jaquettes, ce n’est pas pour avoir la même chose en jeu !
Rien n’est intuitif, pas de suivi de quête à part dans le journal de Sherlock et rien n’est clair. Après, ce n’est pas plus mal que le jeu ne nous tienne pas par la main, et on arrive relativement bien à chopper le rythme du jeu quand on décide de réellement s’y plonger, c’est un coup à prendre.
On a pu voir beaucoup de gens acclamer le doublage original du jeu. Alors oui, même si le doublage est de qualité, il y a un gros point noir : il y a très peu d’acteurs différents. On s’est retrouvé à devoir parler à deux personnes différentes dans l’hôtel, un noble britannique blanc d’un certain âge, et un domestique d’une ethnie complètement différente, et les deux PNJ avaient exactement la même ligne de dialogue, avec la même voix. Ça fait tache, surtout que ce n’est pas la seule chose qui nous sort du jeu.
Il est où, Jon ?
Si vous connaissez l’histoire du détective, vous connaissez aussi son acolyte de toujours, le docteur John Watson, personnage récurrent de la série, qui sert d’oreille supplémentaire à Sherlock lors de ses enquêtes. C’est aussi lui qui le canalise dans ses instants antipathiques et dans ses doutes. Car oui, Sherlock n’est pas un personnage très stable. Certes, il est connu pour son intelligence et pour ses facultés d’analyse, mais aussi pour ses phases psychotiques. Sauf que là, on a atteint un point de névrose assez avancé.
Pour cet opus, Frogwares studio a décidé de mettre en avant la relation entre nos deux protagonistes d’une manière… assez particulière. Pour vous remettre en contexte, on arrive dans le jeu, et on voit Jon se téléporter un peu partout, derrière nous, quand on rentre dans une pièce. Il apparaît d’un seul coup. Et même au niveau du sound-design, c’est le seul qui est tout autour de notre espace sonore.
Sauf que tout ceci aurait pu être un des plus gros ressorts scénaristiques du jeu, car « no sh*t sherlock », mais ce Jon n’est pas John Watson, mais un ami d’enfance de Sherlock qui n’existe que dans sa tête. Un choix qui peut se défendre, mais malheureusement, c’est très mal amené. Au début, on aurait dit que ce n’était qu’un bug, et comme beaucoup d’autres personnages, on peut penser que sa routine de déplacement n’est simplement pas travaillée du tout.
On se retrouve avec un sentiment un peu particulier. Jon, l’ami imaginaire, apparaît comme le chat de Cheshire dans Alice au pays des merveilles, et ne sert que de guide, dans les phases de reconstitution de scènes. Et Sherlock, qui a en plus oublié son passé, jusqu’à oublier là où il a habité à Cordona, passe vraiment pour un schizophrène qui a bien besoin de faire un tour dans un hôpital psychiatrique. Certes, c’est une façon d’amener l’histoire, difficilement critiquable en tant que parti pris, sachant que plus on avance dans le jeu, plus ce choix a l’air assumé. Mais la façon de l’amener est difficilement acceptable. Aucune subtilité dans cette sous-intrigue, qui aurait pu être intéressante en tant que plot twist final.
Sherlock : entre libertés et retour aux racines
Après avoir fini la quête d’introduction, vous pouvez faire ce que vous voulez. Enfin, pas de suite réellement, puisqu’il faudra activer la quête principale en allant vous recueillir sur la tombe de votre mère, et compléter le tutoriel du jeu, en s’essayant au combat au corps à corps et à l’arme à feu en offrant votre aide à la police locale. Et pour parler rapidement des phases de shoot : on aurait clairement pu s’en passer. Ça n’apporte rien au gameplay, c’est rigide, et si on est d’accord qu’il faut prendre des risques pour renouveler la formule, ce n’est pas assez travaillé pour que cela rajoute vraiment quelque chose d’intéressant au gameplay.
Par contre, après tout ceci, vous êtes enfin lâché dans le monde ouvert. Sherlock Holmes: Chapter One, comme beaucoup d’autres jeux, s’essaie à l’open world pour nous transmettre un sentiment de liberté dans cette série de jeux parfois beaucoup trop linéaire. Pour le coup, c’est une bonne idée. Le jeu est beau, les décors sont vraiment travaillés, on a parfois l’impression d’être dans The Witcher 3 dans cette ambiance britannique un peu humide.
Vous avez le choix : suivre la quête principale, ou partir faire les quêtes annexes qui rallongeront pas mal la durée de vie du jeu, en aidant la police locale. Vous pouvez vous balader librement à Cordona, l’explorer en utilisant les différents points de voyage rapide et parcourir les différentes échoppes et les marchés, pour pourquoi pas acheter le journal du coin ; un peu de lecture pour plus d’histoire, ça ne fait jamais de mal. Embellir votre garde-robe est aussi un bel objectif secondaire, car Sherlock peut se grimer pour son bon plaisir, mais aussi pour vous aider dans certaines quêtes.
Le choix du monde ouvert est logique pour un jeu de 2021 : tout le monde fait du monde ouvert. Mais pour Sherlock Holmes: Chapter One, c’est une très bonne idée. Ça nous fait du bien de respirer, on choisit les quêtes, on découvre un monde victorien, qui manque certes de vie, mais qui est plaisant à parcourir malgré le fait qu’on ressent beaucoup trop de perte de fps et que beaucoup de clipping couvre notre exploration. Tout est très minimaliste dans cet essai de monde ouvert pour un jeu Sherlock, mais c’est suffisant pour qu’on se sente libre.
On va être moins enthousiaste sur les ressorts comiques du jeu, qui sont parfois lourdingues et peu utiles. Au début, cet aspect drôle était le bienvenu, offrant un peu de légèreté au titre. Mais quand on entre dans une pièce, et qu’on voit d’un coup Jon faire des abdos sur une poutre à la vitesse du son, ça en devient ridicule. C’est compliqué d’entrer dans une perspective où Sherlock est autre chose qu’un détective transpirant la classe et le charisme. Parfois, on souffle du nez, mais c’est amené avec si peu de finesse que cela devient absurde.
On ne l’a évoqué que très peu, mais c’est clairement pour les enquêtes qu’on joue à un jeu Sherlock. Alors oui, on enfonce des portes ouvertes, mais qu’est-ce que c’est plaisant de jouer notre détective préféré ! On se balade, on analyse les gens pour obtenir des informations cruciales sur l’enquête en cours, et on en déduit le reste. Quand on prend le pli du jeu et qu’on arrive à naviguer entre le palais mental, le carnet d’affaire, et le journal de Jon, on se sent vraiment dans la peau de Sherlock. De plus, étant donné que le jeu ne nous tient pas par la main, on est vraiment impliqué cognitivement, et on a vraiment l’impression que c’est nous qui sommes à l’origine de la résolution de l’enquête, et rien que pour cela, le jeu vaut le coup d’être parcouru.
Sherlock Holmes: Chapter One tente des choses. Il en essaie beaucoup, il en réussit pas mal, et il échoue aussi. Frogwares a voulu renouveler la formule cette fois-ci, en s’essayant au monde ouvert, et pour le coup, c’est un bon point. Tout n’est malheureusement pas fini, la routine des PNJ est beaucoup trop rigide, le jeu est vraiment mal optimisé, et on sent à force un manque de budget sur certains pans du titre. Mais pour une fois qu’on a un sentiment de liberté dans un Sherlock, on ne va pas tirer dessus. On fait ce qu’on veut, dans l’ordre qu’on veut.
On sent que le studio a voulu prendre des risques. La relation entre Sherlock et Jon aurait pu être beaucoup plus subtile pour que l’on puisse profiter de cet arc scénaristique qui tourne au final au ridicule. Malgré tout, c’est toujours un plaisir d’enfiler la veste de Sherlock Holmes. Alors si vous venez pour résoudre des enquêtes, et que vous vous mettez dans l’état d’esprit que tout le reste n’est qu’annexe, vous serez conquis.