Né à Berlin en 2022, Mostly Games est un jeune studio indépendant qui signe un premier projet à la fois intrigant et, il faut bien le dire, résolument dans l’air du temps : un platformer sur la futilité de l’existence. Financé via une campagne Kickstarter à plus de 25 000 € et présenté dans quelques showcases, Peppered a rapidement éveillé notre curiosité. Et hop, trois ans plus tard, le voilà qui débarque sur Steam.
Décrit comme un « platformer existentiel », on nous vend une aventure dans laquelle chaque erreur est définitive, chaque choix a un impact, et où le game over n’est pas une fin, mais juste un autre chemin. Avec un concept pareil, comment ne pas vouloir plonger à corps perdu ?
(Test du jeu PEPPERED: an existential platformer sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Avant l’apocalypse, un caf’
L’aventure débute là où les rêves viennent mourir : dans un open space grisâtre peuplé de cœurs déjà vaincus par l’aliénation d’un travail morose. Vous incarnez un personnage à l’imperméable trop grand, fraîchement débarqué pour un entretien d’embauche dans une entreprise aussi déprimante qu’inintéressante. Sur les écrans, les nouvelles défilent : la fin du monde approche, la Mort elle-même arrive, et le « héros légendaire » censé sauver la situation est injoignable.
Vous devriez probablement vous inquiéter de cette apocalypse imminente, mais vous avez un café à aller chercher, et peut-être une place à gagner dans l’organigramme. Ou alors vous pourriez essayer de sauver le monde. Ce décalage constant entre menace cosmique et absurdité administrative donne d’emblée le ton : Peppered joue la carte du tragico-comique existentiel en permanence.
On explore les locaux, on interagit avec une machine à café récalcitrante, on discute avec nos weirdo de collègues anthropomorphes, et, petit à petit, on comprend l’importance des choix qui nous sont présentés. Chaque réponse donnée, chaque action entreprise peut vous faire prendre un chemin complètement différent et aboutir sur une fin abrupte. Enfin, dans une certaine mesure.
À sa base, Peppered reste un jeu de plateformes en 2D. Mais au lieu de chercher la pureté d’un gameplay à la Celeste, le titre de Mostly Games préfère rester sur un gameplay simple à base de saut, de dash et de glissade principalement. Parfois avec grâce, parfois avec maladresse, notamment à cause d’un système de mouvements qui manque un chouïa de précision dans certaines situations et d’un mapping de touches discutable. Rien de dramatique, mais assez pour nous faire froncer les sourcils dans les niveaux les plus exigeants, surtout qu’on lorgne ici clairement sur le die’n’retry.
Les environnements changent radicalement selon les choix et les chapitres : on passe d’un bureau aseptisé à des couloirs hantés, de belles plages lumineuses à des segments presque oniriques. Cette variété visuelle et ludique empêche toute lassitude, d’autant que chaque séquence apporte une nouvelle idée, parfois fugace, parfois développée.
Le jeu se permet même de jouer avec les codes de l’infiltration, du puzzle, et même de l’aventure textuelle. Certains passages vous laissent faire des choix absurdes, comme… ne rien faire. Et parfois, c’est ça la bonne décision. Ou la pire.
Les combats de boss, quant à eux, sont bien intégrés à l’univers et proposent des affrontements lisibles, à défaut d’être inoubliables. Le vrai plaisir vient souvent de l’ambiance : une esthétique sobre mais soignée, un humour, parfois pince-sans-rire, parfois franchement absurde, qui colle bien à l’univers dystopique mais détaché du jeu.
Philosophie de l’échec et charme du chaos
Ce qui marque dans cette proposition, ce n’est peut-être pas tant la profondeur de ses ramifications que l’ambition qu’il affiche à faire de l’échec un outil narratif. Peu se sont risqués à cette approche, et à l’exception de Disco Elysium et Baldur’s Gate 3, rares sont ceux qui ont vraiment su en faire une réussite.
Il ne révolutionne pas le genre du jeu méta, loin de là, et tous les embranchements ne changent pas radicalement le cours de l’histoire. Certains choix donnent lieu à des variations légères, parfois presque anecdotiques. Mais d’autres, plus rares, ouvrent des chemins franchement inattendus, voire des pans entiers du jeu que l’on aurait pu rater sans même s’en rendre compte.
C’est là que Peppered intrigue : pas dans une accumulation de possibilités infinies, mais dans quelques virages surprenants qui donnent envie de recommencer une partie, ne serait-ce que pour voir ce qu’il aurait pu se passer « si… ». La structure du jeu ne se veut pas exhaustive, ni totalement malléable. Elle est davantage conçue comme une série de détours narratifs, avec parfois des impasses, parfois des raccourcis vers l’absurde ou le tragique. Le système de chapitrage rend d’ailleurs cette exploration assez fluide.
L’ensemble est porté par une galerie de personnages secondaires bien écrits, une tonalité oscillant entre l’absurde et le mélancolique, et un humour qui surprend autant qu’il peut se montrer un peu lourdingue. Le tout donne à la première production de Mostly Games une identité forte, même si l’on sent qu’il n’exploite pas toujours tout son potentiel en matière de métarécit.
Peppered est un jeu imparfait, mais qui a le mérite de tenter des choses. Il ne révolutionne ni la narration interactive, ni le jeu de plateformes, mais il combine les deux avec suffisamment d’intelligence et de personnalité pour susciter l’intérêt. Malgré des choix dont l’impact reste souvent limité, on retient surtout quelques détours étonnants, et un regard doux-amer sur notre incapacité à choisir entre inaction confortable et engagement hasardeux.
Ce n’est pas un jeu parfait, ni un manifeste existentiel aussi tranchant qu’il en a l’air, mais il en fait suffisamment pour qu’on ait envie d’aller jusqu’au bout, quitte à échouer en chemin, et s’en souvenir quand même.