De plus en plus ces dernières années, le jeu vidéo asiatique non japonais se retrouve au centre de l’attention médiatique en proposant des titres toujours plus ambitieux, devenus trop massifs pour le marché mobile auquel ils étaient jusque là associés. On pense par exemple à certains cadors de cette année, comme l’excellent Stellar Blade ou l’inévitable Black Myth Wukong, mais aussi à d’autres expériences plus confidentielles comme le Metroidvania qui nous intéresse aujourd’hui, Nine Sols.
Sorti sur PC en mai dernier, nous piaffions d’impatience en attendant la sortie sur console du titre made in Taiwan de Red Candle Games, qui s’est donc produite en cette fin novembre 2024. Alors, réussi-t-il à tenir les promesses esquissées lors de ses alléchantes vidéos de présentations ? Et alors que nous attendons toujours des nouvelles d’Hollow Knight Silksong, Nine Sols peut-il devenir une nouvelle référence dans un genre très concurrentiel ? Et si finalement, en l’absence de son roi, ses héritiers étaient devenus les nouveaux monarques ?
(Test de Nine Sols sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Au-dessus, c’est le soleil
Lorsque l’on produit une nouvelle licence, et a fortiori lorsque l’on est un studio indépendant de taille modeste, le moyen le plus évident pour se démarquer d’une concurrence de plus en plus importante reste de proposer une direction artistique qui sort de l’ordinaire, ou tout du moins permettant d’immédiatement l’associer au jeu en question. Cela passe bien sûr par un choix de couleur et l’apparence des personnages et des environnements notamment.
Ainsi, et en premier lieu, nous avons été attirés par la patine graphique du titre. Les premières images nous laissaient augurer d’un monde coloré, où la nature laisse régulièrement place à l’industrie et la technologie. Les différentes zones ont d’ailleurs systématiquement été un enchantement pour nos yeux. Chaque lieu, associé à une colorimétrie distincte permettant en plus d’aisément les identifier, a bénéficié d’un travail admirable et participe du même coup à l’harmonie globale de l’ensemble.
Alors, on a beau rester globalement dans des environnements industriels, la technologie ayant prise dans tous les aspects de la civilisation solarienne (peuple auquel notre héros appartient), chacun d’entre eux reste unique et on n’a jamais l’impression de parcourir toujours le même type de lieux. Un contraste saisissant (tant graphiquement que narrativement) au regard de de la beauté naturelle du village des hommes-singes, en introduction, où des primitifs (considérés comme du bétail par la civilisation solarienne) les déifient, les reliques technologiques encore actives s’apparentant à des pouvoirs divins.
C’est d’ailleurs durant cette introduction que l’on fait la connaissance d’un de ces habitants, Shuanshuan, que l’on va prendre sous notre aile, tel un grand frère ou père de substitution. À moins que ce ne soit une forme de gratitude, le jeune homme-singe ayant sauvé un Yi laissé pour mort au pied d’une falaise suite à la trahison de ses anciens compagnons et dirigeants du royaume, les Sols Célestes. Et on commence là à toucher du doigt ce qui nous a à la fois surpris et conquis dans Nine Sols, à savoir sa narration, portée par une remarquable écriture de personnages, souvent introduite par de magnifiques séquences crayonnées façon bande dessinée.
On pense évidemment à Shuanshuan, qui illustre parfaitement le contraste entre un monde parfois assez glauque, sanguinolant et ravagé par son progrès technologique et la fascination de ce gamin s’enjaillant au moindre gadget devenu commun pour les solariens. Le voir s’émerveiller par un simple lecteur musical ou un casque VR à un côté attachant tout en s’insérant parfaitement dans la narration globale du récit en représentant un point d’ancrage pour Yi qui, sans cela, se laisserait probablement envahir par son désir de vengeance.
Ainsi, Nine Sols, sous ses airs de Kill Bill vidéoludique dans lequel on doit supprimer les neuf Sols Célestes n’est pas uniquement une quête de vengeance. Le titre est d’ailleurs très écrit, avec beaucoup de dialogues et documents historiques à collecter, mais aussi de nombreuses séquences afin de comprendre les aspirations et raisons du dévoiement de nos ennemis d’aujourd’hui. Certaines histoires se sont même révélées très touchantes. Pas au point de nous faire hésiter au moment de faire tomber le couperet, mais leur en voulons-nous vraiment après leurs trépas ?
Il faut d’ailleurs souligner que le titre est entièrement jouable en Français, ce qui reste fort appréciable pour une expérience avec autant de lignes de dialogue, même si on pourra chipoter sur une traduction parfois hasardeuse. Rien de rédhibitoire toutefois et les bénéfices d’une telle localisation surpasse de loin les petits écueils repérés à quelques endroits.
Addictif à souhait
Mais avant d’arriver jusqu’à nos nouvelles Némésis, il faudra s’accrocher. On est pourtant en terrain connu, avec la panoplie classique du Metroidvania moderne, avec diverses capacités à débloquer au fil de l’aventure (ruée, attaque chargée, à distance…), mais les ennemis, et surtout les boss, représentent un véritable défi. Chacun d’entre eux doit s’apprendre méthodiquement afin de pouvoir être vaincu via la mécanique centrale du jeu, le contre.
Il est en effet possible, avec le timing adéquat, de se prémunir des dégâts des attaques adverses et pouvoir, à la fin de son combo, contre-attaquer tel un ninja en collant un talisman explosif, par exemple, souvent décisif à l’adversaire. Si la rigueur et la précision sont de mise, on n’est jamais à l’abri de ratés. Fort heureusement, Nine Sols n’est pas complètement intransigeant avec le joueur et permet un compromis lors de contres imparfaits, qui infligent des blessures s’annulant après quelques secondes passées sans se faire toucher. Par contre, en cas d’échec dans le timing, la sentence est irrévocable et de lourds dégâts seront infligés, obligeant alors à se soigner, ou à périr dans les secondes qui suivent.
En cela, on pourrait presque parler de Soulsvania, voire de Sekirovania pour continuer dans les combinaisons de jeux et de genres. Bref, c’est difficile et il faut parfois s’accrocher pour surmonter les adversaires les plus redoutables. Mais une fois vaincu, c’est l’épiphanie, l’extase procuré par un intense sentiment de satisfaction. Il emprunte d’ailleurs aussi aux Soulslike son système d’âme (des Jins ici) pour matérialiser l’expérience obtenue à aller récupérer en cas de trépas à lemplacement de son décès (ou dans les poches de notre tourmenteur dont il faudra se venger).
Toutefois, et c’est à louer, Nine Sols évite globalement le piège de la difficulté gratuite et facile. Il nous propose d’abord de découvrir les paterns des boss, « en douceur », puis monte leurs niveaux de quelques crans tout en restant sur la même base progressivement acquise sur le début de combat. Une manière astucieuse de limiter notre frustration car, aussi forts soient-ils, ils ne nous paraissent finalement jamais totalement inaccessibles.
Et puis, au-delà de l’apprentissage naturel de chaque mouvement adverse, on reste aussi récompensé par un excellent design sonore. Les bruits métalliques issus des contres parfaits qu’on arrive à enchaîner lors des attaques successives des ennemis nous procurent le sentiment d’enfin parfaitement maîtriser une partition. Ensuite, c’est à notre tour de briller dans des assauts où l’on enchaîne attaques critiques et combinaisons qu’on aura appris tout au long de notre périple. De quoi nous rendre accro aux combats à ces combats à la fois fin et violents. Un vrai plaisir.
Ceci dit, Nine Sols reste aussi un jeu d’exploration qui fait régulièrement la part belle à la plate-forme. Yi se manie avec fluidité et, si aucune séquence n’est fondamentalement complexe à appréhender (on est loin d’un palais blanc d’Hollow Knight par exemple), on explore avec plaisir chaque recoin de ces complexes crasseux et inhospitaliers à la recherche de trésors en tous genre.
Une exploration d’ailleurs plutôt bien récompensée. Nous avons évoqué ces trouvailles technologiques, par exemple, à confier à Shuanshuan, qui permettant d’en apprendre plus sur l’univers très fouillé du jeu, mais il faut aussi compter avec des Jades (un équivalent des charmes d’Hollow Knight) à équiper pour s’octroyer divers bonus complémentaires à un arbre de compétence simple mais efficace. Bref, du classique, mais du classique parfaitement exploité.
Il n’y a globalement pas grand-chose à jeter du titre de Red Candle Games. On nous offre là une expérience qui se tient de bout en bout, sans chercher à révolutionner son genre mais en maîtrisant chaque aspect de sa structure. On pourrait bien s’agacer d’un système de téléportation maladroit (pour ne pas dire raté) qui, à la Bloodborne, oblige à retourner dans la zone centrale afin de pouvoir ensuite sélectionner une autre zone (dont on ne verra qu’un aperçu), ou l’absence d’option pour marquer sa carte, toujours regrettable dans les jeux du genre, mais on finit, bon gré mal gré, par s’en accommoder.
Quelle pépite ! Nine Sols fait incontestablement parti des meilleurs Metroidvania de ces dernières années (au côté d’Afterimage et d’Aeterna Noctis deux autres titres méconnus du genre). Moins riche mais mieux rythmé qu’un Hollow Knight dont nous n’attendons plus la suite, le titre de Red Candle Games a su nous combler de la première à la dernière minute en s’appuyant sur deux fondamentaux parfaitement maîtrisés.
Doté d’une direction artistique remarquable, Nine Sols parvient à instaurer une ambiance forte appuyant une narration très présente et intéressante sans entrer dans un manichéisme basique. On prend plaisir à voir évoluer la relation entre Yi et Shuanshuan, à découvrir le passé de notre héros et sa relation avec ses ex et nouveaux compagnons. D’aucun pourrait arguer que c’est parfois trop, que le titre se perd dans son envie de trop en dire sur le lore et ses personnages, mais cela ne nous a aucunement gêné, bien au contraire.
Et puis, s’il y a bien quelques tunnels narratifs, quand la bagarre reprend ses droits, c’est une seconde jambe solide sur laquelle tiens le titre qui se révèle. Faisant la part belle à l’apprentissage précis des adversaires, et surtout des boss, le système de combat est un plaisir pour quiconque à la patience d’étudier chaque mouvement ennemi. Et quand tout s’enchaîne à la perfection et qu’on finit par exulter après avoir piétiné un boss qui jusque là nous fessait en boucle, on se dit que cela en valait vraiment la peine.
Si vous êtes amateurs de Metroidvania, vous ne pouvez pas passer à côté de Nine Sols. Alors certes, il ne révolutionne pas grand-chose, mais il excelle dans tout ce qu’il propose ou presque et est selon nous et à date, l’un des tous meilleurs représentant du genre et sans aucun doute un titre qui n’aurait pas volé sa place aux Game Awards