Les Dents de la Mer (1978) fut un film moteur pour l’industrie hollywoodienne à l’époque puisqu’il est considéré par beaucoup comme le premier « vrai » blockbuster de l’histoire du cinéma. Réalisé par un Steven Spielberg connu jusqu’alors que par une infime partie de la sphère cinématographique, il réussit en un film à montrer tout son savoir-faire, aussi bien en termes de story-telling, que de réalisation ou encore de culot.
Car il en fallait à l’époque pour sortir en grande pompe un long-métrage avec un requin qui croque tout ce qui bouge en le disant film d’auteur. Et pourtant, c’est ce qu’il est et c’est pourquoi il marqua l’histoire du cinéma et influença le fonctionnement de son industrie américaine par la suite.
Alors, pourquoi diable parler des Dents de la Mer ? Eh bien, tout simplement pour le clin d’œil, mais aussi parce qu’il a surement été l’une des nombreuses sources d’inspiration à l’élaboration d’un certain Maneater dont il est question aujourd’hui.
Présenté par ses développeurs, que l’on rappelle de Tripwire Interactive (Killing Floor 2, Chivalry II, …), comme étant un action-RPG dans lequel on incarne un requin nageant dans un grand monde ouvert, le jeu se montre forcément ambitieux dans ses prétentions.
(Test de Maneater réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Au premier abord, Maneater a tout du jeu surprise qui sort d’on ne sait où pour casser la baraque. Son concept mêlant action et RPG dans un univers aquatique dans lequel on incarne un requin en quête de vengeance est franchement aussi étonnant que séduisant sur le papier.
Pourtant, nous ne pouvons cacher que nous avions quelques appréhensions, car si le concept est original, il est aussi extrêmement casse-gueule tant un simple faux pas pourrait enrayer la machine. Et devinez quoi, Maneater est surprenamment bon, à tel point que l’on n’en a fait qu’une bouchée, et ce, même si un certain arrière-gout amer reste en bouche.
Dent pour dent
Scénarisé, Maneater l’est, car comme tout bon RPG qui se respecte, il nous faut une quête à accomplir et donc un but à atteindre. La raison de notre prise de contrôle du squale est très simple : on cherche à se venger du pêcheur, ou plutôt chasseur de requins, meurtrier de notre chère et tendre croqueuse d’Hommes de mère.
Voilà un thème intéressant faisant à la fois écho à Moby Dick, car le chasseur est lui-même obsédé par la recherche d’un soi-disant Mégalodon ayant tué son père, mais aussi à certaines suites des Dents de la Mer qui traitaient très maladroitement ce thème du requin vengeur.
Que les choses soient claires, le scénario est un prétexte à l’action, il est d’ailleurs englobé dans l’émission Maneater, une sorte de téléréalité mettant en scène la chasse aux requins, qui est tournée avant tout sur le ton de l’humour.
D’ailleurs, la voix off du show guide nos pas lorsque nécessaire et surtout commente sans s’arrêter nos actions, se montrant parfois un peu trop envahissante, mais restant néanmoins très drôle. Il n’y pas grand fond au scénario, et la narration est somme toute très classique, ne démarrant que lorsque l’on atteint les quelques missions liées à l’histoire qui ne sont vraiment pas nombreuses, mais suffisantes néanmoins.
Le but du jeu est donc d’arriver à maturité pour pouvoir terrasser notre terrible adversaire. Car si le prologue nous fait incarner maman aux dents longues, on commence bien l’aventure principale dans un bayou crasseux dans la peau d’un joli petit bébé requin-bouledogue.
Autant dire que l’on n’est pas de taille pour affronter tout de suite la terreur des terreurs des chasseurs de squales. Enfermé dans notre première zone de jeu, car la progression est bridée assez souvent par notre niveau, on se familiarise alors avec le gameplay et l’écosystème RPG de ce Maneater.
L’open-world qui prend l’eau
Pour que bébé devienne grand, il nous faut nous nourrir et surtout accomplir quelques quêtes. L’open-world de Maneater est plutôt vaste et divisé en huit parties distinctes qui forment la ville de Port Clovis. Au départ, seul le bayou est accessible et on nous demande très vite de gagner une grotte afin de nous y reposer.
Il y en aura une comme celle-ci dans chaque zone présente et elles servent de HUB dans lequel on peut évoluer ou nous reposer, sachant que l’on peut même s’y rendre en voyage rapide une fois découverte. Mais c’est aussi et surtout le point de départ de tout l’arc narratif d’une zone puisqu’il faut s’y rendre pour débloquer les missions principales.
Et il faut en passer par là pour obligatoirement avancer et pouvoir continuer l’histoire. Le problème, c’est que cela se montre affreusement répétitif aussi bien dans la mécanique de progression que dans ce qui nous est proposé de faire. Dévorer humains, poissons, se farcir des cibles aquatiques, autant de choses que l’on va faire et refaire à ne plus savoir qu’en penser.
Alors oui, le jeu propose bien des missions et activités annexes pour varier les plaisirs, mais là encore, il n’y a rien de ni très passionnant ni de changeant. Il faut toujours croquer du nageur, tuer de la poiscaille en série et c’est tout.
La lumière au bout du tunnel vient peut-être de la jauge d’infamie. Comme dans un GTA, on dispose d’un indice de recherche dans le jeu qui augmente en fonction de notre appétit. Plus on a tué d’humains, plus on sera recherché et plus on devra se fritter avec des chasseurs de requins de plus en plus coriaces. Une fois un nouveau palier franchi, un chasseur unique arrivera sur les lieux du massacre pour nous faire mordre du corail. Le bouffer avec rage rapporte un joli cadeau pour notre squale.
Il faut aussi savoir que comme tout bon open-world, le monde est truffé de collectibles à, vous l’aurez deviné, collecter. Alors, on a droit à la chose la plus ridicule qui soit puisque l’on doit trouver entre autres choses des coffres cachés dans les différents environnements.
Là, les développeurs auraient pu se montrer un peu plus originaux et surtout faire preuve de clairvoyance en comprenant que personne n’attend de trouver des trésors au fond de l’eau avec un poisson, aussi intelligent soit-il. Des sortes de plaques minéralogiques sont aussi disséminées un peu partout et n’apportent là encore pas grand-chose, si ce n’est quelques pirouettes pour les récupérer parfois, alors que les points de repère à trouver sont eux déjà plus intéressants, car sont bien souvent de savoureux easter-eggs.
Soyons francs, les mécaniques d’open-world nous ont déçus. Pas d’un point de vue visuel, non, les huit zones sont variées, plaisantes à l’œil et sont toutes différentes. Elles proposent par ailleurs une faune et une flore diverses et variées et s’accompagnent toutes d’un thème unique. Les bayous, les quartiers riches ou encore la station balnéaire font partie par exemple de ce que l’on peut découvrir. Sous l’eau aussi, c’est franchement réussi et cela regorge de passages et grottes cachés, y évoluer est un réel plaisir tant c’est fluide.
Non, le problème vient de ce que l’on nous propose d’y faire, car si rien n’est foncièrement mauvais, hormis l’histoire des coffres peut-être, c’est bien trop répétitif pour capter notre intérêt sur la petite dizaine d’heures, néanmoins suffisantes, que dure le jeu.
Sharkvolution
Ce manque d’ambition est préjudiciable au jeu, car il tombe dans le symptôme de la map blindée de points d’interrogation.
Néanmoins, Maneater est aussi un RPG et en ce sens, notre requin peut évoluer et même s’équiper de différents objets améliorant tout un panel de compétences allant de la vitesse de nage, à la défense ou à notre puissance offensive. Ces dernières caractéristiques évoluant aussi lorsque l’on passe un âge une fois un certain palier de l’histoire ou de niveau atteint.
Assez improbable sur le papier, il faut avouer que cela fonctionne plutôt bien dans les faits. Un système d’expérience est présent et chaque gain de niveau nous rapproche de notre but, à savoir devenir le prédateur ultime. Le fait est qu’en accomplissant certaines quêtes, on gagne aussi des objets que l’on greffe à nos nageoires, notre queue ou encore notre tête.
Cela apporte là aussi diverses améliorations comme être plus efficaces contre les bateaux ou bien contre les menaces sous-marines et, en plus, cela change du tout au tout notre squale visuellement. Il n’existe certes que trois thèmes de skins différents, mais c’est déjà ça.
Surtout qu’il y a aussi tout un système d’améliorations pour ces objets, mais aussi pour les capacités passives que l’on développe pour nos organes. Cela va du sonar à un boost de certaines capacités primaires, en passant par la faculté de gagner plus d’éléments d’amélioration que l’on glane en dévorant du menu fretin, en ouvrant des coffres ou en accomplissant des missions. On dénombre quatre éléments différents, chacun d’eux pouvant servir à améliorer des points précis de notre requin.
Le seul point noir dans tout ceci finalement, c’est que l’on peut évoluer beaucoup, mais alors beaucoup trop vite et rouler ensuite sur le jeu avec une facilité déconcertante. À même pas 35% de l’histoire, nous étions déjà niveau 25, soit seulement à 5 petites unités du maximum. La faute aux quêtes annexes et notre goût à tout faire, tout voir et donc à glaner rapidement de l’expérience. Le sonar n’aide pas puisqu’il s’agit là d’un véritable radar qui repère toutes les choses intéressantes à proximité, et si on en rate de visu, pas de soucis, la carte point d’interrogation est là pour nous guider.
Croque qui peut
Qu’on se le dise, Maneater n’a rien de la simulation du genre « vis ma vie de requin », mais bien plus des films délirants type Sharknado, sans pousser le bouchon trop loin. C’est absurde certes, mais cohérent au vu de son univers.
On peut par exemple sauter hors de l’eau à une hauteur hallucinante et même profiter d’un double saut ou encore utiliser des capacités spéciales qui se débloquent via l’objet greffé à notre queue. On peut même évoluer et bouffer de l’être humain sur la terre ferme pendant quelques secondes et s’y déplacer en sautillant, assez fendard pour le coup.
Le gameplay est d’une fluidité remarquable. C’est facile de prise en main, tout est clair et on ne galère quasiment jamais lors de nos promenades sous-marines. Les combats sont eux dans l’ensemble réussis et demandent d’allier techniques et rapidité d’action. On peut esquiver, mordre, stunt en donnant un coup de queue et bloquer notre proie entre nos dents pour la mâchouiller et l’agiter dans tous les sens histoire de lui faire très mal, et il y a même du démembrement aussi bien pour les poissons que les humains.
Sincèrement, on s’est bien éclaté à se prendre pour le fameux requin blanc des Dents de la Mer en tournant autour de nos proies pour émerger au dernier moment et n’en faire qu’une bouchée alors qu’elle bronzait sur sa bouée flamand rose. C’est fun et dynamique, on ne peut parfois plus arrêter notre frénésie meurtrière tant on y prend goût.
D’ailleurs les PNJ inoffensifs sont bien plus de la chair à canon qu’autre chose. Ils mettent un temps fou à réagir, certain essayant même de nous fuir à la nage alors qu’ils étaient de base sur la terre ferme. Très étranges sont leurs réactions parfois, mais finalement, on s’en moque un peu, puisqu’ils ne sont là que pour nous divertir et apaiser notre appétit. Reste les chasseurs qui eux sont dangereux et nous attaquent souvent à plusieurs bateaux, et même sous l’eau via des plongeurs.
Et si nos affrontements avec eux donnent lieu à quelques moments épiques, c’est souvent plus un gros bordel qu’autre chose. Que l’on opte pour couler leurs bateaux ou tenter de les croquer en plein vol, cela se termine bien souvent dans une belle zizanie visuelle.
Surtout lorsque l’indice d’infamie franchit un certain cap et que l’on nous canarde depuis les bateaux avec toutes sortes d’armes, que les plongeurs s’en donnent en même temps à cœur joie et que l’on nous balance en plus des bombes sous-marines. À un moment donné, les bateaux auront même des boucliers électriques qui grappillent notre barre de vie si on s’en approche trop.
Il est pas beau mon requin ?
Un petit tour technique s’impose, car si nous ne pouvons juger les versions consoles, sur PC, nous n’avons rencontrés aucuns bug majeur, si ce n’est les quelques collisions foireuses habituelles. Techniquement, le jeu ne nous a pas fait faux bond et est resté extrêmement fluide en ultra du début à la fin. Faut avouer que ce n’est pas non plus un monstre visuel, le moteur prend parfois l’eau et affiche quelques textures d’un autre âge, heureusement alors que l’artistique rattrape le tout.
Quant à notre héros à la mâchoire imposante, là c’est du très grand art. Le squale est magnifique, et ce, même en équipant un skin le rendant électrique ou affublé d’une armure osseuse. Ces animations sont détaillées et fluides, on peut même voir ses branchies bouger au rythme de ses respirations. Ajouter un beau regard bien meurtrier et on obtient le requin le plus « amazing » du jeu vidéo.
Aussi, il nous faut mettre en avant la qualité de modélisation de toute la faune maritime, Tripwire ayant accompli un vrai travail sur ce point, ainsi que sur les animations et le comportement des principaux « poissons » présents. Un alligator ne réagira pas pareil qu’un Mako par exemple, et n’attaquera pas de la même façon. Nous restons par contre plus réservés vis-à-vis des humains, assez sommaires pour le coup.
Les fonds marins quant à eux fourmillent de détails, d’objets, de vestiges en tout genre et d’une flore abondante, allant des algues crasseuses du bayou aux jolis coraux colorés des grottes sous marines. Sur terre on reste sur le même schéma, mais sans le petit filtre aquatique aussi synonyme de cache-misère pour un moteur qui date un peu oui, mais le souci du détail y est toujours présent et le monde créé transpire la vie. D’ailleurs, un cycle jour/nuit est présent et défini ce qui se passe sous nos yeux, il y aura moins de touristes, moins de nageurs et peut-être un peu plus de groupes isolés de nuit par exemple.
Un soin tout particulier a été apporté aux différents décors et la proposition artistique est très réussie, mais aussi variée. Chaque zone a une histoire à raconter et au-delà de la voix off qui nous apporte quelques informations sur le lore, la narration se veut surtout visuelle. Une petite réussite de ce côté-là, d’autant plus que d’un autre côté, on note quelques erreurs de traduction au niveau des sous-titres français.
On regrette par la même occasion des thèmes musicaux trop discrets, ce qui contraste avec les bruitages, notamment sous-marin, franchement pas mal du tout. L’ambiance visuelle et auditive est présente sous l’eau et c’est à mettre au crédit de Tripwire.
Maneater est à la fois décevant et réussi. Il se plante complètement sur ses mécaniques liées à l’open-world, mais se rattrape sur d’autres choses, comme ses mécaniques RPG ou encore son gameplay d’une fluidité remarquable. Il y a bien quelques points noirs qui entachent l’expérience, mais le jeu est fun, jouissif et finalement très drôle. Tripwire nous propose aussi une véritable petite virée découverte dans divers environnements variés et flatteurs pour la rétine.
Alors oui, le jeu est loin d’être parfait, mais la dizaine d’heures que l’on a passées dessus s’est avérée très plaisante, même si on aurait aimé un peu plus de variété dans les activités proposées, mais aussi ne pas voir certaines. Les coffres à trouver nous restent encore en travers de la gorge. Cependant, sans être un Dent de la Mer, car plutôt versé dans l’absurde et l’humour, Maneater est une expérience originale qui a suffisamment de mordant pour convaincre.
Dans un souci de transparence, nous souhaitons vous informer que les captures d’écran ne rendent absolument pas justice au jeu. Il est bien plus beau lorsqu’il tourne et on ne sait pas d’où vient l’écart entre ce que l’on avait sous les yeux et le rendu en capture.