La sortie d’un jeu estampillé Obsidian Games n’est jamais à prendre à la légère. Depuis 2004 et la sortie de Star Wars: Knights of the Old Republic 2, le studio a régulièrement su se réinventer pour produire des jeux variés aujourd’hui reconnus du public. Neverwinter Nights 2, Fallout New Vegas, Skyforge ou plus récemment The Outer Worlds sont autant de témoignages du savoir-faire et de la diversité du travail des développeurs californiens. Avec Pentiment, c’est un nouveau virage à 180 degrés pris par le studio. Et autant le dire tout de suite, l’expérience proposée vaut clairement le détour, même si elle laissera certainement du monde sur le bord de la route, tant le parti pris est fort.
(Test de Pentiment sur PC via une copie fournie par l’éditeur)
Une page blanche qui s’offre à vous
L’histoire de Pentiment prend place au seizième siècle en Bavière, dans la petite ville de Tassing, en plein Saint Empire Germanique. L’imprimerie se développe depuis une cinquantaine d’années en Europe, et avec elle les premiers sentiments de contestation de la classe paysanne envers les puissants et les représentants de l’Église chrétienne. Le joueur incarne Andréas Maler, jeune artiste invité de l’abbaye de Keirsau pour profiter de l’un des derniers scriptoriums (salle d’écriture manuscrite) du Saint Empire, et créer ce que le jeu surnommera « son chef-d’oeuvre ». Divers événements vont survenir dans ce petit village en apparence paisible, amenant Andréas à devenir plus qu’un simple artiste. Vous ne saurez rien de plus du héros de notre histoire dans cette critique. Dans Pentiment, le héros, c’est le joueur, et rien que le joueur. Chaque personne qui prendra le contrôle d’Andréas vivra une aventure unique, forcément différente de celle vécue par les autres joueurs.
Dès le menu, le ton est donné. Un choix d’options minimaliste, une légère bande-son au violon parfaitement adaptée au moment, et un manuscrit qui nous attend sur un présentoir. La première action proposée est forte de symbolique : s’emparer de ce manuscrit et en effacer la première page, pourtant déjà utilisée, pour enfin accéder à l’aventure d’Andréas. En effaçant ce manuscrit, c’est une page blanche que vous laissez libre pour votre propre histoire, celle que vous vous apprêtez à écrire.
À peine arrivé à Tassing, le constat est là. Le jeu est magnifique. Chaque décor proposé est unique, dessiné dans le pur style des enluminures d’un manuscrit d’époque. C’est simple, on s’y croirait. Le travail effectué par les illustrateurs de chez Obsidian est énorme. Plus que devant un simple jeu, c’est devant une vraie œuvre d’art que le joueur se retrouve, un livre dont il va tourner les pages petit à petit, simplement en utilisant sa souris. Car oui, Pentiment est un simple point’n’click, mais le réduire à cela serait manquer de respect aux équipes présentes derrière le jeu. Simple, il l’est dans sa mécanique, qui ne dépaysera pas les habitués du genre. Du clic, du clic et encore du clic. Du clic pour se déplacer, du clic pour interagir avec les personnages et les objets, du clic pour choisir le dialogue le plus adapté à la situation. Mais derrière, c’est un jeu d’une complexité narrative et historique folle que nous proposent les créateurs, chacun de vos actes pouvant avoir des conséquences irréversibles sur la suite de l’histoire.
Une aventure unique
Après une rapide introduction, Andréas se retrouve libre dans la ville de Tassing. À vous de décider ou non de faire connaissance avec la population locale, et au travers des nombreux dialogues proposés, de commencer à créer votre propre Andréas. Parlera-t-il le latin ? Sera-t-il passionné de botanique ou d’astronomie? Aura-t-il étudié en Italie ou en France? Voilà une infime partie des nombreux choix qui vous seront laissés au cours de votre aventure.
Ces choix auront ensuite une influence non négligeable sur la direction que prendront certaines de vos discussions avec les habitants de la ville ou de l’Abbaye. Car Tassing va vite s’avérer être une ville pleine de mystères et de secrets, et Andreas va vite passer de la vie de simple artiste à celle d’enquêteur. Au cours de vos pérégrinations, chaque dialogue sera unique, et de nombreuses propositions de réponses seront faites, permettant de développer des relations plus ou moins amicales avec la population locale.
Le travail scénaristique est titanesque. Chaque dialogue a un impact sur l’histoire générale, même si on ne s’en rend compte que des heures plus tard, et le jeu arrive toujours à garder une longueur d’avance sur vous, comme s’il savait à l’avance ce que vous êtes en train de rechercher. Attention toutefois à la surenchère. Dès la première heure de jeu, ce ne sont pas moins d’une vingtaine de personnages que vous aurez déjà rencontrés, auxquels viendront s’ajouter d’autres par la suite. Difficile parfois de s’y retrouver, et de se rappeler avec qui nous avons parlé récemment. Heureusement, Pentiment propose un journal de quêtes et de personnages simple et bien pensé qui s’avérera bien utile dans les moments plus flous de notre aventure.
Une histoire dans l’Histoire
Avec Pentiment, Obsidian réussit un véritable coup de maître : créer un jeu où le plaisir de jouer et d’enquêter sur les secrets de la ville va se mêler au plaisir d’apprendre. À chaque clic de votre souris, au travers des oreilles, des yeux ou de la voix d’Andréas, c’est toute une période de l’histoire de l’Europe qui va se présenter au joueur. Si vous aimez le Moyen-Âge et la Renaissance, vous allez vous régaler. Si vous ne les connaissez que trop peu, ce jeu est une mine d’or, et vous en ressortirez heureux et grandi. Heureux d’avoir pu révéler les mystères de Tassing (ce qui ne sera pas si simple…) et grandi intellectuellement devant le fourmillement d’informations et d’anecdotes sur l’Histoire que le jeu apporte. Les thèmes abordés sont nombreux. Les conditions de vie des paysans, la place de la femme dans la société, l’importance prépondérante de l’Eglise chrétienne dans la vie de la ville au Moyen-Âge sont autant de sujets sur lesquels le joueur pourra se cultiver, tout en se voyant donner le droit de participer aux débats de l’époque.
Pentiment peut s’avérer quelque peu élitiste dans ce domaine. Certains dialogues sont compliqués à suivre, car complètement ancrés dans le contexte de l’époque médiévale. Ce qui est la grande force du jeu, son aventure totalement immersive, devient de temps en temps un défaut, loin d’être rédhibitoire cependant. Difficile par exemple pour le joueur de tenir un dialogue construit avec un abbé sur le thème des réformes luthériennes au seizième siècle. C’est pourtant quelque chose qui vous arrivera à un moment de votre aventure. Le jeu propose un lexique en cas de difficultés de compréhension, mais celui-ci peut s’avérer insuffisant pendant certains arcs narratifs.
L’aventure narrative d’Andréas ne s’arrêtera ni aux frontières de Tassing, ni à l’année 1518… Mais il s’agit d’une autre histoire, qu’on ne peut vous raconter ici, car nous n’en sommes pas le personnage principal. Ne l’oubliez pas, vous êtes le héros d’un livre, le manuscrit Pentiment, et le Andréas Maler que nous avons créé de toutes pièces n’aura peut-être aucun point commun avec celui que vous créerez lors de votre aventure.
Vous l’aurez compris, Pentiment est un jeu d’une originalité et d’une inventivité exceptionnelles, soutenu par une direction artistique qui ne peut pas laisser le joueur indifférent. Le paradoxe est surprenant, dans une époque où on ne cesse d’opposer les écrans et les livres, mais néanmoins vrai : Pentiment est un jeu vidéo qui fait lire et qui donne envie de lire. Si passer des heures à lire ne vous intéresse pas, alors ce dernier n’est pas fait pour vous.
Tout au long du jeu, il est fait référence au chef-d’œuvre d’Andréas Maler, celui qui lui permettra de devenir un maître. Et si Pentiment était le chef-d’œuvre du studio Obsidian ?