On connait surtout Ska Studios pour leurs jeux indépendants en 2D, bourrins, sanglants et très punky dans l’esprit, tels que The Dishwasher ou encore l’excellent beat’em all à l’ancienne, Charlie Murder. C’est donc avec ferveur qu’on se plonge dans leur toute nouvelle production, au titre étrange de Salt and Sanctuary. Un jeu marqué de la patte immédiatement identifiable du développeur, certes, mais aussi, un hommage vibrant à la terrible série des Dark Souls, dont il reprend allègrement certains des codes les plus notables pour les transposer dans son univers en 2D bien éloigné, semblerait-il de prime abord, de la réalisation très moderne de la saga made in FromSoftware. Comment tout ceci se combine-t-il, et le résultat est-il à la hauteur, à la fois des talents du studio, et des oeuvres qui ont inspiré Salt and Sanctuary ? Vous vous en doutez, ces questions trouveront bien vite réponse dans les lignes qui suivent.
Salt and Sanctuary : die (very often) and retry (a lot)
Hero Corp
La toute première scène du jeu place directement le joueur dans l’ambiance. Son avatar se retrouve en pleine bataille sur un navire en perdition, assailli par une bande de pirates dont le but semble être l’enlèvement d’une quelconque princesse, et après quelques passes d’arme destinées à se faire la main, on se voit confronté à une créature colossale et ténébreuse, évoquant un peu Cthulhu de par son apparence, qui vous projettera par le fond dès la première attaque tant sa puissance est démesurée. Je suis curieux de savoir s’il est possible de le tuer et la réaction du jeu dans ce cas de figure. Toujours est-il qu’en l’état, votre personnage se réveille sur une plage brumeuse et sinistre, et ses premiers pas le conduisent à un PNJ qui lui demande de choisir sa religion parmi trois propositions (ce qui influera sur le totem des sanctuaires à venir). Votre quête peut alors débuter, parsemée d’ennemis de toutes tailles, de sous-terrains et donjons aux multiples embranchements et d’une progression de compétences rappelant fortement celle des RPG classiques.
Et le moins qu’on puisse dire (vous me passerez l’expression, mais elle est parfaitement adaptée), c’est que vous allez en chier sévère ; nous reviendrons sur le sujet un peu plus loin. Pour l’heure, sachez simplement que vous incarnez un personnage que vous allez devoir composer de toutes pièces en début de partie, en choisissant son nom, son sexe, les traits de son visage ainsi que la couleur de ses cheveux, mais aussi et surtout, sa classe, ce qui influera grandement sur sa façon de combattre, son équipement et ses caractéristiques. De fait, un mage bénéficiera d’une attaque secondaire lui permettant de lancer des sorts, tandis qu’un paladin préférera manier une grosse lame à deux mains, et un chasseur optera pour un fouet offrant une portée d’attaque satisfaisante permettant de ne pas recevoir trop d’attaques au corps à corps. Ce ne sont là que quelques exemples, et vous aurez probablement à coeur de vous créer une sauvegarde avec un personnage de chaque classe pour voir laquelle convient le mieux à votre style de jeu. En tout cas, pour ma part, c’est ce que j’ai fait, avec une prédilection pour le chevalier et le mage.
Dark Souls, 2D Edition
On l’a vu, on se trouve ici face à un jeu d’action/plateforme en 2D comme il en existe pas mal (on pensera notamment à Shank ou Mark of the Ninja, entre autres), et du coup, me direz-vous, quel rapport avec Dark Souls, mentionné en intro de cet article ainsi qu’à chaque fois qu’on évoque Salt and Sanctuary sur le web ? Vous allez bien vite comprendre que l’analogie n’est pas anodine. Pour commencer, sachez que l’aspect exploration est de mise en dépit de ce rendu 2D, et le jeu tient plus du metroidvania que du simple jeu de plateforme, avec ses multiples choix de voies à suivre et ses endroits inaccessibles avant d’avoir acquis un objet ou une compétence spécifique. Le côté RPG est lui aussi très présent, de par les divers marchands présents dans les sanctuaires (oui, ceux du titre), la montée de niveau du personnage via certaines quantités de sel (oui oui, celui du titre aussi), et surtout, un arbre de compétences massif comprenant des dizaines et des dizaines d’upgrades ayant pour but de vous faciliter un tant soit peu les choses.
On évoquera également les divers messages laissés au sol par d’autres joueurs comme dans Dark Souls, destinés à vous prévenir d’un piège ou d’un lieu secret à venir, ainsi que l’atmosphère fantasy gothique similaire dans les deux jeux. Mais surtout, vous vous en doutez, c’est à la caractéristique principale des Dark Souls qu’on pensera immédiatement : la difficulté. Comme ses modèles, Salt and Sanctuary constitue une expérience punitive, sans concessions, où le die and retry est de mise, où l’apprentissage se fait à la dure, où chaque affrontement est une épreuve (contre les boss bien sûr, mais aussi contre le plus simple des mobs) et chaque victoire, une prouesse personnelle gratifiante.
Si les premières minutes de jeu sont plus ou moins gentillettes avec vous, la difficulté s’accroît très rapidement, il va donc s’agir de farmer sévère pour obtenir compétences et équipements plus efficaces afin de faire face au péril. D’autant que quand vous mourez, vous perdez tout votre précieux sel, ainsi que de l’or nécessaire à votre résurrection. Dès lors, vous aurez à coeur de retourner déglinguer votre bourreau, puisque sa mort vous permettra de récupérer votre sel… à moins de mourir à nouveau au même point. Ce qui est fréquent.
Baston tactique
Cet aspect radical du jeu méritait d’être signalé, car le gamer moderne n’est pas forcément habitué à ce genre de challenges conséquents ; vous passerez donc à la caisse en toute connaissance de cause si le jeu vous fait de l’oeil. Heureusement, le gameplay efficace permet à chaque décès de ne s’en prendre qu’à soi, plutôt qu’aux éventuels contrôles mal calibrés dont aurait pu souffrir Salt and Sanctuary. Là encore, on retrouve en 2D le maniement global des jeux Dark Souls, avec des attaques faibles et fortes, une garde, un bouton dédié aux items (l’usage intensif de potions de soin sera bien entendu d’actualité), et surtout, l’esquive, permettant de s’éloigner du danger ou encore de passer derrière l’ennemi. Pour ma part, j’aurais bien aimé un bouton de grab, mais bon.. Loin du dynamisme d’un Shank ou d’un The Dishwasher, Salt and Sanctuary adopte, vous me pardonnerez de l’évoquer encore une fois, l’inertie d’un Dark Souls, une lenteur calculée dans les déplacements, qui n’entrave en rien le plaisir de jeu.
Outre la barre de vie usuelle (qui diminue à vitesse grand V au moindre contact), la surveillance de la barre d’énergie physique va s’avérer cruciale in-game, du fait que la moindre action (attaque, esquive, parade…) en consomme une partie, et si cette barre se remplit rapidement lorsque l’on n’agit plus, on se retrouve, du moins au début du jeu, souvent exposé aux assauts adverses par manque d’énergie. Inutile, donc, de penser balancer des combos comme un cochon, ou de s’imaginer pourvoir rester planqué derrière son bouclier pendant une heure pour observer le pattern ennemi : cette jauge d’énergie va vous en faire baver plus d’une fois.
Tout ceci confère au titre de Ska Studios un aspect réfléchi et quasiment tactique qu’il est plutôt rare de trouver dans ce genre de platformers en 2D, qui misent généralement plus sur la célérité et le déploiement intensif d’attaques ; si vous comptiez trouver ici une sorte de Shank ou de Shadow Blade version gothic-fantasy, vous en serez pour vos frais. Par contre, si vous recherchiez une expérience similaire à du FromSoftware en attendant Dark Souls III (prévu pour le 12 avril), vous avez frappé à la bonne porte…
Jeu superbe ; mais traduction français être pas great
Avant de conclure cet article, il nous faut bien évidemment nous pencher un peu sur les aspects techniques de la bête. Si les décors, superbes, alternent entre de mornes plaines éthérées et des villages embrumés en extérieur, les sous-terrains, eux, offrent la lueur chaude des torches éparses disposées au fil des couloirs, avant de vous plonger dans l’obscurité la plus implacable (à moins de posséder quelques précieuses bougies à utiliser à bon escient). Par contre, le design des personnages, on adhérera ou pas ; pour ma part, grand fan des studios Ska, j’ai retrouvé avec délice la patte emblématique des développeurs, mais les néophytes risquent de reprocher un certain décalage entre l’ambiance fantasy gothique générale et le look assez punk-rock des personnages, qui se mariait bien mieux avec le style de Charlie Murder. À chacun de se faire son opinion. Niveau son, le jeu table plus sur l’ambiance sonore que sur la musique, mis à part quelques riffs métal en arrière-plan de temps à autres, et ça passe très bien. Non, globalement, Salt and Sanctuary est une véritable réussite technique ; seul point noir conséquent : la traduction française. Quand on vous dit qu’on a rarement vu pire, c’est un euphémisme. Apparemment, les développeurs n’ont pas eu le temps de traduire le jeu proprement dans toutes les langues (après tout, le studio ne compte que quatre mains), et du coup, on se retrouve avec des textes dignes d’un Google Trad avec 6 grammes de sky dans le nez, et on aurait largement préféré que l’anglais soit conservé, à ce compte-là, mais hélas, le choix de langue n’est pas dispo.
Une rumeur veut qu’un prochain correctif apporte une traduction bien meilleure, mais en l’état, les textes gâcheraient presque le plaisir de jouer à ce jeu d’aventure, tant ils rendent parfois l’interprétation complètement incompréhensible. Entre les mots traduits littéralement et ceux carrément laissés en anglais faute de mieux, vos yeux vont brûler, croyez-le. Un seul petit exemple pour le plaisir ? Ce doux message trouvé dans une bouteille en pleine campagne, disant textuellement : Louange être foncé âme 3. Ce qui, j’imagine, aurait probablement pu être traduit par Loué soit Dark Souls 3. Un véritable massacre linguistique, qui n’est pas loin de gâter tout le reste de ce titre pourtant excellent, alors vite, un correctif, s’il vous plaît !
Conclusion Salt and Sanctuary
Si l’on omet l’ignominie que constitue la traduction française des textes in-game, force est de constater qu’on se trouve en présence, avec Salt and Sanctuary, d’un titre solide, hardcore, doté d’une durée de vie conséquente, parfois épuisant mais jamais injuste, bref, un véritable hommage aux Dark Souls, ainsi qu’à certains jeux des anciens temps, ceux datant d’une époque un peu moins casu que nos temps modernes. Ska Studios nous prouve à nouveau sa grande maîtrise, et si vous êtes de ces joueurs courageux, qu’un challenge très élevé ne rebute pas, leur dernière petite pépite saura vous combler des heures durant, d’autant qu’il existe un mode new game +. Ha, et si on a fait le bon choix en début de jeu, il est possible de jouer à deux en co-op. Et ça, c’est cool. À bon entendeur…