Project Zero ou Fatal Frame (ou encore Zero au Japon) est sans aucun doute l’une des licences cultes du jeu vidéo horrifique, et ce, même si elle reste bien plus confidentielle que d’autres franchises historiques comme le sont Silent Hill et Resident Evil. Son premier épisode (dont voici un article lui étant consacré) est sorti il y a déjà vingt ans, en 2001 sur PlayStation 2. Véritable expérience effrayante et captivante, s’ancrant dans le folklore et autres légendes urbaines japonaises, le jeu connut un joli succès aussi bien en Occident qu’au Japon.
De nombreuses suites (et portages) ont vu le jour depuis, deux sur PlayStation 2 (et Xbox), avant que Nintendo ne s’octroie l’exclusivité temporaire de la licence et que les deux derniers épisodes canoniques ne sortent respectivement que sur Wii et Wii U. Des spins-offs et un film ont aussi vu le jour et même si aujourd’hui la saga ne jouit plus de la même aura qu’auparavant, elle reste à ce jour l’une des plus aimées des fans d’horreur.
Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires est donc l’ultime opus de la franchise a être sorti et est celui qui a été choisi par Koei Tecmo pour une remasterisation à l’occasion des vingt ans de cette mythique licence. Première fois donc que les joueurs officiant sur des consoles autres que la Wii U pourront goûter à cet épisode, et première fois aussi que l’un d’entre eux sort sur PC. En ce qui nous concerne, c’est sur PlayStation 4 que nous avons (re)découvert les sombres recoins du mont Hikami, armés de la célèbre caméra Obscura.
(Test de Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires sur PlayStation 4 réalisée avec une version fournie par l’éditeur)
Autant ne pas vous le cacher plus longtemps, ce cinquième volet est loin d’être celui que nous affectionnons le plus à la rédaction. Pourquoi ? Tout simplement parce que Wii U oblige, le gameplay se voulait pensé pour nous faire vivre une expérience plus intense et réaliste, le GamePad se transformant alors littéralement en caméra Obscura lors des séquences « d’action ». Si l’idée est cohérente et loin d’être mauvaise, dans les faits, cela ne fonctionnait pas toujours comme on l’espérait et cela pouvait vite devenir un beau bordel.
Au-delà de ça, Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires est dans la droite lignée de ce que propose habituellement la licence, tout en apportant à cette dernière quelques particularités qui rendent cet épisode assez unique.
Légendes et contes horrifiques japonais
S’il y a bien une chose que l’on ne peut reprocher à ce cinquième épisode, c’est son scénario. Il est tout ce à quoi la licence nous a habitués et s’il ne se démarque donc en rien de côté-ci, il a au moins le mérite de se montrer particulièrement intéressant, effroyable et tout à fait glauque. Le mont Hikami, lieu de l’action, est un endroit baignant dans le folklore japonais, lourd d’un terrible passé et hanté par des spectres (yurei) loin d’être bienveillants.
Il ne sert à rien ici de vous en dévoiler les secrets, ce serait vous gâcher une bonne partie du plaisir que l’on tire de ce Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires. Pour faire court, il est question de disparitions inquiétantes, de suicides, de sacrifices rituels, de gardiennes des eaux et de sombres légendes. On y incarne trois différents personnages (Ren Hojo, Miu Hinasaki, Yuri Kozukata) dont les différentes quêtes personnelles vont en devenir une commune au fil de l’aventure. Véritable réussite, le récit se montre particulièrement prenant du début à la fin, instillant à lui seul une atmosphère pesante et dérangeante de par son imagerie sans concession.
L’ambiance est d’ailleurs aussi l’un des points forts du jeu, qu’elle soit sonore ou visuelle, et s’inscrit dans la plus pure tradition de l’âge d’or du cinéma d’horreur japonais. Ainsi, oubliez les jumpscares à outrance et autres effets superficiels pour tenter d’effrayer la galerie. Dans Project Zero, tout est une affaire de justesse, de rythme, de montées en tension progressives et d’apothéoses horrifiques. De la musique aux sons environnementaux, en passant par les râles des spectres nous tournant invisiblement autour, on est constamment stimulé par ce qui nous entoure.
Par ailleurs, bien que le jeu se montre techniquement assez daté et très inégal de ce fait sur la qualité visuelle de ses différents environnements, il brille par la recherche de la plupart de ses décors et l’atmosphère qui s’en dégage. Et ce, que ce soit lors de nos escapades naturelles dans une sombre forêt ou sur une plage plongée dans la brume, lorsque l’on se retrouve pris au piège de quelques temples et habitations typiquement japonais, dans le sens cliché du terme, qui nous ont pour certaines terrorisées, avec une mention spéciale à cette fameuse bâtisse abritant plus de poupées que d’êtres dont le cœur bat encore.
Pour un couard comme votre serviteur (qui se permet de vous parler directement) et qui possède qui plus est une certaine sensibilité pour le cinéma d’horreur japonais, biberonné avec du Hideo Nakata (Ring, Dark Waters), du Kiyoshi Kurosawa (Cure, Kaïro) ou encore du Takashi Shimizu (Ju-On) et autre Shinya Tsukamoto (Testsuo), autant dire que je suis la cible idéale pour un jeu comme Project Zero qui se montre alors très efficace sur ma personne.
Mais tenez-le-vous pour dit, si vous êtes insensible à ce type d’horreur, que l’on appelle communément psychologique, bien que ce ne soit pas toujours le cas, le titre vous laissera plutôt de marbre. Et cela malgré un vrai soin apporté à la mise en scène, parfois assez expérimentale pour l’époque, et alors même qu’il est techniquement daté et a assez mal vieilli. Côté remastérisations, on a le droit au strict minimum avec un très/trop léger lifting, qui n’apporte réellement qu’une fluidité nouvelle et une résolution plus haute que le 720p de base.
Par le pouvoir de la photo !
Mais Project Zero, ce n’est pas qu’une promenade dans le monde des esprits, c’est aussi et avant tout un survival-horror aux mécaniques bien huilées qui transportent dans sa besace des particularités qui lui sont propres. Bien que sorti en 2015, La Prêtresse des Eaux noires est très old-school dans son approche du gameplay, nous proposant d’incarner des personnages vulnérables et donc par définition assez lourds à contrôler et plutôt empotés.
Dire que cela a mal vieilli serait ne pas rendre justice à la volonté des développeurs de nous placer dans la peau de la proie plus que du prédateur et d’en ressentir alors toute l’angoisse et la crainte qui en découle. Si nos personnages sont loin d’être des lâches, certains possédant même quelques pouvoirs extrasensoriels, ils le savent, nous le savons, il ne sont à aucun moment en position de force et subissent, se défendent, plus qu’ils n’attaquent. En ce sens, le gameplay lourd et restrictif de Project Zero trouve tout son sens.
Néanmoins, il est difficile de tout justifier pour cet épisode. Car si la caméra Obscura n’a jamais été aussi bien exploitée, notamment de par les améliorations et autres pouvoirs qu’elle propose, les nombreuses séquences de « combats » contre les entités spectrales s’avèrent parfois confuses. On le rappelle, pour les battre, il faut prendre des clichés de ces entités en utilisant les quelques subtilités présentes pour se faciliter la tâche.
On pourra alors ralentir les fantômes ou encore les repousser avec certaines capacités, et bien cadrer son opposant et prendre la photo au bon moment n’a jamais été aussi important, sachant que pour la première fois, il nous faut jouer avec l’orientation de l’appareil, une feature qui se voulait révolutionnaire avec le GamePad et qui aujourd’hui encore est source de problèmes.
Outre la caméra qui ne se montre absolument pas à la hauteur dans les endroits exigus, c’est bien les affrontements dans ce genre d’espace restreint qui posent problème. Déjà, oubliez tout de suite la jouabilité via le motion control. C’est une catastrophe, en tout cas sur PS4 (la version Switch nomade serait déjà plus pertinente), et attendez-vous à pester parfois contre des soucis de collision et de navigation dans l’espace rendant certaines séquences frustrantes et peu ergonomiques.
Surtout que même sans gyroscopie, déplacer son objectif et peaufiner le cadrage sont parfois deux actions très compliquées à exécuter tant c’est là encore d’une lourdeur indescriptible, et se retourner en plein combat s’apparente souvent à un vrai chemin de croix. Niveau spectres, par contre, l’on est gâté, avec tout un joli panel de fantômes différents à découvrir, littéralement d’ailleurs, puisque l’on a le droit (après les avoir touchés une fois vaincus) de découvrir leur histoire et ce qui les a menés au trépas, chose qui permet aussi d’approfondir le fantastique background du jeu.
Cependant, ne vous attendez pas à trouver en ce Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires un gros challenge, ni même des énigmes recherchées. Sa difficulté vient finalement plus de ses quelques tares de gameplay ou de son level design qui demande bien trop d’allers-retours, sans pour autant que cela ne soit tout le temps justifié. À ce sujet, l’on voit bien que Koei Tecmo a essayé avec cet opus d’apporter un brin de liberté aux joueurs en ouvrant un peu plus son aire de jeu et en la découpant en différentes zones, mais ce n’est qu’illusion, puisque le tout se veut bel et bien très linéaire, même si quelques secrets sont disséminés ici et là.
Alors, qu’en penser finalement ? Il apparaît clair que le jeu accuse le poids de son âge techniquement et n’offre pas forcément le gameplay le plus poussé de la saga, même si le rythme est bon, l’ambiance bluffante et que certaines particularités font mouche. Le découpage en chapitres toujours présent s’accompagne d’un petit côté scoring non négligeable et bien intégré qui nous permet d’engranger des points à dépenser en améliorations, en achats d’objets utiles avant de lancer un nouvel acte, ou encore pour se payer de nouveaux costumes pour ses personnages.
Et c’est là-dessus que nous conclurons cette critique. Ce remaster de Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires entend fêter dignement les vingt ans de la licence et se voit accompagné de quelques « bonus » pour l’occasion. De quoi parlons-nous ? Eh bien, de costumes (et accessoires) pas franchement fous et assez dénudés pour certains (des maillots de bain, vraiment ?), ce qui ne choque aucunement venant du studio derrière les Dead or Alive (il y a même la possibilité de débloquer les fringues d’Ayane), ainsi que d’un mode photo pour le coup très complet et malléable. Rien d’incroyable, vous en conviendrez.
Project Zero : La Prêtresse des Eaux noires nous a laissé une impression assez mitigée, et ce, même sans prendre en compte son âge et sa plateforme initiale de sortie. Il est clair que le jeu accuse le poids de ses années, mais il n’en demeure pas moins une véritable expérience horrifique que tous les amoureux du genre, et du cinéma de genre japonais, se doivent d’essayer. Il est aussi le dernier-né d’une saga injustement mise au placard et que l’on aimerait réellement voir revenir sur le devant de la scène.
Son ambiance, la qualité de son scénario et de son écriture, ou encore l’effroi et le malaise qu’il procure parfois sont autant de choses qui manquent cruellement au « paysage vidéoludique » horrifique actuel. Cependant, il faut savoir dans quoi on met les pieds avant de se lancer dans cette aventure d’une petite dizaine d’heures, car il faut faire avec une technique désuet, quelques bugs, ainsi qu’un gameplay qui, bien que légèrement retouché pour pallier l’absence du GamePad, se montre finalement assez bancal.
Mais si vous réussissez à passer outre ou tout simplement à accepter les défauts du titre, nul doute qu’il saura vous séduire et vous embarquer dans son univers aussi malsain que réjouissant. Et puis, c’est aussi peut-être l’occasion de montrer à Koei que l’on milite tous pour un retour de la licence sur nouvelle génération, n’est-ce pas ?