Les jeux narratifs sont devenus de vrais outils pour véhiculer des messages forts. Bien avant l’arrivée de Life is Strange 2, The Stanley Parable était l’exemple phare des jeux narratifs à travers une fiction interactive imaginée par Davey Wreden en octobre 2013 sur PC. Les développeurs souhaitent aujourd’hui créer un lien direct entre les choix des joueurs et les conséquences dramatiques ou heureuses répercutées sur les personnages et l’environnement du jeu.
Ces conséquences vont directement, en notre qualité de joueur, nous toucher exactement comme dans un film lorsqu’un de nos personnages préférés meurt subitement ou que le film débouche sur une fin heureuse. À la différence que dans le jeu, nous sommes maîtres de nos décisions et donc responsables de leurs conséquences. En d’autres termes, un bon jeu narratif peut s’apparenter à un livre spectaculaire, ou encore à un film exquis. Il peut également défendre plusieurs points de vue.
Dans The Stanley Parable précédemment cité, le joueur incarne Stanley, l’employé numéro 427 d’une société. La société de Stanley est stricte : Stanley est programmé tel un robot, à exécuter tous les jours les mêmes tâches. Un jour son terminal de commandes tombe en panne, Stanley est livré à lui-même et va découvrir la triste vérité présente au cœur de sa société : chaque employé de l’entreprise est en réalité le programme d’un ordinateur.
Une dystopie qui fait froid dans le dos, non ? L’on peut parfois même penser qu’un jeu narratif peut nous enfermer dans une sorte de réflexion si profonde que le côté loisir et voyage peut parfois perdre sa place dans certains jeux de ce type.
Or, l’on sait aujourd’hui qu’il existe des sujets plus simples relatés dans les jeux vidéo. Life is Strange dévoile la vie étudiante de deux ados au lycée, Max et Chloé. Son spin-off Life is Strange: Before The Storm révèle quant à lui la romance entre Chloé et Rachel.
Le dernier opus de la série, Life is Strange 2, a vu son premier épisode publié en septembre 2018 sur PlayStation 4, Xbox One et PC. Life is Strange 2 souhaite faire voyager en partageant l’aventure épineuse de deux frères loups (une métaphore instaurée au cœur du jeu) et cette histoire sera développée tout au long de cette critique, en évitant de dévoiler au maximum, pour les nouveaux joueurs, la suite des événements primordiaux du jeu.
(Test de Life is Strange 2 réalisé sur PlayStation 4 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Un voyage arpenté de choix pour deux frères loups abandonnés
Comment ne pas être touché par l’histoire des frères Diaz, deux frères attachants menant une vie auparavant paisible à Seattle, mais qui se voit être bouleversée par un drame familial ? Daniel, le jeune frère, a développé une force télépathique incroyable l’ayant involontairement amené à tuer un policier de Seattle avant l’intervention de son père, présent pour le défendre. Conséquence de cet acte, une course poursuite s’engage entre les autorités et les frères Diaz. N’ayant nulle part où aller, les deux frères deviennent deux loups vagabonds arpentant des forêts, des trains de marchandises. Sean, le grand frère, prend malgré lui le double rôle de père/frère en souhaitant plus que tout protéger Daniel, et en l’aidant à contrôler son pouvoir.
Au cœur de Life is Strange 2, vous incarnez la voix du décisionnaire, Sean, dont les choix auront un impact direct sur le comportement de Daniel. Une nouveauté dans la série où jusque-là les conséquences n’étaient pas orientées vers le comportement futur des personnages.
Voler, mentir, ou se montrer fainéant seront des actions à proscrire pour garder Daniel sur la bonne voie, puisque c’est bien connu, les petits copient les grands. Même si ces choix découlent d’une logique imparable, nous vous assurons qu’il sera très difficile de choisir entre deux actions sur certaines prises de décision. Ainsi, si l’on ne régule pas le langage de Daniel sur des QTE intégrés au dialogue, qui sont, soit dit en passant, une nouveauté dans les Life is Strange, Daniel pourra répondre grossièrement à Sean.
En parlant de dialogues, il arrive encore dans cet opus que certaines lignes des personnages sautent complètement lorsque l’on décide de faire plusieurs actions en même temps, un défaut déjà présent dans les autres Life is Strange. Daniel peut aussi décider de ne pas assister son frère dans des actions simples comme l’aider à transporter des bidons d’eau dans l’épisode 3.
Des choix et des actions, il y en aura, et à travers des lieux insolites : chaque épisode se déroulera dans un environnement différent. L’on ressent bien au fil des épisodes que les deux frères souhaitent un « chez-eux ». Pour un enfant de 11 ans comme Daniel, il est difficile de s’imaginer être un être humain en cavale. Malheureusement, à chaque endroit où les garçons se sentent bien, un élément perturbateur les oblige à imaginer d’autres plans et à fuir.
Les autres Life is Strange nous avaient habitués à découvrir majoritairement dans les moindres recoins la ville d’Arcadia Bay. Ce point de vue permettait au joueur d’observer les changements liés à cette ville au fil des épisodes. Dans Life is Strange 2, nous dirions que ce léger aspect d’évolution est manquant, mais justifié par le fait que les frères sont obligés constamment de se réfugier dans d’autres endroits. L’on imagine qu’il aurait été intéressant de visiter à nouveau certains endroits dévastés par les pouvoirs de Daniel.
L’on en vient alors au seul hic du jeu : les pouvoirs de Daniel ne sont malheureusement pas assez exploités à des fins plus astucieuses, mais plutôt utilisés dans le but de détruire, et seulement détruire, point négatif alors pour ce dernier opus. Les Life is Strange nous avaient habitués à un peu plus de fil à retordre lorsqu’il s’agissait de trouver la solution à des énigmes bien sympathiques.
Un plaidoyer pour la différence
Rappelons-nous certaines thématiques comme l’homosexualité de Chloé qui était lors du premier opus encore peu développée. En effet, on avait simplement l’impression que ce caractère devait être mis en avant sans aucune autre justification que de réaliser une sorte de fan service. Chloé n’en a jamais réellement parlé à Joyce, sa mère, et a encore moins expliqué les éventuels impacts familiaux qu’elle a pu vivre à Max, sa meilleure amie.
Cet ensemble était encore assez discret dans Life is Strange, mais rappelons-nous, nos choix pouvaient nous conduire à la fameuse scène du baiser entre Max et Chloé dans une piscine. Même combat pour Life is Strange: Before the Storm où l’on ressent principalement plus l’impression d’une amitié entre deux femmes (Rachel et Chloé) qu’une réelle romance. Comment rebondir sur ces attentes qu’ont les joueurs concernant cette transparence ? En créant Life is Strange 2, le jeu compilant astucieusement l’orientation sexuelle, l’exclusion sociale, et la vie d’adolescent.
Les frères Diaz doivent faire face à des personnages ayant des différences d’opinion, des préjugés, faisant même usage de la violence. Le côté touchant réside dans le fait que Sean, un adolescent à peine sur le point de devenir adulte, remballe ses espoirs d’enfant pour maintenir en sécurité son frère. Certaines scènes sont plutôt trash : Sean, en faisant la forte tête, s’attire des ennuis et souvent les confrontations physiques terminent en bain de sang. Une manière réaliste d’évoquer les confrontations sociales actuelles, notamment au sujet de l’immigration mexicaine limitée par la barrière entre les États-Unis et le Mexique.
Mais tous les personnages ne sont pas mauvais. Les deux frères loups rencontreront des compagnons de voyage plus authentiques les uns que les autres et auront même de l’aide de leur famille éloignée. Pour éviter de nombreux spoils, les personnages rencontrés ne seront pas détaillés ici. Sean et Daniel feront par exemple la rencontre d’un couple homosexuel pleinement heureux, en leur apportant leur aide. Sean pourra également connaître une histoire d’amour avec un autre homme du jeu selon le parcours choisi durant l’épisode 4. Orientons-nous maintenant vers l’analyse des environnements ainsi que des aspects plus techniques du jeu.
Life is Strange 2, l’artifice de Dontnod à son apogée
Après nous avoir habitués au style graphique plutôt unique des différents Life is Strange, Dontnod met cette fois-ci la barre encore plus haut tout en conservant au maximum le style des prédécesseurs de Life is Strange. Les détails sont aujourd’hui bien visibles avec des environnements intérieurs bien fournis : bien plus d’objets habillent les meubles, ou les pièces, avec lesquels l’on peut avoir plusieurs interactions, suivies en bonus de commentaires des personnages.
Souvent, il arrive même que Daniel ou un autre personnage interagisse avec Sean, ce qui crée des dialogues plutôt dynamiques en accord avec l’environnement dans lequel se trouvent les personnages.
Les différents endroits rencontrés sont variés, passant par des forêts, des déserts, ou bien des coins plus reculés dans des petits villes. Le jeu respire clairement la fraîcheur et ne se limite plus à cantonner les personnages dans une seule et même ville. D’autres lieux plus communs feront aussi office de relais comme un motel ou une épicerie, et c’est un régal de vivre avec les frères loups ces escales, puisque chaque épisode diffère des autres en apportant son lot de nouveautés.
Chaque environnement permet également de mener une collecte d’objets cachés, éparpillés un peu partout dans les différents lieux rencontrés. Pour la petite anecdote le développement a été poussé si loin qu’au fil des épisodes, les descriptions des objets ramassés se trouvant dans notre sac changent d’aperçu, et il peut arriver que certains objets se retrouvent cassés suite à des événements malheureux, perdus ou volés. La mise à jour de ce statut est directement appliquée sur l’ensemble du sac de Sean que l’on peut par ailleurs customiser avec des badges.
Que seraient ces lieux sans bruitage ou musique ? Il est fort agréable de constater que l’OST entière de Life is Strange 2 repose sur des compositions originales faisant majoritairement la promotion de petits groupes indépendants. Cette initiative rappelle la première collaboration avec les groupes Syd Matters ou encore Sparklehorse présents dans Life is Strange premier du nom.
Aujourd’hui, il est question de mettre en avant la participation de Campbell Browning, Whitney, Bloc Party, Mt. Wolf et tant d’autres compositeurs dans un style « Indie Chill » faisant résonner avec brio 2 à 3 guitares acoustiques par musique.
Une tête d’affiche se distingue cependant durant le flashback au tout début de l’épisode 3 : il s’agit de Gorillaz ayant composé le morceau On Melancholy Hill. Son apparition apporte de la fraîcheur, et l’on reconnaît le talent des artistes dont le genre s’accorde complètement avec l’ambiance du jeu. Dernier petit plus du jeu : sa liaison avec le spin-off Captain Spirit, un petit épisode sympathique et gratuit dévoilant la vie de Chris, le futur ami de Daniel.
Dans cet épisode, il est possible d’y découvrir les difficultés familiales au sein de la famille Eriksen, en retraçant leur passé. Daniel aura également une influence directe sur le sort de Chris dans l’épisode 2, alors autant bien réfléchir avant de foncer tête baissée.
On l’aura compris, Life is Strange 2 est un jeu rempli de moments forts qui sauront nous mettre la pression quand il en faudra. La relation entre Sean et Daniel est très intéressante, et l’évolution du tempérament dépendra des choix de Sean, donc de nos propres choix, une nouveauté dans la ligue des Life is Strange.
Le jeu plaira aux passionnés d’aventure, et invite clairement à la réflexion sur des sujets d’actualité sans en abuser pour ne pas rompre ce lien entre jeux vidéo et divertissement.