Tel un Lazare se relevant d’un tombeau scellé depuis une éternité, l’une des séries phares des années 80 made in Capcom revient d’entre les morts et s’est frayé un chemin vers le club restreint des exclusivités Nintendo Switch. Ghosts’n Goblins Resurrection (GnGR pour les intimes) apparaît comme un fantôme : à la fois vestige d’un autre âge, remake sans se l’avouer et suite empreinte d’une envie de modernité. Cet opus a-t-il réellement su se réinventer ? Ou aurait-il dû rester à l’état de souvenir ?
Réputée pour ne jamais se montrer tendre avec ses joueurs, la licence créée par Tokuro Fujiwara (aussi responsable la production de Mega Man) a toujours brillé par une difficulté quasi traumatique. « Good things don’t change », comme dirait Shakespeare, et cet épisode ne dérogera pas à la règle. Cependant les développeurs ont pris soin d’apporter quelques nouveautés bienvenues, histoire d’accueillir comme il se doit les novices. Mais est-ce suffisant pour ouvrir la franchise à de nouveaux joueurs ? Ou avons-nous juste droit à un bonbon de nostalgie destiné aux plus anciens ?
(Test de Ghosts’n Goblins Resurrection sur Nintendo Switch réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Histoire de fantômes
Le synopsis nous est exposé par une introduction façon livre d’images qui s’anime et reçoit ses couleurs à mesure que s’expose le scénario. Une fois de plus, il est on ne peut plus simple, et vous le connaissez tous. Le légendaire Roi Arthur doit voler au secours de sa chère et tendre, honteusement kidnappée par les Forces du Mal. La série ne s’est jamais distinguée par son scénario, et ce n’est pas ce que nous lui demandons. Il s’agit là bien évidemment d’un prétexte à l’aventure, afin de vous mettre dans des situations toutes plus inextricables les unes que les autres. Car jouons cartes sur table dès à présent : ce jeu est difficile. Très difficile. Mais nous reviendrons sur ce point plus tard.
Pour le moment, faisons le point sur nos premières impressions lorsque l’on lance ce GnGR à la sauce 2021. À l’annonce d’un Ghosts’n Goblins Resurrection boosté par le RE Engine (le moteur de jeu maison créé par Capcom pour ses propres licences – Resident Evil 2 en tête), nous nous attendions à une véritable claque graphique. Ce bon vieux Arthur a fait un long chemin depuis l’époque 8 bits, et il méritait le mieux pour son retour d’entre les morts.
Que dire si ce n’est que dès les premières minutes sautent aux yeux la fluidité des animations et la modélisation 3D des fantômes et gobelins. Capcom nous gâte avec un titre artistiquement très fidèle aux opus 8 et 16 bits, habillé d’une direction artistique somptueuse et revisité dans une 2,5D qui fait honneur à la licence. Toutefois, on déplorera parfois des graphismes un peu ternes, même pour une Switch, et le fait de subir quelques ralentissements qui nuisent lourdement à la jouabilité.
Restons dans l’analyse de l’écrin, avec l’habillage sonore. Les musiques elles aussi sont tout droit héritées de leurs aïeux, les thèmes déjà bien connus ont été réorchestrés, mais ne vous attendez pas à entendre des envolées lyriques accompagnées par un orchestre symphonique. Les mélodies ont gardé un côté « MIDI » qui fera forcément vibrer la corde nostalgique de ceux qui ont parcouru ces terres maudites dans leur jeunesse. Mais quid de ceux qui découvriront cette OST en 2021 ? Ceux-ci auront sûrement l’impression d’entendre une bande-son quelque peu désuète et manquant un peu de punch.
De prime abord, GnGR semble avoir du mal à se décider entre l’hommage à ses aïeux et une volonté d’aller de l’avant. Pour ce qui est de l’hommage, l’éditeur japonais a sorti le grand jeu : des reprises des thèmes musicaux de la série au fait de retrouver des ennemis emblématiques de la saga, vous en aurez pour votre argent. De l’armure d’or d’Arthur, au fait qu’il se retrouve en caleçon s’il se prend trop de coups, en passant par la présence de Red Arremer, des Orcs Men, d’Astaroth et Lucifer dans le casting, tout est là pour faire plaisir aux fans de la première heure.
(R)Evolution
Caresser les fans dans le sens du poil est une chose, séduire un nouveau public en est une autre. Pour ce faire, Tokuro Fujiwara et son équipe ont planché sur divers moyens de rendre leur jeu plus accessible, sans en trahir la substance. Première nouveauté qui se découvre en lançant une nouvelle partie : la possibilité de choisir son niveau de difficulté. « Laquais », « Écuyer », « Chevalier » ou « Paladin » (dans l’ordre croissant de difficulté), libre à vous de faire votre choix. Pour être tout à fait honnête, le mode « Laquais » n’est rien d’autre qu’un mode entraînement déguisé (vous y serez presque invincible) vous permettant de vous faire la main sur les futurs challenges qui vous attendent. Les choses sérieuses ne débuteront qu’avec le mode « Écuyer »…
Seconde nouveauté de cet opus : votre aventure vous offrira quelques embranchements. Une fois votre niveau de hardiesse choisi, plusieurs chemins vous sont offerts, qui vous permettront d’arpenter, entre autres, la nécropole (hommage à Super Ghouls’n Ghosts sur SNES), le champ d’exécution (repris de l’opus NES Ghouls’n Ghosts de 1988), la cité de cristal ou le hameau infernal. De quoi varier vos runs et vos plaisirs, et accroître la durée de vie pour les complétistes.
Véritable renouvellement au sein de la série, un arbre de compétences est maintenant de la partie. Les aptitudes qu’il recèle sont déblocables grâce aux fées colorées que vous trouverez en fouillant les niveaux. Et celles-ci sont d’une aide non négligeable : magie de foudre, augmentation de vitesse ou même chance de ressusciter immédiatement à votre décès, elles vous permettront de progresser plus aisément parmi les hordes démoniaques qui vous attendent.
Enfin, parlons du mode coop. En sélectionnant ce mode disponible uniquement en local, un joueur pourra assister Arthur dans sa tâche. Pour ce faire, il vous faudra choisir entre trois personnages de soutien : Barry, qui crée des barrières protectrices, Kerry, qui peut porter le héros, et Archie, apte à créer des ponts. Idéal pour découvrir à plusieurs ces terres démoniaques. Ce mode est une incontestable plus-value pour parcourir cet opus avec plus d’aisance.
En s’arrêtant ici, on pourrait s’imaginer que Capcom a transformé sa saga en une promenade de santé, et qu’il s’agit dorénavant d’un ersatz de Mario en mode médiéval. Détrompez-vous, pauvres fous…
Git Gud – Ou comment être plus royaliste que le Roi
Venons-en à ce qui fait déjà débat, la difficulté de cet opus. Si vous interrogez n’importe quel joueur ayant mis la main sur Ghouls’n Ghosts dans les années 80/90, et que vous lui demandez ce qu’il en retient, sa réponse sera sûrement en lien avec la difficulté du titre (ou simplement « Ouch »). Oubliez les Dark Souls, Ninja Gaiden ou même Cuphead. Ghosts’n Goblins joue dans une tout autre catégorie. On parle ici d’un jeu impitoyable, extrêmement punitif, exigeant des réflexes et des nerfs d’acier, ainsi qu’une maîtrise totale des niveaux traversés.
Ne vous laissez pas amadouer par son design mignonnet et son scénario de conte de fées, Ghosts’n Goblins Resurrection est un sacerdoce. Si c’est la tête haute et avec la fierté de connaître les précédents opus que l’auteur de cet article s’est frotté à ce titre, la confrontation a été implacable. Affronter le mode « Paladin » revient à ouvrir la Configuration (Vidéoludique) des Lamentations d’Hellraiser. Une excellente recommandation pour les amateurs de sado-masochisme ludique extrême.
Les vagues d’ennemis en tous genres (zombies, ogres, méduses, renards de feu…) ne cessent jamais d’apparaître, le décor est émaillé de pièges de tous types et vous n’aurez progressé que de quelques centaines de mètres et vaincu quelques dizaines d’ennemis que votre compteur de morts aura déjà explosé. À cela s’ajoute la nécessité absolue d’être très précis dans chacun des déplacements du héros. Saut, placement face aux ennemis, esquives en s’accroupissant, TOUT doit être maitrisé au millimètre. Rien ne semble plus facile ? Cela le serait si Arthur ne se déplaçait pas de manière si raide, comme une petite marionnette dont on ferait bouger les membres à l’aide d’un fil.
Et pourtant, Ghosts’n Goblins 2021 est un jeu addictif au possible. Ceux qui aiment les SoulsBorne vous le diront : le fait de triompher de toutes ces épreuves, d’aller au-delà de la frustration et de la colère que provoque le jeu, permet de ressentir une joie difficilement descriptible. Ce sentiment d’accomplissement est sans nul doute l’une des plus grandes forces de ce titre.
Vous qui êtes parvenu à voir cet écran, quel que soit le mode de difficulté dans lequel vous avez joué, soyez fier de vous. GnGR n’en aura cependant pas fini avec vous pour autant : une fois la fin atteinte, vous devrez recommencer le jeu via un new game plus (subtile référence à votre site favori) avec des handicaps pour obtenir la véritable fin…
Ghosts’n Goblins Resurrection est une friandise douce amère. Il sait nous donner envie de l’aimer, mais se montre âpre dans son approche. Il s’agit là d’un titre qui souhaite se tourner vers une forme de modernité, mais dont l’héritage semble presque l’étouffer. Au-delà de son effroyable rudesse dans les modes de difficulté les plus élevés, il reste un bon action platformer old-school.
Il est extrêmement ardu de noter ce jeu, car il est à la fois un brillant hommage aux années 80, et un reboot qui ne s’assume qu’à moitié. Si Capcom avait enrichi un peu plus le gameplay (plus d’armes ou de mouvements), et si la jouabilité avait été un chouïa plus permissive, Arthur aurait réussi son come-back avec brio. Mais avec des « si », on pourrait mettre Paris en bouteille.
Ultime conseil, n’hésitez pas à choisir les modes de difficulté les plus aisés, surtout si vous découvrez la licence. Cela ne rendra vos runs suivants que plus confortables, et vous permettra de prendre encore plus de plaisir à ce jeu.