Si les jeux d’infiltration sont monnaie courante de nos jours (on citera notamment Echo, qui a fait suer notre rédacteur), les jeux de véritable coopération le sont beaucoup moins. La plupart des jeux multi sont compétitifs, on ne vous l’apprendra pas, et il est rare de tomber sur un jeu qui ne propose que de la coop, comme l’excellent Think of the Children ou le stressant Keep Talking and Nobody Explodes. On a donc été agréablement surpris par le scénario de Hacktag, qui mêle discrétion et coopération dans une aventure au tempo enlevé. Le jeu, développé par les Français de Piece of Cake, est-il à la hauteur de ce qu’il promet à sa sortie de l’accès anticipé ? Notre rédactrice a sorti la cagoule et les chaussons pour l’explorer dans ses moindres détails.
Hacktag – I’m the invisible man
I’m in your room (…) and I’m in your head
Dans Hacktag, tout se fait à deux (même en solo, on y reviendra). Que seraient James Bond sans Q ou Iron Man sans Jarvis ? Pas grand-chose, on le sait… Une personne, toute motivée qu’elle soit, a toujours besoin d’aide pour mener à bien des missions délicates, c’est pourquoi vous vous faites embaucher avec votre acolyte pour voler des données dans les bureaux visés par les diverses missions listées par le jeu. Il n’y a pas vraiment d’histoire, à peine quelques lignes de dialogue avec la ou le commanditaire de votre mission, qui sont censées représenter des échanges de SMS mais qui ne servent strictement à rien, et on se retrouve directement dans l’action, au milieu d’un bureau grouillant de caméras et de gardes (côté infiltration), ou dans un réseau informatique patrouillé par des antivirus (côté hacker).
Le gameplay est très différent selon le côté qu’on choisit, ce qui est un point fort de Hacktag (qui se définit comme un jeu de coopération asymétrique) : les deux sont tout aussi agréables à jouer, et le jeu a donc une rejouabilité deux fois plus grande. Et c’est dire, parce qu’entre les diverses entreprises avec chacune des étages (donc des dispositions de pièces) différents, les types de mission et les niveaux de difficulté, il y a déjà fort à faire. Le jeu ne demande cependant pas d’enchaîner des niveaux les uns à la suite des autres ; ici, vous choisissez simplement une mission parmi la liste de celles qui vous sont proposées, mais il n’y a pas vraiment de concept d’évolution de vos personnages, ce qui ne donne pas d’intérêt à continuer à jouer longtemps.
Parlons-en, de ces personnages. On peut en créer jusque 6, qui diffèrent uniquement par leur apparence. Niveau personnalisation, c’est relativement poussé, les versions homme et femme sont tout autant badass, on a diverses races et éléments cosmétiques qu’on débloque par le biais d’un système de loot boxes à chaque fin de partie. Cependant, on peut changer toute l’apparence de notre personnage à n’importe quel moment, et on ne voit donc pas trop l’intérêt d’en avoir plusieurs, à part pour différencier les joueurs de façon purement visuelle… Parce qu’en plus, à chaque mission réussie, le personnage gagne de l’XP qui permet de débloquer petit à petit des skills. Qu’ils soient passifs (vitesse, mini-jeux plus faciles) ou actifs (se dépatouiller d’un garde, hacker plusieurs ordis d’un coup), ces skills sont déblocables par tous les personnages, et on n’a pas de points de compétence à répartir, ce qui donnerait des persos plus adaptés à l’infiltration que d’autres. Non, ici on choisit 3 skills à attribuer à notre personnage au début de chaque mission, ce qui ne nous pousse pas à changer de personnage d’une partie à l’autre.
It’s criminal how I can see right through you
On le disait, le gameplay de Hacktag est asymétrique. Cependant, les deux rôles demandent autant d’attention et les mécanismes sont bien balancés entre les deux personnes, au contraire d’un Keep Talking par exemple dans lequel une personne agit et l’autre lui donne des conseils. Ici, chaque personne a des moments où elle doit agir (le plus vite possible et en toute discrétion) et d’autres où elle doit aider le comparse (tout aussi rapidement et discrètement). Côté agent, on passe de bureau en armoire en se cachant des gardes qui font des rondes ; situations souvent stressantes, mais le fait que les gardes fassent toujours le même trajet nous laisse un peu de marge dans nos mouvements. Il paraît qu’on peut courir aussi, mais ça fait du bruit dans un petit périmètre autour de soi et on n’ose donc pas, sauf cas exceptionnels. Côté hacker, on circule dans une grille constituée de nœuds du réseau informatique, en évitant les « antivirus » qui font eux aussi des rondes. S’ajoutent à cela des caméras de surveillance, désactivables numériquement, et des scanneurs du réseau, désactivables physiquement, pour finir d’entremêler les parcours des deux acolytes.
La circulation se fait en général assez facilement, qu’on soit dans les bureaux ou dans la grille… sauf quand on fait un faux mouvement qui nous fait nous déplacer du mauvais côté de celle-ci. En effet, la circulation dans le réseau se fait le long de 4 directions uniquement, mais la grille est tournée de 45° ! Cela fait que parfois, dans le feu de l’action, on se trompe et on tombe dans les bras de l’antivirus qu’on cherchait justement à éviter. Il est certes possible de régler la sensibilité des déplacements, et on peut revenir en arrière au dernier moment, mais c’est toujours des actions qui se jouent en une fraction de seconde.
Quand notre tentative de déplacement discret rate, le garde ou l’antivirus est alerté et arrive à notre position. Votre comparse a une fenêtre de quelques secondes pour tenter une action de la dernière chance pour distraire l’arrivant. Si, malgré tous ces efforts, on se fait capturer, on se fait escorter dans l’une des salles (ou serveurs) prévues à cet effet. C’est alors à notre collègue de nous libérer en moins de quinze secondes, ce qui est assez faisable même s’il faut retraverser rapidement tout une portion de terrain sous haute surveillance… Sauf quand on se retrouve dans un endroit qui lui est inaccessible ! Cela nous est arrivé plusieurs fois, et dans ce cas la seule solution est d’attendre que les quinze secondes soient écoulées pour que le jeu nous propose de continuer quand même. Sauf pour la toute première partie, on a droit à trois sauvetages comme celui-là, ensuite c’est game over.
Mais à part se déplacer et tenter de ne pas se faire pincer, qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, nos possibilités d’action sont assez limitées, mais on est bien trop le nez dans le guidon pour les trouver répétitives. Quelle que soit la mission, l’action principale est le vol de données dans les ordinateurs de l’entreprise. Ceci peut être fait indifféremment par l’un ou l’autre des rôles, on peut donc vider une salle d’ordinateurs deux fois plus vite, en visant surtout ceux qui sont difficiles d’accès pour son acolyte. De temps en temps, on se retrouve face à une porte ou un pare-feu à désactiver, ce qui se fait en entrant la combinaison de touches indiquée à l’écran. Certains systèmes ont une double sécurité, qui demande donc la contribution des deux partenaires en même temps ; il faut comparer deux listes de codes pour trouver celui qu’on a en commun, choisir le fil qui prolonge celui tenu par l’autre… des « mini-jeux » simples et rapides, mais efficaces pour mettre en exergue la difficulté qu’on peut avoir à partager des informations aussi simples que « c’est le code 3E qu’il faut choisir ! » quand on est sous la pression de la sirène d’une alarme.
Hah, hah, hah, hello
La communication est d’ailleurs un élément clé de Hacktag, comme dans tout bon jeu de coopération qui se respecte. Il faut donc apprendre à compter sur quelqu’un d’autre pour se dépatouiller de certaines situations, et surtout savoir comment communiquer clairement, rapidement et sous pression, ce qui n’est pas toujours évident mais est une compétence bien appréciable. Pour cela, on a à sa disposition quatre phrases pas très utiles, à la Hearthstone (« merci », « à l’aide »…) et quatre types de symboles, beaucoup plus utiles pour indiquer à l’autre qu’on a besoin d’aide à tel endroit, ou au contraire que telle porte a été déverrouillée. Le système est fait pour qu’on puisse jouer sans communication orale, quand on joue en ligne par exemple, mais le jeu est beaucoup plus complexe de cette façon. Et puis, ce n’est pas très fun ! Ce qu’on apprécie dans Hacktag, c’est aussi de galérer ensemble, de faire des erreurs ensemble et de se soutenir mutuellement, entre potes à distance ou en local, en split-screen.
Le problème, c’est que le jeu a l’air principalement orienté pour jouer avec des gens qu’on ne connaît pas : impossible de faire une pause (on peut bien afficher le menu… mais le jeu ne se met pas en pause, même quand on est en split-screen et que donc les deux personnes voient cet écran !), et l’accord des deux partenaires est nécessaire pour choisir une mission, échanger les rôles ou même continuer de jouer quand on a dû demander le repêchage évoqué précédemment. C’est complètement inutile : si une personne a besoin de faire une pause, qu’on la fasse ! Surtout qu’on joue avec quelqu’un qu’on connaît en général, donc lui demander son accord explicite pour des choses dont on discute ensemble vocalement, c’est frustrant et ça casse complètement le rythme effréné du jeu. Une simple option pour activer ou désactiver cela serait plus que bienvenue… c’est dommage, surtout après autant de temps passé en accès anticipé qui aurait dû faire remonter cette problématique.
Précisons qu’il existe également un mode solo, dans lequel on alterne entre les deux rôles d’une pression sur un bouton. Le stress est deux fois plus intense, on doit regarder partout à la fois… mais surtout, les mini-jeux, qu’on trouvait simples mais efficaces à deux sont une vraie corvée. En un temps hyper limité, réussir à trouver le bon code dans deux listes différentes, ou bien taper une combinaison de touches, changer de rôle et en taper une autre, c’est très très tendu. D’ailleurs, il nous a été tout bonnement impossible de finir la mission solo qu’on avait choisie, parce que l’ordinateur final ne se débloquait pas, même après avoir entré une combinaison par les deux personnages dans les vingt secondes entre deux rondes de l’antivirus. Au bout d’une demi-douzaine de fois il a fallu jeter l’éponge, et on vous assure que ce genre de bug est incroyablement rageant. Le mode solo est peut-être bon pour des pros de Hacktag qui veulent s’entraîner dans les mêmes conditions qu’une partie à deux… mais il aurait mérité un léger relâchement sur la difficulté. Enfin, on est tellement dans les mêmes conditions qu’une partie à deux que le jeu demande l’autorisation à « l’autre personne » lorsqu’on veut échanger les rôles de nos deux personnages ! Le concept est très sympa, son exécution décidément moins.
Hacktag est apparemment prévu pour que deux personnes qui ne parlent pas la même langue puissent y jouer, ce qui est la raison pour laquelle le texte est réduit au strict minimum. On a donc des pictogrammes accolés à chaque mission, qui correspondent sans doute à des types de mission différents… mais aucune explication n’est donnée à ce sujet ! Et une fois la mission lancée, ce n’est pas plus clair : voler des données, d’accord, mais trouver les pièces manquantes d’un mot de passe, ou des symboles dans un certain ordre sur certains ordinateurs ? Ces missions, même au bout de plusieurs parties, nous laissent perplexes et on se demande parfois ce qu’on fait, parce qu’une croix rouge sur un ordinateur quand on y vole des données ça doit vouloir dire qu’on a fait une erreur, non ?… Non, apparemment pas. Un petit menu d’aide ne serait donc pas de refus, qui décrive au moins les caractéristiques de chaque type de mission en quelques phrases.
Enfin, un mot sur l’univers dans lequel se déroule Hacktag. Tous les personnages sont des animaux anthropomorphés, et on comprend vaguement que nos personnages n’ont pas vraiment été des enfants de chœur, au vu de leur talents d’infiltration. Cependant, malgré les PNJ qui nous parlent comme s’ils nous connaissaient et certaines missions soi-disant importantes pour le développement de notre personnage, on n’a aucun accès à une quelconque backstory. De même, chaque entreprise est censée avoir un aménagement et une atmosphère particuliers ; malheureusement, on n’a pas trop le temps de regarder le décor quand on est en pleine infiltration, et les détails ne ressortent donc pas. Quelques Easter eggs sont pourtant présents, on peut notamment boire du café aux machines en passant… mais c’est tout ! Et c’est assez frustrant de passer à côté d’une tranche de gâteau sans pouvoir la manger, alors qu’un tel clin d’œil au nom du studio (Piece of Cake) serait drôle et probablement assez facile à implémenter. En l’état, on a juste l’impression qu’il y a eu des idées mais elles n’ont pas été poussées au bout.
Conclusion Hacktag
Le concept de Hacktag est très original, et il représente tout ce qu’on pourrait attendre d’un jeu d’infiltration en coop, en équilibrant des moments où on fait jouer la discrétion en solitaire avec d’autres où il faut voler au secours de son acolyte. Bien plus complet qu’un Keep Talking and Nobody Explodes, le jeu promet des expériences prenantes, stressantes mais amusantes à deux. On précise bien « à deux », parce qu’autant l’aventure se passe plutôt bien qu’on soit en multi local ou en ligne, autant le mode solo est bien plus ardu que fun. Malgré les bugs qui pourront venir entacher vos parties et le manque de profondeur de l’univers, Hacktag est tout de même très satisfaisant pour quiconque cherche un jeu de coop inédit.