Le 29 janvier 2015, un raz-de-marée du jeu vidéo narratif fait son apparition. Life Is Strange, développé par les Français de chez Don’t Nod et édité par Square Enix, marquera une bonne partie de la jeune génération de par sa proposition unique qui deviendra une référence certaine du genre.
On y incarne Max Caulfield, une jeune étudiante américaine qui se retrouve pourvue de la capacité de remonter le temps, et les dilemmes qui vont avec. Son duo avec Chloe Price, l’intrigue policière au cœur de l’aventure, et le scénario chapitré ont laissé une marque indélébile dans le cœur de nombreux joueurs. C’est donc avec beaucoup de joie et d’appréhension que nous avons accueilli l’annonce de sa suite directe, cette fois-ci développée par Deck Nine (Life is Strange: Before the Storm et True Colors).
Malheureusement, en 2024, le contexte chez Deck Nine n’est pas des plus favorables : un flot d’accusations s’est abattu cette année sur le studio, et il semblerait que les relations avec Square Enix ne soient pas au beau fixe. En tenant compte des dernières actualités, mais surtout de nos attentes, les retrouvailles avec Max vont-elles être à la hauteur de nos souvenirs, ou est-on face à une inéluctable déception ?
(Test du jeu Life is Strange: Double Exposure sur PC réalisé à partir d’un code fourni par l’éditeur)
On s’était dit rendez-vous dans neuf ans
Avant toute chose, nous tenons à préciser que nous avons rejoué au premier opus avant de se lancer dans l’aventure. Nous vous conseillons vivement de faire de même avant de vous plonger dans Life is Strange: Double Exposure, car il fourmille de nombreux détails et références, et même quelques éléments de scénario.
Photographe accomplie, globe-trotter, Max a fini par poser ses valises et occupe désormais un poste d’enseignante/artiste résidente à l’université de Caledon dans le Vermont. Cette école, spécialisée en études de l’Art et des Sciences se niche au creux d’une montagne enneigée.
Comme tous les élèves et le corps enseignant, Max habite désormais dans un superbe chalet individuel au sein du campus. Là où vous retrouverez son iconique mur de photos, et tous les souvenirs de son ancienne vie. Max s’est rapidement liée d’amitié avec les autres jeunes enseignants de l’école. Elle forme désormais un trio de choc avec Moses, astronome, et Safiya, auteure et poète.
Ils coulent des jours heureux entre travaux d’études et copies à corriger, jusqu’à un certain soir où leur vie va basculer : alors qu’ils observent les étoiles au coin du feu, Safiya s’éclipse pour passer un coup de fil et se fait tirer dessus. Depuis Arcadia Bay, il n’était plus question pour Max d’utiliser son pouvoir. Mais son amie meurt dans ses bras, n’est-ce pas là une bonne raison de déroger à la règle ?
Sauf que dix ans plus tard, le couperet tombe : le pouvoir de Max s’est atrophié. Elle ne peut plus remonter le temps, mais réussit quand même à passer d’une ligne temporelle à une autre, et même à les superposer temporairement. Cette mécanique va nous permettre, on l’espère, d’élucider le mystère derrière le meurtre de Safiya.
Retour vers le présent
Nous voilà entre deux mondes : dans l’un, Safi est vivante, dans l’autre elle est morte. À nous de jongler entre ces réalités via des portails, disséminés un peu partout, pour obtenir des informations et avancer dans le scénario. Dans chaque chapitre, vous pourrez vous contenter de vous tenir à l’objectif sans forcément explorer chaque réalité, mais il sera nécessaire de fouiller chaque recoin pour découvrir tous les secrets de Life is Strange: Double Exposure.
Vous pourrez vous appuyer sur votre téléphone pour échanger par messages, consulter Crosstalk (un équivalent d’Instagram) et des Pense-bêtes pour chaque personne, qui résumeront vos réflexions au fil de l’aventure. Votre fidèle journal intime vous accompagnera encore cette fois-ci, et vous aurez des photos Polaroïd à trouver dans chaque chapitre.
Il vous faudra vraiment aiguiser votre curiosité pour obtenir le 100%. Le fait de « doubler » l’enquête rallonge évidemment la durée de vie du jeu, mais la variété des lieux étant très restreinte, on a souvent l’impression de vite tourner en rond.
Comme à la maison
On voit bien là l’évolution de la licence chez Deck Nine, car c’était un reproche que l’on faisait déjà à Life is Strange: True Colors : le monde est étriqué. L’école se limite à deux bâtiments, et autrement on est soit chez Max, soit au bar du coin.
Trois lieux pour une dizaine d’heures de jeu, c’est trop peu. Comme précisé plus haut, le studio a préféré miser sur les deux réalités et les contenus associés plutôt que de proposer une quantité de lieux plus généreuse. Un choix qui se comprend, mais qui peut frustrer. En revanche, on admet bien volontiers que l’environnement proposé n’est pas bâclé, aux événements variés, et rempli de petits détails qui font tout son charme. On se boirait bien un petit chocolat chaud au coin du feu, là…
Impossible de mentionner l’ambiance d’un Life is Strange sans évoquer la bande-son. Cette fois-ci, des artistes ont été contactés pour composer des chansons exclusives pour Life is Strange: Double Exposure. On peut compter parmi eux dodie, Matilda Mann, ou encore Chloe Moriondo :
La licence avait pour habitude de mettre en avant des titres déjà existants, mais saupoudrer sa playlist de titres exclusifs reste une belle surprise. Un peu loin de True Colors et des tonalités punk-rock, on retrouve dans l’opus beaucoup de titres à la guitare sèche propres à l’ambiance que l’on attend de la saga, mais aussi quelques chansons aux riffs plus nerveux qui accompagnent les moments de tension du scénario.
Vous l’aurez compris, Life is Strange: Double Exposure reste maître en la matière quand il s’agit d’ambiance. Inimitable, inégalable, la licence propose toujours une belle expérience immersive.
Cette action (n’)aura (pas) des conséquences…
Au cours de l’aventure, vous aurez l’occasion de discuter avec une dizaine de protagonistes. Elèves, enseignants, amis, potentiels flirts… Une palette de personnages en apparence haute en couleur, mais qui refroidit rapidement : en dehors des personnes directement concernées par l’enquête, on échange régulièrement avec des gens dont le rôle reste flou, à part celui de faire partie du décor.
Parfois, les choix scénaristiques mettent en lumière des gens de façon injustifiée. Pourquoi le jeu nous fait signe de se concentrer sur un personnage pour l’abandonner au chapitre suivant, ou encore pourquoi n’avons-nous quasiment pas parlé à untel ou unetelle, pour qu’au final son rôle soit décisif ?
Un équilibre relationnel difficile à comprendre, auquel s’ajoute deux potentiels « crushs » pour Max qui n’ont clairement pas de capital sympathie : on a envie d’apprécier ces personnages mais on n’y arrive pas. Même Moses et Safi, les meilleurs potes de Max, dégagent une froideur générale qui freine tout attachement à ce petit trio.
Dommage car on sent que leurs personnalités sont nuancées, ce sont simplement des êtres humains complexes comme vous et nous. La faute peut-être à la répartition des dialogues, ou du scénario en lui-même, qui nous a laissés de marbre face à sa partielle incohérence. On a d’ailleurs observé peu de choix vraiment clivants au sein des conversations, et les conséquences associées se sont peu ou pas fait ressentir ; ce qui est un gros frein à l’expérience.
En terminant Life is Strange: Double Exposure, une légère amertume flottait dans l’air. Difficile de reproduire l’apothéose du choix final « Arcadia Bay ou Chloé », on se voit donc offrir une introspection sur le temps et ses effets, où chaque choix laisse une empreinte indélébile. Tandis que Max se confronte à la perte inévitable de son pouvoir, on se demande si son aventure dans ces lignes temporelles croisées est vraiment terminée, ou si le destin a encore des détours en réserve pour elle.
On n’ira pas jusqu’à parler de déception avec Life is Strange: Double Exposure. Le titre réinvente l’uchronie en plongeant Max dans une réalité fracturée, et pourtant, même avec cette mécanique novatrice, la recette séduit moins.
Si la fin laisse un goût d’inachevé, l’aventure reste fidèle aux valeurs de la licence. Max, ayant expérimenté les conséquences de manipuler le temps, semble elle tirer une leçon de cette aventure : certaines réalités ne peuvent ni ne doivent être réécrites. C’est donc ça devenir adulte ?