Fantasian est la preuve d’une chose : dans l’industrie vidéoludique, point besoin d’avoir un budget de triple A pour briller. Dernière production en date de Hironobu Sakaguchi, l’homme derrière les Final Fantasy, Chrono Trigger et Front Mission, le jeu était attendu fébrilement par les amateurs de J-RPG. Mais ne versons pas dans le suspense inutile : c’est un chef-d’œuvre.
(Test de Fantasian effectué sur iOS via une version commerciale du jeu)
Squall, Cecil, Djidane et les autres
Le monde de Vibra est en grand danger. Une infestation mécanique nommée Mechteria dévore peu à peu ses terres, corrompant les êtres vivants qui s’en approchent pour en faire des créatures mi-animales, mi-machines extrêmement agressives. Nul ne sait comment enrayer cette infestation, ni les mages, ni les scientifiques.
Dans ce monde en danger, vous prendrez les commandes de Léo, un jeune homme en quête de ses souvenirs, qu’il a perdus suite à une explosion magique. Il mettra tout en œuvre pour retrouver son identité, dans un périple qui l’amènera à rencontrer des compagnons de route aux profils divers et variés : Prickle et Clicker, un duo de robots intelligents, Kina, une guérisseuse aux origines mystérieuses, Cheryl, héritière du Royaume (Queendom en V.O.) de Vibra ou encore Valrika, une scientifique venant d’une autre dimension ravagée par le Chaos.
Le vent de l’aventure avec un grand « A » souffle en permanence sur Fantasian. De rebondissements en rebondissements, de trahisons en révélations, le scénario tient le joueur en haleine sans peine. Découvrir le passé de Léo au fil de ses rencontres est un immense plaisir. La narration oscille entre dialogues, cinématiques et écrans fixes magnifiquement illustrés, sur lesquels défilent des textes souvent très poétiques ou mélancoliques.
De même, découvrir les origines de la « Mechteria » s’avère être une tâche passionnante, chaque élément donnant envie de poursuivre sa quête plus en avant. Le studio Mistwalker a su déposer une foule d’indices tout au long de votre aventure comme autant de petits cailloux blancs vous incitant à toujours progresser sans jamais abandonner votre quête.
Le rythme est tenu d’une main de maître, et il est difficile de quitter le titre après avoir sauvegardé, tant l’envie d’avancer dans l’histoire ou de visiter une nouvelle ville est forte. Cependant, ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’un titre qui file à cent à l’heure sans prendre le temps de se poser, bien au contraire.
Les moments de pause sont là, et distillés avec le plus grand soin, ils offrent des bouffées d’air frais parfois bienvenues après un moment particulièrement tragique, ou une révélation lourde de conséquences. Pour exemple, vous serez poursuivi par un trio de malfaiteurs peu doués, le Cinderella Tri-Stars, dont les interventions renvoient aux meilleurs sentais ou aux apparitions de la légendaire Team Rocket. Rires garantis (et préparez-vous à voir fleurir les cosplays de ces trois-là). Vous pourrez également compter sur des moments simples de contemplation, avec vos personnages errant au travers de paysages magnifiques, accompagnés par les mélodies du docteur des OST, Nobuo Uematsu.
Nobuo et Hironobu rentrent dans un bar
Vous avez bien lu, une fois de plus, le duo de choc Nobuo Uematsu et Hironobu Sakaguchi est réuni. Un duo quasi légendaire pour qui s’intéresse de près ou de loin non seulement aux RPG, mais aussi au jeu vidéo en général. Depuis leur rencontre chez SquareSoft en 1986, les deux hommes partagent pas moins de quarante projets en commun, de Final Fantasy premier du nom à Terra Battle en passant par Blue Dragon.
Pour ce qui pourrait être son baroud d’honneur, Uematsu-San a donc fait ce qu’il sait faire de mieux : une bande-son très mélodique, qui brasse de nombreux styles. Des morceaux très folk (la piste intitulée OWEN) à certaines pistes fortement inspirées de la scène électronique (certains thèmes de boss), le maître signe pas moins de soixante compositions pour Fantasian (dont vous pouvez profiter de quelques extraits ici). Bien entendu, ses plages atmosphériques et symphoniques sont bel et bien là, et on ressent immédiatement la touche Uematsu dès que la musique se fait un peu plus présente.
Mais ce n’est pas parce qu’on est entre vieux amis de longue date qu’on ne va pas innover. Bien au contraire. Sur le plan graphique, Fantasian est d’une beauté incroyable. Revendiquant le titre de « Diorama Adventure RPG », celui-ci propose des décors intégralement réalisés à la main, puis photographiés et enrichis de détails par infographie. Le résultat est tout bonnement bluffant. À la fois criant de réalisme, vivant et totalement onirique, chaque tableau pose une atmosphère propre au jeu, que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Qu’il s’agisse d’une maisonnette abandonnée dans une forêt, d’un bateau capable de naviguer dans des mers de sable, ou d’une cité techno-futuriste, ces paysages marquent le spectateur. Pour son jeu, le studio Mistwalker a créé plus de 150 dioramas différents, qui sont autant de lieux que l’on parcourt avec un plaisir sans cesse renouvelé.
Final Fantasy IV-2 Redux Fantasian, on a dit
Les premières heures de jeu ne laissent aucun doute quant au fait que nous avons affaire à un tenant du titre d’héritier légitime des J-RPG « traditionnels ». Héros amnésique androgyne avec une grosse épée, univers tiraillé entre technologie de pointe et magie, peuples vivant en harmonie avec la nature, combat au tour par tour, et musique tantôt douce tantôt électrisante. Tous les ingrédients sont réunis pour faire un énième clone, me direz-vous. Et vous aurez totalement tort.
La force du titre vient du fait que Sakaguchi prend un malin plaisir à déconstruire les poncifs d’un genre qui peut sembler assez monolithique, pour l’amener vers de nouveaux horizons. Si les personnages peuvent paraître clichés de prime abord, il n’en est rien. Chacun d’entre eux a une storyline particulière, et s’avère bien plus complexe que ce que l’on trouve habituellement dans le monde du RPG classique. Le système d’amnésie (partielle) du héros n’est même qu’un habile moyen pour vous amener à vous questionner sur ses origines et sur la personne qu’il était avant son accident.
Les compagnons de voyage de Léo bénéficient de la même maturité d’écriture. Des personnages qui sont autant attachants qu’ils imposent un charisme indéniable, et ce d’autant plus qu’ils baignent dans une intrigue soignée, sublimée par le rendu graphique très singulier qui caractérise le soft. Quant au design des héros, leur style graphique faussement kawaii contraste d’autant plus avec leur maturité. Le réalisateur joue ainsi volontairement sur le paradoxe entre l’allure naïve des personnages et leurs préoccupations très matures.
En ce qui concerne le système de combat, une fois de plus, Mistwalker démontre son ingéniosité. Combats aléatoires et au tour par tour peuvent rebuter pas mal de joueurs qui ne sont pas prêts à accepter des cassures de rythme dans la progression. Fantasian résout ce problème grâce au « Dimengeon System ». Après une petite heure de jeu, vous vous trouverez en possession du « Dimengeon Warp Device », un appareil (activable à volonté) qui enverra dans une dimension parallèle les ennemis déjà rencontrés au moins une fois.
Libre à vous alors de choisir à quel moment les affronter dans un donjon virtuel, non sans avoir pris soin de vous préparer avant d’aller au charbon. Un système ingénieux qui permet de gérer au mieux votre temps, puisque vous pourrez profiter de temps de promenade et vous concentrer sur la narration quand vous le souhaiterez.
Puisque nous en sommes aux combats, eux aussi ont été pensés pour vous tenir en haleine, et vous demanderont une attention de chaque instant. Matraquer la même commande ne vous mènera nulle part. Première règle pour s’en sortir : composer une équipe équilibrée. Chaque personnage a ses spécificités de combat, des compétences qui lui sont propres, à vous de créer l’escouade idéale. Second point : vous pouvez donner un effet aux tirs de magie. Imaginez-vous dans l’univers de Wanted ou face aux tirs de Captain Tsubasa. Selon l’angle et la courbe que vous appliquerez à votre sort, cela vous permettra de contourner certains ennemis pour en frapper d’autres, ou d’en toucher plusieurs à la fois.
Preuve une nouvelle fois que Fantasian ne se repose pas sur ses lauriers.
Comme à la maison, en mieux
En dernier lieu, le titre démontre par ses thématiques abordées qu’il est bel et bien une production de Sakaguchi. Ses sujets favoris sont de nouveau de la partie : le retour à la nature, la recherche de soi, la relation entre l’homme et la machine, la quête de l’amour perdu… Cependant, c’est avec sa grande expérience que le créateur amène à la réflexion, tout en subtilité.
Première partie d’une aventure en deux actes (le second devrait arriver dans l’année), le soft de Mistwalker synthétise à la fois ce que le J-RPG des années 90-2000 a fait de mieux, tout en l’ouvrant à la nouveauté et en l’ancrant dans une modernité indéniable. Il transpire l’amour d’un genre à part entière, et raisonne comme une lettre d’adieu d’un grand artiste à destination de ses admirateurs.
Les abonnés Apple Arcade peuvent jouer à Fantasian sur leur iPhone, iPad, Apple TV ou Mac dès aujourd’hui sans frais supplémentaires. Un abonnement Apple Arcade coûte approximativement 5€ par mois, mais vous pouvez bénéficier d’un essai gratuit d’un mois du service si vous ne l’avez pas utilisé dans le passé. On ne saurait que trop vous inviter à en profiter pour fondre sur ce titre exceptionnel.
Fantasian est un incontournable. Un titre d’une finesse et d’une maturité rare, qui prouve que ce n’est pas le support qui fait le succès, mais bien le jeu. Sa réalisation superbe (ses dioramas ne vous laisseront pas de marbre), ses musiques d’un Nobuo Uematsu particulièrement inspiré et ses idées de gameplay novatrices vous séduiront à coup sûr.
Capable de casser les codes d’un genre que beaucoup pensent figé dans le temps, tout en assumant un héritage parfois lourd à porter, le titre de Mistwalker renouvelle sans cesse la formule du J-RPG et y apporte une fraîcheur bienvenue.
Hironobu Sakaguchi a déclaré qu’il était probable que ce jeu soit son dernier. Si tel était le cas, avec cette ultime fantaisie, le maître pourrait partir la tête haute, en ayant livré une synthèse parfaite de ses inspirations et de son savoir-faire. Que l’on soit fan de J-RPG, que l’on apprécie les grandes aventures épiques, ou que l’on veuille s’ouvrir à un genre que l’on connaît peu, Fantasian est le jeu idéal. Une œuvre dont on se souviendra encore durant de longues années, largement à la hauteur d’un Persona 5 ou d’un Xenoblade.