Voilà sept années que l’on attend Edge of Eternity. Sept ans que les Nîmois de Midgar Studio bûchent sur leur J-RPG maison. Passé en 2015 par la case financement participatif grâce auquel ils ont collecté 161 246 $ alors qu’ils n’en réclamaient que 44 000, le jeu aura mis à rude épreuve la patience de sa communauté. Mais le studio a continué d’avancer, avec l’envie de créer et de développer leur propre univers de fantasy et de proposer au joueur une expérience unique en exploitant les traditions japonaises et occidentales. D’immenses ambitions donc malgré les moyens limités à disposition.
Mais qu’importe. Le voici enfin, après trois années d’early access sur Steam, sur nos bonnes vieilles consoles PS4, PS5 et Xbox. Un projet qui fleure bon le voyage épique comme on l’aime. Un Final Fantasy à la française presque, toutes proportions gardées, où l’on suivra Daryon et Sélène en quête pour sauver les habitants d’Heryon d’un terrible mal qui les ronge. Tout un programme. D’autant qu’on nous annonce une aventure riche et variée. Reste à voir si Edge of Eternity, à vouloir trop en faire, n’a pas finalement sacrifié son identité sur l’autel de ses ambitions.
(Test de Edge of Eternity sur PS5 réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Je t’aime – moi non plus
Comment aborder ce Edge of Eternity ? La question a beau être simple, la réponse l’est beaucoup moins. Après quelques minutes manette en main, on comprend tout l’amour des équipes de Midgar Studio envers les J-RPG, mais aussi les nombreux défis qui se sont imposés à eux et que, malheureusement, ils n’ont pas complètement réussi à relever.
Cela risque d’être le fil rouge de l’aventure, mais tant de faiblesses technique font assez mal à voir. Il ne faut évidemment pas s’arrêter qu’à ces considérations, la notion « jeu » du médium « jeu vidéo » faisant partie intégrante de l’expérience, mais force est de constater que passé un certain seuil, il devient compliqué de faire autrement. Edge of Eternity a beau avoir bénéficié d’un développement au long cours, il paraît daté sur bien des points. Alors, effectivement, une faiblesse technique ne fait pas un mauvais jeu, mais les très nombreux bugs, les crashs visuels et sonores, l’animation parfois désastreuse, le clipping à quelques mètres… peuvent revêtir un caractère rédhibitoire. Il conviendra donc de passer outre ce manque de finitions pour commencer à prendre du plaisir dans le monde d’Heryon.
Pourtant, pour qui fera l’effort d’insister, et réussira à survivre à cet insipide prologue, un univers plutôt enchanteur s’ouvrira. Auquel cas, c’est finalement beaucoup de plaisir que l’on prendra à arpenter les très grandes zones d’Edge of Eternity. Tout est très coloré et la singulière direction artistique du jeu nous offre de superbes panoramas. Un bon point qui permet de compenser en partie les écueils techniques. Et à défaut d’en prendre tout le temps plein les yeux, on appréciera la bonne volonté et la générosité des équipes en charge du projet. Peut être trop même, le jeu nous offrant de grandes plaines à explorer, mais qui nous paraissent bien vides au regard des kilomètres de terrain de jeu. Et ce ne sont pas les très nombreuses quêtes fedex nous forçant à les explorer encore et encore pour quelques récompenses plus ou moins utiles qui dynamisent l’expérience.
On en vient donc assez rapidement à boucler des quêtes inintéressantes consistant pour la plupart à tuer un certain nombre de monstres ou à se rendre à un point précis pour ramener à un quelconque PNJ un objet tout aussi quelconque. Tout ça pour une récompense pas vraiment valorisante. Ainsi, la monotonie s’installe bien vite. On remplit nos objectifs telle une âme en peine dans ces gigantesques contrées pour quelques deniers à amasser ou des objets dont l’utilité réelle est encore à définir. Une boucle de gameplay finalement aussi datée que sa technique.
Les corrosifs contre la corrosion
C’est la guerre. Face à un ennemi technologiquement bien supérieur venu de l’espace, les habitants d’Heryon sont démunis. Plus encore même quand ces envahisseurs lâchent sur le monde la corrosion, une maladie transformant les êtres vivants en monstres agressifs. C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de Daryon, un soldat déserteur, et de sa sœur Sélène, prêtresse du Sanctorium, une institution puissante qui supervise l’extraction et l’utilisation des cristaux, à la base de la technologie d’Heryon. Nos deux héros partent alors en quête d’un remède pour soigner leur mère, atteinte de corrosion, et par la même occasion, tentent de sauver le monde.
Un scénario somme toute classique, porté par les compositions de Mitsuda Yasunori ayant travaillé sur les bandes sonores de Chrono Trigger, Xenoblade Chronicles ou Soul Sacrifice par exemple. Il signe à nouveau là une OST très qualitative, accompagnant parfaitement notre aventure. Cependant, malgré des premiers chapitres engageants, le scénario se prend les pieds dans le tapis de ses ambitions bien trop grandes. À force de vouloir ajouter du contenu à son univers, à se disperser dans des détails pas toujours très intéressants, Edge of Eternity finit par venir à bout de la patience des joueurs qui attendront encore et encore un climax qui ne viendra finalement jamais.
Néanmoins, s’il y a un grand point fort à noter, c’est bien l’écriture des personnages. Les dialogues entre nos héros sont savoureux à suivre. Daryon, par exemple, utilisant et abusant de sarcasmes, est d’un caractère assez peu commun dans le jeu vidéo moderne et use d’un humour qui fait mouche à de nombreuses reprises, notamment dans ses échanges avec Sélène. Tout au long du jeu donc, on suivra avec intérêt les piques lancées entre les différents protagonistes. Et plus encore avec les autres personnages qui nous accompagneront.
Mais une nouvelle fois, à vouloir trop en faire, ce bon point est noyé dans une masse beaucoup moins qualitative. Car Edge of Eternity est bavard, très bavard même, et n’hésite pas une seconde à nous abreuver de beaucoup de détails qui épaississent l’univers, mais le rendent aussi régulièrement assez indigeste à intégrer.
À courir plusieurs lièvres…
Les équipes de Midgar Studio sont très fières de mettre en avant la grande variété de leur jeu. Sur ce point, on ne peut que les comprendre tant effectivement, Edge of Eternity propose une foultitude de possibilités dans son gameplay en piochant des idées dans des licences aussi diverses que Final Fantasy, Tales of ou Shadow Hearts, entre autres.
On a en premier lieu un système de combat basé sur une jauge ATB qui se veut stratégique, jouant sur le placement de nos combattants et l’exploitation des faiblesses ennemies. Pour éviter une approche trop binaire des affrontements, on pourra accomplir quelques objectifs secondaires, histoire de gagner quelques récompenses en plus. L’idée n’est hélas qu’effleurée et ne repose que sur une poignée de choix. Au fil des heures, on aura aussi la bonne surprise de voir apparaître d’autres strates dans la boucle de gameplay. Par exemple, à plusieurs reprises, des phases axées puzzles se dresseront sur notre route. D’autant qu’ils ont le bon goût de ne pas être trop présents et de régulièrement se diversifier. Une vraie bouffée d’air frais.
L’axe stratégique du jeu repose aussi sur l’évolution de notre équipe. Outre un système de craft à oublier, chacune de nos armes pourra prendre des niveaux au fil de son utilisation et donnera accès à une sorte d’arbre de compétences personnalisable. C’est en insérant des cristaux récoltés lors de nos pérégrinations dans cet arbre que l’on gagnera de nouvelles capacités et sorts élémentaires.
Un point intéressant donc, mais sous-exploité et n’offrant pas l’addiction d’une optimisation poussée. En bref, Edge of Eternity donne l’impression de vouloir tester un concept intéressant sans être original, mais avant d’aller au bout de son choix, change de direction pour tenter autre chose, et en définitive n’en exploite réellement aucun.
On a affaire là à un J-RPG malade, et pas que techniquement. Il souffre de l’immense ambition de ses développeurs. Les équipes de Midgar Studios aiment les jeux de rôle japonais, et ça se voit. Ils multiplient les inspirations en tentant de les faire leurs. On se retrouve donc avec un jeu qui nous propose un gloubi-boulga d’un maximum de mécaniques. Du craft, de la stratégie, des arbres de compétences, des puzzles, un cycle jour-nuit… Edge of Eternity coche toutes les cases d’un cahier des charges gargantuesque, mais ne s’investit dans aucune.
Car hélas, à vouloir tout faire, il ne fait finalement rien de bien. Entendons-nous bien, Midgar Studio signe un jeu plus qu’honorable, avec des dialogues bien sentis et une direction artistique agréable, mais il ne va jamais au bout de ses idées et toutes ou presque finissent par tomber à plat. En résulte un jeu sans identité propre, qui se laisse parcourir sans réel déplaisir, mais dont on sort comme on est entré. Edge of Eternity devrait de fait convenir aux amoureux du genre en manque d’expériences, mais finira dans les tréfonds des mémoires sitôt le générique atteint.