Il fallait bien qu’il passe par un bon coup de polish notre Larry bien aimé, avec notamment une grosse refonte graphique et une pirouette temporelle inévitable. Car oui, Leisure Suit Larry est de retour sur PC les amis, et si on pouvait nourrir des craintes quant à la réussite d’une telle entreprise, c’est finalement une petite brise de soulagement qui l’emporte.
C’est qu’il revient de loin notre Larry Laffer, car après un épisode Reloaded sorti en 2013 catastrophique, on ne donnait plus cher de la peau de notre joyeux boute-en-train. D’ailleurs Al Lowe, créateur de la saga et géniteur du dernier opus en date n’est plus de la partie, et ce sont les Allemands de CrazyBunch qui ont repris le flambeau et qui nous offrent Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry.
(Test de Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry réalisé sur une version PlayStation 4 fournie par l’éditeur)
Qu’on se le dise, la licence Leisure Suit Larry est loin d’être jeune, puisque apparue pour la première fois en 1987 sur de vieilles plateformes oubliées telles que l’Apple II ou encore l’Atari ST. Depuis, nombre de jeux mettant en scène Larry Lefer sont sortis sur divers supports avec plus ou moins de réussite jusqu’à l’épisode de la grogne en 2013, une sorte de remake / reboot du premier épisode virant au cauchemar.
Nous arrive donc aujourd’hui un Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry à la fois attendu et craint par les fans, même si nous permettant toujours d’incarner Larry Lefer, mais avec quelques changements bienvenus. Notre informaticien quadragénaire se retrouve donc propulsé on ne sait trop comment près de 20 ans dans le futur, passant ainsi de 1987 à un vague 21ème siècle. Niveau localité, rien ne change, on est toujours dans la ville de Lost Wages, même si depuis elle est devenue New Lost Wages, comme pour marquer le coup et dire qu’ici commence un nouveau genre de Leisure Suit Larry.
De renouveau il est donc question et ce passage aux années 2000 fait un très grand bien à une licence que l’on pensait perdue pour longtemps. En opérant ce tour de passe-passe scénaristique, les développeurs de CrazyBunch permettent au jeu de traiter de sujets actuels et ainsi de coller à l’air du temps.
Et une chose est sûre, Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry tape là où ça fait mal. Bien entendu, ici tout est traité avec humour et suffisamment de recul pour ne pas être insultant. Ainsi, il s’agit avant tout de montrer les dérives dans lesquelles notre société basée sur la consommation et sur les apparences peut tomber. C’est l’une des bonnes surprises du titre, savoir s’affranchir de son postulat de départ et proposer autre chose, en l’occurrence une véritable critique de notre mode de vie, le tout avec un ton propre à la licence.
La bistouquette qui cache la forêt
Le scénario est totalement con. Il n’y a véritablement aucun autre mot pour le caractériser. Larry doit tout simplement réussir à se retrouver nu dans un lit avec une certaine Faith. Cette dernière est le bras droit de William Jobs, PDG de Prune, multinationale leader sur le marché des smartphones, nul doute que cela vous rappellera quelque chose. Une entreprise d’ailleurs pas très claire et qui sera au centre de la sous-intrigue principale.
Pour arriver à ses fins, Larry va devoir user de technologies qu’il ne comprend pas et se doter d’un smartphone pour obtenir un score de 90 points sur Timber, l’équivalent de Tinder en jeu. Il va alors devoir résoudre les problèmes des diverses personnes avec qui il va matcher pour que ces dernières lui donnent le score maximal.
Bien entendu, il ne dira pas non à une ou deux escapades sexuelles au passage, même si cela ne se passe jamais vraiment comme il l’espérait.
Ce scénario prétexte est l’occasion de retrouver tout un univers softporn familier pour les aficionados de la licence. Vous vous doutez bien que le sexe prédomine dans quasiment tous les dialogues, dans d’innombrables détails visuels, parfois même plus, en témoigne la tour Prune en forme de pénis ou encore son logo renvoyant à une vulve.
Il est clair que ce ton très olé olé totalement stupide et second degré ne plaira pas à tout le monde, d’autant plus qu’on frise parfois l’overdose dans Wet Dreams Don’t Dry, sans pour autant qu’on en soit dégoûté ou que cela devienne repoussant. Cela se joue parfois à très peu de choses, mais le titre parvient à trouver un juste équilibre entre blagues salaces, situations burlesques et humour décalé assez délicieux, voire parfois assez fin.
Le côté voyage temporel fait aussi merveille et place Larry dans un contexte qu’il ne maîtrise absolument pas et auquel il va devoir s’acclimater. Les nombreux quiproquos qui en découlent sont à mourir de rire.
Cela se joue aussi sur la qualité du casting, car si Larry Lefer ne surprend pas, restant fidèle à lui-même, c’est à dire stupide, pervers, narcissiques, se prenant pour l’étalon ultime et ne pensant qu’avec son tuyau, d’autres protagonistes sont eux plus surprenants. Si on retrouve l’indécrottable et immortel Lefty, ainsi que son bar d’ailleurs, dans lequel trône toujours cette fameuse tête de cerf, les autres personnages sont tous inédits.
Et ils ne déçoivent pas, car ils sont tous une caricature d’eux-mêmes ou plutôt de leur fonction. Il y a la geek, les deux hypsters, la nana qui vit en fonction de ce que lui dit sa montre, les deux no-life boutonneux, la cam-girl, la vieille folle du cul, ou encore le gay refoulé. Alors lorsque l’on parlait plus en amont de critique de notre société, les divers personnages qui peuplent le jeu en sont le parfait exemple et sont tout simplement excellents du début à la fin.
Ça bande flou
Malheureusement, tout n’est pas du même acabit et le jeu pêche sur certains points assez pénibles. Tout d’abord si l’univers est franchement réussi, nous plongeant dans un New Lost Wages décalé et savoureux, l’aspect graphique l’est beaucoup moins. En effet, Larry qui était gros et petit devient ici grand, fin et plutôt quelconque sans être moche. Cela tranche radicalement avec l’image que l’on avait de monsieur Lefer et cela casse ce côté grotesque du personnage à qui on pardonne son côté maladroit et pervers.
Là, on se retrouve avec un mec au physique banal, qui ne se démarque que par son accoutrement 80’s et qui est finalement juste un idiot obsédé sexuel. C’est en tout cas ce qu’on en penserait si on ne connaissait pas le personnage.
Il faut dire que Wet Dreams Don’t Dry opte pour le coup de plumeau graphique et se présente avec un style moins cartoon que par le passé. On retrouve toujours cette patte dessinée certes, mais le style est passe-partout, moins charmant, moins accrocheur, plus standard et nous renvoie à ce qu’on attend d’un jeu tablette ou smartphone.
L’univers perd alors en superbe et devient plus sommaire, ce qui rend aussi le côté pornographique plus vulgaire, d’où les quelques moments de malaise qui surviennent ici et là. De même que les différents environnements, malheureusement peu nombreux, sont assez inégaux, certains ne présentant d’ailleurs aucun intérêt visuel, on est loin de retrouver là les meilleurs tableaux de la saga, même si l’ambiance, elle, est au rendez-vous.
Sexe Vintage
Côté gameplay le constat est là encore mitigé. On aura plaisir à retrouver ce côté point & click old school dans lequel on avance en cliquant et qui nous demande de balayer l’écran à la recherche d’objets avec lesquels on peut interagir. La lisibilité n’est d’ailleurs pas au beau fixe et il est souvent pénible de trouver dans le décor ce que l’on cherche, mettre en surbrillance les bibelots que l’on peut récupérer et l’aide de la barre espace devient vite impérative.
De même que si certaines énigmes sont plutôt bien construites, beaucoup d’autres sont totalement tirées par les cheveux et demandent d’effectuer des actions dépourvues de sens et trop alambiquées. Wet Dreams Don’t Dry tombe en plein dans le piège des poin & clicks de l’époque, à savoir perdre le fil de ses énigmes et penser que proposer un univers décalé justifie des mécaniques de résolution absurdes.
De même qu’il manque un fil conducteur pour nous mettre sur la voie de ce que l’on doit faire à l’instant T. On est bien souvent perdu, surtout que l’on s’occupe d’un milliard de choses à la fois et cela rend l’avancée brouillonne et décousue. Heureusement, une fois que l’on comprend comment le jeu fonctionne, cela va mieux, mais les débuts sont difficiles. Surtout si en plus on ne connait aucunement les jeux d’aventure de l’époque.
Le gameplay est lourd, vieillot au possible et on aurait clairement aimé que CrazyBunch propose autre chose qu’un point & click aux mécaniques de jeu datant du siècle dernier. Le genre ayant beaucoup évolué depuis, on était en droit d’attendre bien plus à ce niveau.
Enfin, si on a à disposition dans notre smartphone des applications comme Timber, Instacrap ou un ersatz d’Uber nommé Unter nous permettant de naviguer entre les différents lieux, ce téléphone fait aussi office d’inventaire. Et quel bordel mes aïeux. Non seulement la quantité d’objets que l’on glane et ramasse est proprement hallucinante, mais c’est surtout que tout cet amas de bidules en tous genres pollue aussi notre réflexion pour résoudre certaines situations.
On se retrouve bien souvent à tenter des trucs au hasard, pensant que l’objet que l’on vient de ramasser sert surement à quelque chose, alors qu’il ne deviendra utile qu’une heure ou deux après. On à l’impression qu’on est un fourre-tout ambulant et on est très vite dépassé par le nombre élevé de conneries que l’on trimbale.
Le rêve qui mouille
Allez, hormis cela il faut tout de même tirer notre chapeau à CrazyBunch, car remettre aux goûts du jour une licence n’est jamais chose aisée, surtout lorsque l’on parle de point & click. Encore plus lorsque l’univers de la licence est si particulier. Les développeurs allemands ont su retranscrire le ton décalé et loufoque de la franchise, tout en modernisant son propos et en s’offrant une véritable identité parmi les jeux de la saga. Il ne faut en aucun y voir un jeu misogyne ou sexiste, Larry étant un crétin fini, mais attachant, les hommes sont ici traités comme des obsédés bêtes et méchants aussi.
L’équipe a aussi su jouer sur notre fibre nostalgique en plaçant de nombreuses références et easter eggs à la pop culture des 20-30 dernières années, comme il est d’ailleurs de coutume dans la saga. Disons que l’aventure va en se bonifiant, commençant doucement, un peu trop peut-être, pour réellement décoller sur sa dernière partie et nous proposer des moments d’anthologie et c’est cela qui apporte de l’espoir pour la suite, car bien qu’inégal, Wet Dreams Don’t Dry parvient à faire passer un bon moment d’un peu plus de 6 heures tout de même. Par contre, le jeu n’est pas localisé et ne propose donc aucune traduction en français, ce qui est plutôt pénalisant, le titre demandant un bon niveau d’anglais.
Finalement, Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry n’est pas une catastrophe et réussit plutôt bien ce qu’il entreprend, à savoir faire rentrer Larry Lefer dans le 21ème siècle. On y retrouve le ton et l’humour de la franchise, ainsi que ce côté softporn si particulier. Si la refonte graphique avait pu être plus originale et moins standard, le coup de lifting opéré était néanmoins nécessaire pour faire de ce Leisure Suit un véritable renouveau. On regrette néanmoins que tout ne soit pas optimal et que le jeu s’emmêle les pinceaux sur des points importants comme son gameplay ou ses mécaniques de jeu.
Cependant, le titre a su s’élever au-delà de son postulat de base et nous délivrer une véritable critique de notre société sans pour autant oublier son second degré. New Lost Wages nous réserve quelques moments de pur plaisir et complètement déjantés comme on les aime, même si attention, ce genre d’humour et cet univers si particulier ne plairont pas à tout le monde.
Il faut faire avec de la vulgarité, un visuel et des dialogues très sexualisés, ainsi qu’un scénario film porno. Mais ce qu’il faut retenir avant tout c’est la réussite de CrazyBunch, celle d’avoir réussi à ressusciter l’une des icônes du jeu d’aventure, en espérant que ce ne soit qu’un début et que les prochains opus soient localisés.