Of Blades & Tails est le fruit du travail solitaire de Felix Laukel, alias Coldi, un développeur allemand qui mûrissait ce projet passion depuis de nombreuses années. Il a entamé la dure tâche de créer le jeu de ses rêves en 2021, après son travail en tant qu’ingénieur logiciel, et pendant que sa fille dormait. Accompagné de l’éditeur Pineapple Works, armé du Godot Engine et inspiré par ses deux modèles, Tales of Maj’Eyal et Stoneshard, Of Blades & Tails est sorti en accès anticipé sur PC en 2022, puis en version définitive en novembre 2023. C’est à l’occasion de sa sortie sur Nintendo Switch, le 6 novembre 2025, que nous réalisons le test de ce RPG au tour par tour en vue du dessus, qui, à l’inverse de l’impitoyable Stoneshard, se veut accessible et amusant. Pari réussi ?
(Test de Of Blades & Tails réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Que dis le renard?
Of Blades & Tails nous place dans la fourrure chaleureuse de Reik, un membre de la tribu des Renards pacifiques, propulsé dans une série d’incidents fâcheux qui le contraignent à prendre les armes et partir à la découverte du monde pour unifier les autres tribus animales. Les humains ? Ils ont disparu depuis très longtemps et seuls quelques vestiges subsistent.
Le scénario se résume grosso modo à cela, et la plupart des rencontres servent surtout de prétextes à progresser dans un monde qui manque peut-être d’un poil d’originalité, mais parvient tout de même à surprendre un peu à l’approche de sa conclusion. La traduction française, assez moyenne, n’arrange rien : elle pourrait poser problème aux non-initiés ou au jeune public auquel le jeu s’adresse pourtant. Par exemple, de nombreuses compétences souffrent d’une traduction très littérale, comme Atq. Hémor. indiquée par la locution « Offre X % proposées dégâts physiques ». Les joueurs habitués comprendront immédiatement qu’il s’agit d’une attaque infligeant une hémorragie, mais un enfant qui découvre le jeu vidéo restera sans doute perplexe devant un tel charabia.
Les dialogues sont de meilleure facture, mais les textes manquent eux aussi d’un peu de fantaisie. Il aurait été possible de rendre l’aventure plus agréable à suivre avec un minimum de recherche dans les noms. « Insecte Caravane » aurait très bien pu devenir « Scaravane », par exemple, ce qui aurait été tout aussi évocateur et bien moins laborieux à lire. On mesure à quel point il est difficile de sortir un jeu lorsque l’on est un développeur quasi solitaire, mais justement : prendre le temps de peaufiner son univers, surtout lorsqu’on vise un jeune public, c’est aussi s’assurer des ventes additionnelles.
Tu n’as pas mis les pattes dans la bonne forêt, camarade
Sur la partie gameplay, Of Blades & Tails joue la carte du classique, mais il le fait bien. Tous les systèmes fonctionnent presque parfaitement et un joueur expérimenté disposera d’un équipement qui, s’il n’est ni varié ni original, offre en théorie assez de liberté pour créer un personnage sur mesure. Pourquoi « en théorie » ? Parce que dans les faits, bien que le joueur puisse choisir librement parmi quatorze arbres de talents offrant chacun environ une demi-douzaine de compétences actives, Of Blades & Tails souffre d’un déséquilibrage marqué entre les talents au corps-à-corps et ceux à distance, nettement avantagés. À tel point qu’il nous a été impossible, par exemple, de jouer en difficulté Aventure (le mode normal) avec un personnage typé tank basé sur la force et la vitalité, même équipé en conséquence.
Même constat pour le mode facile, qui ne l’est finalement pas tant que ça. La faute à une quantité d’ennemis impressionnante dès le début de l’aventure, ainsi qu’à un système de respécialisation trop peu permissif, nécessitant des objets relativement rares. Ajoutons qu’en cas de mort, le jeu vous renvoie au dernier feu de camp sans malus et avec tout votre équipement, sauf les consommables déjà utilisés : il est donc très facile de se retrouver à court d’objets de soin, perdu au milieu de nulle part avec un marchand situé à perpette-les-oies, créant une situation de softlock potentielle.
Une fois que l’on a pris le pli, Of Blades & Tails devient nettement plus agréable à parcourir. On peut s’amuser à exploiter certains éléments du décor, comme des poches d’acide ou des tonneaux explosifs dans lesquels projeter nos ennemis après un violent coup de bouclier. Ou attirer un groupe de bandits dans un couloir de leur forteresse, jeter une toile d’araignée sur le premier venu pour bloquer les autres, puis les brûler avec un mur de flammes. Si le jeu manque d’équilibrage, il offre en revanche la possibilité de créer quelques situations amusantes, sans pour autant noyer le joueur sous des possibilités infinies comme un Baldur’s Gate 3, pour ne citer que lui.
Entrée+Plat+Dessert pas trop cher
Of Blades & Tails souffre également de quelques soucis d’ergonomie, notamment dans la gestion de l’inventaire, qui devient vite une liste interminable à mesure que l’on progresse. Il a toutefois le mérite d’afficher une interface claire et sans fioritures. Tous les menus, hors traduction hasardeuse, sont intuitifs et les boutons bien identifiés. On comprend aisément, par exemple, le système permettant d’extraire une caractéristique d’un objet pour l’infuser dans un autre, ce qui implique la destruction du premier. Même chose pour les fragments de cartes, qui, une fois le nombre requis réuni, permettent d’en fabriquer une complète menant à un coffre au trésor, voire à une rencontre rare ou un donjon secondaire.
Vous l’aurez compris, Of Blades & Tails ne cherche pas à réinventer un genre, ce qui serait de toute manière extrêmement compliqué pour un développeur solitaire. Et bien qu’il souffre de visuels et d’une structure génériques, il reste un jeu clairement conçu avec passion et amour, malgré des défauts qui pourront poser problème aux débutants complets. Un jeu qui saura exploiter votre intelligence et respecter votre temps. Il faudra toutefois s’accrocher un peu pour qu’il révèle tout son potentiel et vous donne envie de continuer (pensez à désactiver l’unique morceaux musical joué lors des combats surtout).
Mais si vous lui laissez la chance de s’exprimer, il pourra offrir, à vous ou à un enfant, une bonne vingtaine d’heures de plaisir et d’exploration toujours gratifiante, de contenu annexe convenu mais conséquent. Il demeure l’une des meilleures portes d’entrée vers le RPG tactique au tour par tour sur le marché, d’autant que Pineapple Works et Felix Laukel travaillent encore à améliorer la traduction et l’équilibrage. Vous auriez tort de vous en priver, surtout au prix affiché.


