Il y a des jeux qui charment au premier regard. Comme lors d’un coup de foudre, une magie opère dès les premières images, notre attention est captée. Fasciné, on se délecte du peu d’éléments révélés. Une certaine impatience se génère et on visionne encore et encore les différents trailers en s’imaginant s’adonner à une grande aventure. On ne vous le cache pas, Kena: Bridge of Spirits nous a mis dans cet état. Annoncé en fin d’année dernière, le titre avait directement marqué de par la beauté de ses graphismes, de ses animations et grâce à son univers enchanteur. Ce dernier intègre par la même occasion la trop maigre liste des jeux d’ouverture de la PlayStation 5, même après un an de commercialisation (quel triste constat).
De ce fait, les attentes s’amplifient. Et le studio en charge du projet a dû revoir ses plans pour ne pas décevoir, d’où la lourde décision du report. Mais l’enjeu est immense, surtout qu’il s’agit du premier jeu vidéo pour Ember Labs, qui a tout à prouver. À la base, la société américaine est spécialisée dans l’animation de publicité et de court-métrage. Le studio a commencé à se faire un nom auprès des joueurs avec Majora’s Mask, Terrible Fate, un fan film inspiré de la célèbre saga de Nintendo (que l’on vous recommande chaudement au passage).
Les années passent et les possibilités se développent, Ember Labs se lance un autre défi de taille : développer son propre jeu. Kena: Brige of Spirits voit le jour. Mais la mission est-elle accomplie ? Avons-nous affaire à une réelle success-story ?
(Test de Kena: Bridge of Spirits sur PlayStation 5 réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Le monde enchanteur promis
On le disait dès l’introduction, Kena: Bridge of Spirits est magnifique et fourmille de détails à l’écran. Ses environnements sont saisissants de réalisme. Un véritable univers s’ouvre à nous, un univers qui ne demande qu’à être exploré. Forêts luxuriantes, vastes plaines, sombres grottes, une chose est sûre, vous verrez du pays. Pour ne rien gâcher à cette immersion, les animations, la vraie spécialité du studio, sont somptueuses. Les cinématiques sont de vrais courts-métrages d’animation durant lesquels on pose la manette pour les apprécier à leur juste valeur. Une plus-value qui donne autant de vie et donc de crédibilité au monde imaginé.
Sur le plan graphique, rien n’est laissé au hasard et le studio excelle. On pointera juste du doigt quelques textures à la traîne, mais rien qui ne puisse gâcher l’expérience. À noter que la version PS5 permet de choisir entre une version 4K au framerate limité (notamment au niveau des mouvements de caméra) et une version moins propre visuellement (il faut vraiment être pointilleux pour remarquer les différences) mais plus fluide à l’écran.
Cerise sur le gâteau, notre quête sera liée à d’étranges créatures nommées Rots, des esprits de la nature incarnés par d’innocentes boules noires, un peu comme les noiraudes du côté de chez Ghibli. Les Rots font partie intégrante de l’équilibre du monde et vous suivront partout, de la même manière qu’une bande de joyeux Pikmins. Mieux encore, ces derniers ont une place prépondérante dans le gameplay du jeu.
Un gameplay réussi mais limité
Nous l’avons vu, Ember Labs tient toutes ses promesses côté création et graphismes. Quand on y réfléchit, ce n’est pas si étonnant étant donné leurs antécédents. Mais qu’en est-il du gameplay ? Sur ce point, le constat est un peu plus mitigé. Déjà, il faut préciser que le jeu mélange phases de combat et de plateformes. Attaquons par les combats (vous l’avez ?). Ici, le bât blesse légèrement. Ces derniers manquent de diversité pour pleinement convaincre. Pour faire simple, Kena dispose d’une palette de coups et de techniques jugée trop limitée pour offrir des affrontements dynamiques. Attaque rapide, attaque lourde, arcs, bombe et attaques spéciales avec les Rots, on aurait aimé une profondeur supplémentaire et une couche d’originalité pour réellement marquer.
Un arbre à compétences anecdotique permet d’apprendre et d’améliorer diverses techniques, mais c’est plus de la poudre aux yeux qu’autre chose tant les options sont limitées. Le manque de diversité laisse rapidement place à une certaine redondance, et les combats perdent peu à peu de l’intérêt au fil de l’aventure. Autrement dit, la base du gameplay liée au combat est correcte, mais il manque clairement de la matière pour tenir la distance. Même si le jeu n’est pas bien long (comptez environ une douzaine d’heures), la redondance est bien présente.
De même pour le côté plateformes, les bases sont là, mais il manque une poignée d’éléments pour faire la différence. Quelques bonnes idées subsistent, comme le fait de pouvoir se servir du grappin avec son arc pour atteindre des zones inaccessibles par le saut, mais ce n’est pas suffisant. Encore une fois, Kena: Bridge of Spirits se contente du minimum sur son gameplay. Alors oui, ça fonctionne, mais on en ressort avec une redondance et surtout une frustration de ce que le jeu aurait pu être avec un peu plus de recherche et d’approfondissement. Maintenant, il faut prendre du recul et le prendre pour ce qu’il est : le premier jeu d’un petit studio.
Kena: Bridge of Spirits propose un monde semi-ouvert. Comprenez ici que vous pourrez visiter les zones du jeu au fur et à mesure du scénario principal, et non toutes les découvrir d’un coup. Le sentiment de liberté véhiculé par les vastes étendues sauvages est néanmoins bien présent. La carte est certes assez restreinte, mais demeure bien pensée, et surtout optimisée. On n’a jamais la sensation de faire les mêmes zones ou de voir les mêmes paysages.
Accepter la mort
Au-delà des graphismes et du gameplay se cache une volonté de transmettre. Comme son nom le laisse supposer, Kena: Bridge of Spirits effleure à sa manière le lourd sujet de la mort, plus particulièrement celui du deuil et du sacrifice. Accepter la disparition d’un être cher n’est pas chose aisée. La colère peut vite émerger et ainsi invoquer les ténèbres. En réalité, Kena est une guide des esprits. Celle-ci accompagne les défunts de l’outre-monde dans la paix. Il arrive que certains esprits n’acceptent pas leur sort, retenus par une forte colère. Ces derniers deviennent mauvais et peuvent aller jusqu’à corrompre le royaume des vivants.
Laisser la nature faire son travail, accepter l’ordre naturel des choses, voilà le vrai message du jeu. Certes, c’est du déjà-vu, mais Kena: Bridge of Spirits y apporte une douceur bienvenue. Le ton employé se montre léger, voire enfantin, mais c’est traité avec bienveillance, et une certaine poésie. Par ailleurs, la musique, loin d’être secondaire, accompagne parfaitement ce discours, les émotions ressenties sont bien réelles. On sent une intention de bien faire, et c’est plutôt réussi.
Kena: Bridge of Spirits répond à nos (grandes) attentes. Sans être le jeu de l’année, il réussit amplement sa mission et ne déçoit pas. Rappelons une nouvelle fois qu’il s’agit du premier jeu d’un petit studio en pleine reconversion, et surtout, qu’il est proposé à 39,99€, ce qui est terriblement honnête comparé à d’autres titres.
Maintenant, à bien y réfléchir, Kena: Bridge of Spirits est avant tout un jeu de séduction. On déclinait à plusieurs reprises quelques idées qui n’allaient pas jusqu’au bout, qui manquaient de profondeur pour convaincre. Mais s’il s’agissait simplement d’un appel à des investisseurs ? D’un premier jet dans le but de révéler avec intelligence les capacités du studio ? Ember Labs joue ses cartes et dose son savoir-faire pour nourrir une ambition bien plus grande : « Regardez ce qu’on sait faire, regardez de quoi on est capable. » Nul doute qu’il deviendra un plus gros acteur. Le studio deviendra sûrement grand. Ce n’est que le début d’un long voyage, et ce n’est pas l’annonce tardive de son édition physique qui nous fera dire le contraire.