Initialement sorti sur PlayStation 2 en juillet 2008, Persona 4 a été adapté sur la regrettée PS Vita quatre ans plus tard dans une version améliorée, Persona 4 Golden. Un procédé qui nous rappelle forcément la trajectoire de Persona 5, entamée en 2017 en Occident avant qu’une version « Royal », en 2020, ne vienne parachever une copie déjà excellente.
Autrefois confidentielle, la saga des Persona, grâce à ce cinquième opus, est parvenue en quelques années à devenir l’une des licences de J-RPG les plus populaires. On est certes encore loin des chiffres de ventes de Final Fantasy, pour ne citer que celui-ci, mais avec plus de 8 millions d’exemplaires pour le seul Persona 5 vendus à travers le monde (dont 3,3 pour simplement la version Royal), Atlus dispose d’un diamant vidéoludique qu’il n’a maintenant plus qu’à polir amoureusement.
S’il ne fait pas vraiment de doute qu’un sixième épisode est en développement, l’éditeur nippon, afin d’étancher la soif de ses nombreux fans (et de récolter quelques deniers au passage), a décidé de ressortir ses deux derniers opus, dont celui qui nous intéresse ici : Persona 4 Golden. Mais avec une dernière itération qui a su avec brio trouver un équilibre entre combats, exploration de donjons, phases de dating-sim (simulateur de rencontres), et gestion d’emploi du temps, n’y a-t-il pas un risque que ce Persona 4 Golden soit perçu aujourd’hui comme un brouillon ? Ou conserve-t-il encore toute la pertinence qu’il pouvait revêtir il y a près de quinze ans ?
(Test de Persona 4 Golden sur PS5 réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Persona 4 Golden – une voie royale ?
À bien des égards, la saga Persona s’inspire des travaux de Carl Gustav Jung, fondateur de la psychologie analytique et l’un des premiers disciples de Sigmund Freud. On pense bien sûr à ses travaux sur la Persona, ce masque apposé à notre personnalité que l’on revêt selon la situation dans laquelle on se trouve. Dans le dernier opus de la saga, ce masque est matérialisé afin d’extérioriser, par l’intermédiaire de démons, notre moi véritable. Dans Persona 4 Golden, le principe est le même, à ceci près que notre moi refoulé arrive à se matérialiser de lui-même, et c’est l’acceptation de notre « ça » profond qui nous permet d’aller de l’avant. Car tout rejet de ce qui fait de nous, nous, revient finalement à nier notre propre existence.
C’est sur cette métaphore que repose l’intrigue de notre grande aventure. Qui suis-je ? Quel but est-ce que je poursuis ? Dois-je vivre au travers des autres ou plutôt m’affirmer, quitte à m’isoler ? Voilà quelques questions auxquelles nos héros seront confrontés tout au long de l’année scolaire que nous allons suivre. Ou plutôt vivre, car comme d’habitude avec la licence, Persona 4 Golden nous met aux commandes d’un lycéen fraîchement arrivé en ville qui va se retrouver impliqué dans des événements qui le dépassent.
La recette n’a pas vraiment changé au fil du temps. Elle s’est plutôt affinée à chaque nouvel opus. Ainsi, l’expérience globale repose sur trois grands piliers : le scénario, l’écriture des personnages et le système de combat. Une Triforce dont on sent qu’elle a bénéficié d’un soin tout particulier. L’enquête que l’on va vivre, avec ces meurtres qui surviennent dans cette petite bourgade japonaise, est très plaisante à suivre et, à l’instar de la fine équipe que l’on contrôle, on échafaude nos théories quant au coupable et aux raisons qui auraient pu le pousser à de telles extrémités.
Persona 4 Golden nous propose une ambiance très feutrée, presque en huis clos dans cette campagne reculée où le centre commercial local représente presque le summum de la civilisation moderne. Ici, tout le monde se connaît et les ragots vont et viennent très vite. Alors, quand notre héros, qui vient de la ville, arrive, on est considéré comme l’attraction du moment, le point de repère de toute une population vis-à-vis de leur propre mode de vie. Ce décalage offre un cachet particulier à l’environnement et ses habitants, et on se met finalement nous aussi très vite à connaître chacun des locaux, leurs histoires, et on se prend au jeu de leur enthousiasme vis-à-vis de notre présence.
Et bien sûr, puisque l’on parle de connaître en profondeur les habitants, c’est parce que l’on sera amené à entrer au sein même du cœur et de la psyché de nombreux protagonistes. L’écriture des personnages est sans doute la plus belle qualité de Persona 4 Golden. Chacune des relations que l’on prendra le soin d’entretenir est un plaisir sans cesse renouvelé. Entre Dojima, notre oncle et inspecteur local et son passé tragique, Rise, l’idol qui souhaite revenir à une vie anonyme ou Yosuke, notre plus fidèle ami.
Des archétypes qui ne sont pas sans nous rappeler ceux que l’on a retrouvés dans Persona 5, soit respectivement Sojiro, Ann et Ryuji. De là à dire que Persona 4 Golden n’est finalement qu’une ébauche de ce que deviendra la licence des années plus tard ? Bien au contraire, c’est Persona 5 qui s’est allègrement servi de tout ce qui a été construit dans les épisodes précédents pour transcender une formule déjà bien rodée, et surtout déjà redoutablement addictive.
Et quel plaisir d’arriver à gérer dans un calendrier scolaire très compact nos réussites dans les études, dans nos relations – éventuellement amoureuses – et une enquête qui n’est, de prime abord, pas vraiment à la portée d’une bande de lycéens. Chaque semaine passée, chaque réussite du quotidien, que ce soit par une montée de statistiques via un petit boulot, une relation avec un protagoniste qui évolue dans le bon sens est une bataille remportée qui affûtera nos armes pour les épreuves à venir…
Touche pas à mon poste
Afin de comprendre les événements qui bouleversent le village d’Inaba, nous devrons nous rendre dans le lieu où l’être et le paraître s’entremêlent : la télévision. Une métaphore qui a une résonance encore plus particulière aujourd’hui, à l’heure de Tik Tok, Twitter et tous ces réseaux qui nous permettent de mettre en avant la façon dont on souhaite être perçu et non qui nous sommes vraiment. C’est en traversant littéralement la dalle sombre à l’aide d’un mystérieux pouvoir que nous découvrirons ce monde qui nous mettra face à nos propres contradictions.
Et c’est donc là que l’on en arrive au dernier pilier sur lequel repose la saga des Persona, et donc Persona 4 Golden, c’est bien entendu son système de combat et les donjons que nous sommes amenés à explorer. Si les affrontements n’ont rien à envier à tous les J-RPG au tour par tour de l’époque, et même d’aujourd’hui, on ne peut hélas pas en dire autant de la structure des donjons. Générés aléatoirement, ils se résument en effet presque uniquement à de l’exploration de couloirs étriqués où les rares embranchements ne mènent qu’à un coffre au contenu bien souvent inutile.
Là où le jeu est très fort néanmoins, c’est dans sa capacité à imbriquer chacune de ses mécaniques. En étant aussi interdépendantes les unes des autres, cela offre une importance accrue à toutes nos décisions dans et hors du donjon. Par exemple, améliorer notre relation avec Yosuke permettra entre autres à sa persona, son « ça » apprivoisé, de bénéficier de nouvelles attaques. De plus, grâce à une relation renforcée, les démons que nous pourrons nous-même invoquer bénéficieront d’un apport d’expérience non négligeable lors de son invocation. Invocation qui par ailleurs permettra d’améliorer encore plus efficacement nos relations lors des phases de dialogues. Un cercle vertueux particulièrement efficace.
Et puisque l’on aborde le sujet, une grande part du plaisir d’un persona provient de notre capacité à invoquer de puissants démons, avec le moins de faiblesses élémentaires possibles et à qui l’on pourra assigner nos meilleures attaques. C’est un peu notre Pokédex démonique dans lequel les créatures rencontrées et apprivoisées dans le donjon deviennent le terreau fertile de nos expériences et croisements les plus audacieux, jusqu’à ce que l’on devienne le meilleur dresseur combattant.
Et il ne faudra pas moins que cela pour relever les défis qui se dresseront face à nous. La difficulté est bien plus élevée que ce que l’on a connu dans le dernier épisode de la saga et Persona 4 Golden impose régulièrement aux joueurs des phases de farm pas très enthousiasmantes. Heureusement, il a aussi le bon goût de proposer une personnalisation très astucieuse de la difficulté permettant de réduire la durée de ces passages pas très intéressants en augmentant par exemple drastiquement le gain d’expérience à chaque combat (sans pour autant en diminuer la difficulté).
Persona 4 Golden est un monument du J-RPG et un petit bijou d’écriture tant de son histoire que de ses personnages. Chaque scène, chaque dialogue, chaque retournement de situation a été finement écrit pour garder le joueur captif d’une intrigue ciselée. Même en 2023, le jeu conserve encore tout son charme, même s’il faut bien reconnaître qu’il a techniquement pris un petit coup de vieux. Néanmoins, l’intérêt se situe ailleurs et on passera facilement outre un aspect graphique daté, même s’il a été lissé pour éviter autant que faire se peut de piquer les yeux des joueurs contemporains.
L’attrait le plus notable de cette mouture de persona 4 Golden, au-delà de son accessibilité (la version PS Vita nécessitant un emprunt sur cinq ans pour être obtenue aujourd’hui), c’est sa traduction française intégrale. Force est de reconnaître qu’elle est ici de haute qualité, avec bien souvent une adaptation plus qu’une traduction littérale qui apporte un cachet supplémentaire à certains dialogues et pourra déclencher, à plusieurs reprise quelques pouffements bien à propos.
Pour comprendre où l’on va, il faut se rappeler d’où l’on vient et Atlus, avec sa saga devenue phare Persona, l’a parfaitement compris. Persona 5 n’aurait jamais été ce qu’il est sans les innovations et apports de Persona 3 puis Persona 4. Plus qu’un trip retro, Persona 4 Golden (tout comme Persona 3 Portable) sont des voyages initiatiques vers l’un des J-RPG les plus marquant de sa génération. Si vous avez aimé Persona 5, il n’y a pas à hésiter une seule seconde.