Imaginez un monde régi par ses propres règles et dans lequel d’étranges créatures faites de papier cohabitent. Ce monde, menacé par un mal inconnu, c’est Paper Beast. Eric Chahi (Another World, Heart of Darkness) nous confie les clés de cet univers pour le moins intriguant, univers que l’on explore avec le casque VR de la PlayStation 4. Près de dix ans séparent ce nouveau projet du programmeur français de son ancien titre From Dust. Et il suffira de quelques minutes de jeu pour apercevoir un héritage plus qu’évident. On reste dans la thématique de la nature, sujet si cher à l’auteur.
Abandonnez toute logique, vous poussez ici les portes de l’imagination. Vous vous apprêtez à fouler les terres d’un vaste monde inconnu où tout est possible.
(Test de Paper Beast sur PlayStation 4 via un code fourni par l’éditeur)
This is not a simulation
Dans un coin d’un vieux serveur oublié, un écosystème est né. Enfilez votre casque, on part sans plus tarder en exploration. D’entrée de jeu, Paper Beast donne le ton de sa folie créatrice. Nous voilà sur une sorte de piste de danse avec différentes formes colorées se mouvant au rythme d’une chanson japonaise édulcorée (morceau issu du groupe TsuShiMaMiRe). Comment ? Quoi ? On reste planté là à observer cette scène surréaliste, on s’amuse à suivre ces formes aux milles couleurs se déhancher. Et sans le savoir, le piège se referme. Sans crier gare, la musique s’arrête, les lumières s’éteignent et nous voilà propulsé dans un désert. Seul le bruit du vent se fait entendre.
Pour nous accueillir, un étrange colosse fait de papier. Pas de dialogue, aucune indication, il faudra trouver la raison de notre présence par nous-même. Après quelques minutes à explorer les environs et à se familiariser avec les commandes, on finit par suivre l’imposante créature. Les commandes justement, parlons-en. Ces dernières sont très sommaires mais intuitives : un bouton pour attraper (une fois l’élément verrouillé, vous pourrez le rapprocher ou l’éloigner), un autre pour se téléporter. C’est tout. Le reste se fera à coup d’observation à travers le casque. Petite précision, le jeu peut se faire avec la manette ou avec le PlayStation Move.
Cette rencontre fortuite au pays du papier signe le début d’un périple atypique. Découvrons ce que ce monde a à nous offrir.
Après quelques pas en compagnie de notre bête sympathique, nous voilà aux abords d’une caverne. Nous devons alors dire adieu à notre camarade éphémère, trop imposant pour s’enfoncer dans l’obscurité. Les ténèbres dominent. Mais une étrange lumière guide nos pas. Une énorme fourmilière nous apparaît au centre d’une pièce, et tout autour, des bêtes de carton aux allures de fourmis s’adonnent à leur tâche. On contemple quelques minutes cette nouvelle scène et on comprend rapidement qu’il s’agit en réalité d’une épreuve. La première d’une longue série avec toujours comme dénominateurs communs : des créatures kraftées et les éléments de l’environnement (sable, eau, vent…).
Aussi fragile qu’une feuille de papier
Paper Beast est un puzzle-game avec une pointe d’exploration. Car même si la zone de jeu peut paraître énorme à première vue, on est bien souvent limité dans nos déplacements. Toujours dans cette incompréhension, on enchaînera les énigmes tantôt réussies tantôt sans grand intérêt dans le but ultime d’avoir une réponse à nos multiples interrogations. Le titre joue beaucoup avec la terraformation (l’héritage mentionné en introduction de From Dust).
Malheureusement, même de courte durée, le jeu n’échappe pas à une certaine redondance dans son gameplay basique, une redondance certes gommée par la partie contemplation et originalité du titre, mais bien présente. De même, une certaine imprécision rendra les énigmes plus pénibles. Le curseur censé attraper les objets ou créatures peut se montrer capricieux à plusieurs reprises.
Mais là où Paper Beast ne déçoit pas, c’est bien sur son design original et ses capacités graphiques. Le moteur graphique du studio Pixel Reef ne subit aucune baisse de framerate, et ce, même avec une multitude de banderoles de papier soulevées par le vent. Rappelons que la chute de framerate est l’ennemi numéro un de la VR quand trop d’éléments sont affichés.
Eric Chahi et ses équipes ont véritablement créé un univers unique en son genre, un univers rythmé par son cycle jour/nuit, sa météo, sa faune et sa flore. Tout y est. Par l’incompréhension omniprésente, le jeu nous invite à la réflexion sur notre propre environnement. Le papier sert ici de miroir à notre réalité. Dans cette logique, Paper Beast dépasse son statut de jeu pour se rapprocher de celui d’art. Un art numérique dans lequel nous devons nous-même créer l’œuvre finale. L’auteur pointe une direction, à nous de la suivre et de comprendre son message. Car tout est question de message ici, un message de préservation de notre planète bleue.
Paper Beast surprend également par sa bande-son magnifique. L’artiste Roly Porter a composé des morceaux collant parfaitement à l’ambiance du jeu et nous poussant davantage dans cette posture d’introspection. Une invitation au voyage qui ne fait qu’agrandir la portée du titre et son imagination.
Enfin, après avoir terminé l’aventure principale, un mode sandbox sera disponible. Dans ce dernier, vous pourrez façonner un monde à votre image. Tel un peintre devant une toile vierge, vous pourrez créer la vie en ces lieux. Un mode bienvenu qui rallonge ainsi la rejouabilité du titre. Comptez environ quatre heures pour terminer le scénario, une durée de vie plus qu’honorable pour un jeu VR.
Paper Beast divisera. Le jeu, si on peut l’appeler ainsi, ne plaira pas à tout le monde. Tout comme devant une pièce d’art, certains joueurs resteront de marbre devant cette expérience atypique, d’autres adhéreront à ce monde fictif, étrange reflet de notre réalité. Imparfait et limité dans son gameplay, Eric Chahi vient de façonner un univers cohérent et fascinant dans ses mécaniques et sa gestion.
Retenez surtout que Paper Beast est d’abord une aventure personnelle et un beau message de sauvegarde de notre patrimoine naturel.