Allant de manière sûre vers sa fin de vie, la console hybride de Nintendo continue de sortir de nouveaux titres. C’est ainsi qu’elle accueillera bientôt le prochain volet spin-off de la saga Zelda (Echoes of Wisdom) ou qu’elle a accueilli il y a peu le volet inédit de la saga Detective Famicom Club. Un opus surprise, on peut le dire, qui avait suscité quelques remous au sein de la communauté de joueurs.
Quand un teasing donnait une tonalité bien glauque, l’annonce même de Nintendo tranchait beaucoup avec ce qui avait été montré. Les couleurs étaient plus chatoyantes, plus bon enfant que ce à quoi l’on aurait dû s’attendre. Alors qu’en est-il réellement ? Fournit-il sa dose de frissons aux joueurs avides d’histoires sordides ?
(Test d’Emio : l’homme au sourire réalisé sur Nintendo Switch à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
C’est reparti…
Sans grande surprise, et le nom du jeu (un visual novel plus précisément) l’indique aisément, le joueur sera envoyé dans la peau d’un détective, ou plutôt dans la peau d’au moins deux détectives, lesquels explorent des aspects différents de l’enquête. Il s’agira d’une supposée affaire de meurtre bien sordide engageant un individu tout aussi peu agréable : le fameux Emio, un supposé tueur en série ayant auparavant sévi quelque 18 années avant l’événement qui rythme notre course aux indices.
Ainsi, le motif de l’histoire est assez pesant. Or, il y a comme un décalage entre le sujet traité et l’ambiance véhiculée par le jeu. Pour cause, il est difficile de saisir totalement la noirceur qui devrait se dégager d’un tel récit, l’histoire semblant seulement parcourir la surface de ce que l’on en attendrait.
Certes, des sujets lourds sont abordés, mais ils se retrouvent amoindris par la composition musicale par exemple, qui, elle, véhicule une sorte de légèreté, voire une candeur assez malvenue. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de morceau plus sérieux. Ils sont seulement moins nombreux et trop peu accentués. Par ailleurs, il y a certains accents dans cette bande-son qui reverront directement à des temps anciens. Chose qui plaira, il est sûr, aux plus nostalgiques.
Cependant, ce parti pris est sans doute révélateur de la vision particulière des concepteurs, dont fait partie Yoshio Sakamoto (Metroid). Une vision qui serait la suivante : narrer une histoire sordide par le prisme de la banalité. Ce qui, on le concède, renforcerait l’idée d’un certain réalisme renvoyant ainsi à une réalité ou derrière un quotidien sans remous se cacheraient des événements qui nous dépassent. Et ce sentiment, le joueur est amené à le découvrir.
Interroger sur des petits riens
Il est des choses de bonne facture dans la narration de ce Emio : l’homme au sourire. Le titre de Nintendo arrive en effet à nous tenir en haleine grâce à une certaine maîtrise. Rien n’est vraiment figé dans le récit, tout est à déterminer. Autrement dit, le joueur est balloté d’une piste à une autre sans être pour autant avancé sur l’affaire. Ce qui d’une certaine manière laisse la place à l’introduction d’autres éléments.
Ce qui est intéressant, car, en courant les fausses pistes, il y a comme une impression que l’affaire s’étoffe, paraissant finalement plus complexe qu’elle en a l’air. Et cette complexité, effective, prend une certaine forme. En effet, au-delà du meurtre, il nous est donné d’aborder des thématiques assez diverses, en explorant ainsi l’histoire même des personnages. Des protagonistes qui, d’ailleurs, font émerger un bon nombre de questions propres à tourmenter notre tête. Disons qu’il est difficile de ne pas éprouver un malaise au cours des dialogues qu’ils engagent, et ce, même si les propos émis sont nimbés de banalité.
Il y a comme un pressentiment que chacun d’entre eux est susceptible de cacher un secret en lien avec l’affaire, et même nous mener en bateau. En cela, dans cette faculté à créer du suspense, Nintendo s’en sort avec les honneurs. On nous joue sans cesse avec nos attentes pour mieux nous surprendre. Mais, peut-être est-ce même un peu trop exagéré…
Une enquête haletante ?
L’enquête nous fait traverser différents sentiments. On se prend autant de passion à interroger les potentiels suspects et témoins (via un ensemble de commandes ) que l’on se laisse aller à l’ennui par ce qui nous est conté ou demander de faire. Car oui, en plus d’être rythmé par une sorte de linéarité et ponctué d’actions dont on se demande l’utilité, la tenue de certains propos n’est pas finalement pas tout à fait pertinent, relevant finalement plus du bavardage qu’autre chose.
En revanche, il est vrai que cela donne quelque peu de profondeur à l’ensemble du casting. Ce qui fait naître de la sympathie vis-à-vis de certains personnages. Ceci étant, il existe des légèretés dans leur écriture qui permettent de désamorcer les tensions pouvant naître çà et là : des pauses bienvenues.
Toutefois, l’histoire se délaye un peu trop et désarçonne quelque peu le joueur. En vérité, le procédé dessert totalement son propos. À force de susciter l’attente, Emio crée aussi de l’exigence. Et cette exigence, il n’est pas certain qu’elle soit comblée à l’issue de la révélation finale, qui, on peut le dire, laissera plusieurs joueurs sur leur faim, notamment à cause d’une accélération dans la narration peu ou prou convaincante.
Ainsi, on ne peut pas s’empêcher de penser que tout l’investissement que nous a demandé Emio : l’homme au sourire était du temps perdu. Certes, la proposition pourrait suffire. Seulement, était-il vraiment nécessaire d’attribuer le pegi 18 à ce visual novel ? La question se pose en effet. Il est vrai que le titre possède un climat anxiogène, surtout vers la fin de l’aventure, mais est-ce suffisant pour retourner les cœurs ? Sans doute pas le public aguerri.
Si l’on se fie à la population censément accueilli par la console de Nintendo, l’avertissement prend tout son sens. Il ne serait en effet pas judicieux de mettre entre les mains d’un assez jeune joueur une œuvre où l’on évoque de la mutilation, des sévices psychologiques et corporelles, etc. D’autant que l’aspect cartoonesque et joviale des graphismes serait presque trompeur.
Après, à la réflexion faite, Emio peut marquer son public, de manière plus ou moins prononcé. Une chose est sûre, et on va taire l’événement en question, un certain passage du jeu obtiendra toute l’attention du joueur. Et, sans doute, est-ce le moment le plus réussi, voire le plus perturbant, de l’œuvre.
Emio : L’homme au sourire offre une aventure assez intéressante, ouvrant sans cesse la porte à de nouveaux éléments. Ce qui vient apporter de complexité et profondeur au récit. Et la tension est globalement bien gérée, si ce n’est l’existence de longueur et une certaine rigidité dans les actions demandées qui viennent plutôt confiner le joueur dans une sorte d’ennui.
Néanmoins, malgré ces vilains défauts, le jeu composé par Nintendo réussit à susciter et maintenir l’attention, manageant avec une certaine virtuosité le suspense tout au long de la progression. Une progression qui ne laissera certainement pas indifférent son public pour une raison ou une autre, que ce soit pour sa fin un peu « faible » ou ses passages saisissants.