L’un des grands moteurs de la science-fiction dystopique est l’extinction de l’humanité des causes de sa propre connerie, soyons francs, ou bien parce que la Terre se meurt et se retourne contre ses habitants, souvent là aussi dû à la propre bêtise de l’Homme. Et que fait une espèce intelligente lorsqu’elle se sent menacée sachant qu’elle va s’éteindre comme neige fond au soleil ? Elle cherche des solutions pour résoudre cet épineux problème sans même savoir si elle pourra parvenir à se sauver et tromper le destin.
La plupart des récits de ce genre nous mènent alors vers une quête spatiale de l’Homme qui cherche une planète pouvant lui servir de refuge, l’exploration spatiale devenant alors l’enjeu de toute une civilisation, mais aussi son seul espoir.
Le jeu qui nous intéresse ici, Deliver Us the Moon du petit studio néerlandais KeokeN Interactive, pourrait s’inscrire parfaitement dans ce schémas narratif, sauf que l’on ne suit pas l’humanité qui tente d’échapper à son funeste sort, mais on cherche plutôt à savoir pourquoi cela a échoué et s’il est possible de sauver les meubles. KeokeN, dont c’est le premier jeu, tente ici de nous apporter une expérience narrative forte saupoudrée d’exploration et d’énigmes nous faisant voyager de la Terre à la Lune.
Un mélange et un sujet qui sur le papier nous séduit grandement, reste donc à savoir si cela est convaincant une fois notre combo clavier/souris branché.
Annoncé par ses auteurs comme un thriller de science-fiction, Deliver Us the Moon nous présente une humanité en proie à l’extinction progressive des suites d’une crise énergétique majeure et une planète bleue qui s’assèche progressivement provoquant par la même de grandes tempêtes de poussière balayant tout sur leur passage et rendant le sol stérile. Seule solution alors, se tourner vers les étoiles et plus particulièrement la Lune pour tenter de trouver une solution au problème énergétique.
La World Space Agency fut alors créée et des missions furent envoyées sur l’astre mort en orbite terrestre et ce qui fut découvert redonna de l’espoir à une espèce qui en avait grandement besoin.
Il s’agit tout simplement d’une nouvelle source d’énergie suffisante pour alimenter au départ près de 20% de la population mondiale et qu’il suffisait juste de réussir à acheminer chez nous. Un pont spatial énergétique reliant la colonie lunaire à la Terre, aussi appelé MPT (pour transmission d’énergie à micro-ondes), fut alors construit et tout alla pour le mieux jusqu’en 2054 et à cette nuit fatidique durant laquelle non seulement l’alimentation provenant du pont fut coupée, mais aussi toutes communications avec les colons.
En cet instant tout bascula, la World Space Agency fut démantelée et l’exploration spatiale mise de côté. Personne ne sut ce qu’il advint réellement et les raisons de ce fiasco, mais certains n’ont pas dit leur dernier mot et comptent partir en quête de réponses.
Objectif Lune
Nous sommes maintenant en 2059, et alors que les choses vont de mal en pire, une jeune astronaute, la dernière, du nom de Sarah aidée par un petit groupe d’ingénieurs spatiaux, dirigés par une certaine Claire, décident de tenter le tout pour le tout et de retourner sur la Lune pour découvrir ce qui s’est passé des années auparavant et tenter de rétablir la transmission MPT.
Pour ce faire, elle embarque alors seule dans la fusée Taurus V, la dernière de sa génération et qui a demandé près de quatre ans de travail pour être de nouveau en état de s’envoler vers les cieux. Direction la Lune donc avec au préalable une escale sur la station spatiale Pearson stationnée en orbite lunaire pour trouver le transmetteur MPT en son bord qui permettait l’envoi du signal énergétique.
S’il faut bien reconnaître une qualité à Deliver Us the Moon, c’est que le récit captive son audience. D’une part parce qu’enquêter sur les raisons de la non-réussite de la mission plutôt que de la mener à bien est intéressant, mais aussi parce qu’aussi éparse soit-elle, la narration est justement dosée et parvient à distiller assez d’informations ici et là pour nous donner l’envie de creuser toujours plus profondément.
Si cela passe principalement par la lecture de quelques documents écrits ou journaux audios, ainsi que l’utilisation lassante d’un scanner portatif, la narration se veut aussi visuelle avec des environnements qui en disent parfois long sur les événements qui ont eu lieu auparavant. De même qu’un peu à la manière d’autres jeux de ce genre comme Everybody’s Gone to Rapture ou encore Tacoma avec lequel Deliver Us the Moon partage quelques points communs, des sortes d’échos du passé nous montrent des événements ou encore des discussions entre quelques personnages.
Un procédé classique aujourd’hui, mais qui fonctionne plutôt bien ici, d’autant plus que toutes les réponses aux questions que l’on se pose ne nous sont pas données sans effort de notre part. En effet, si le scénario déroule son histoire devant nous, les détails supplémentaires sont à récupérer en farfouillant un peu partout et c’est seulement ainsi que l’on peut faire la lumière sur tout ce qu’a à nous offrir le jeu.
Cependant, si c’est intéressant, le récit s’essouffle un peu sur la durée, la faute à un rythme assez lent et à des révélations sans surprise qui auraient gagné à être plus subtiles par moment. L’écriture souffre aussi du symptôme de la facilité et s’égare en mettant en place de grosses ficelles bien visibles. Le final devient alors aussi classique qu’attendu et il est fort dommage que KeokeN soit tombé dans le cliché. Rageant, car il y avait matière à nous proposer une expérience forte et intelligente de bout en bout, et ne pas tomber dans le déjà-vu sauveur de l’humanité.
On a marché sur la Lune
Oui, on marche bien sur la Lune et c’est plutôt agréable d’ailleurs. Beau ? Oui et non, tout est relatif. La Lune est d’une beauté morte, éteinte et stérile. Elle ne propose pas de panoramas à s’en exploser la rétine et ne sera jamais élue miss système solaire. Elle est ce qu’elle est et les environnements extérieurs sont ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Pourtant, il s’en dégage une certaine plénitude, un calme apaisant, et crapahuter dessus repose l’esprit. Quelques jeux de lumière éblouissants viennent émerveiller nos yeux parfois, et hormis les quelques constructions humaines présentes, rien ne laisse entendre qu’une quelconque forme de vie ait un jour foulé les terres vierges de l’astre.
Ce plaisir passé de vous conter nos trop courtes escapades sur la surface lunaire, il faut maintenant en venir aux nombreux intérieurs que nous avons visités. Deliver Us the Moon n’est en rien surprenant de ce point de vue et nous offre un design graphique très proche de ce que l’on peut voir au cinéma, dans d’autres jeux vidéo et même dans le réel. On n’est en cela pas trop dépaysé, même si aller dans l’espace et visiter des stations en orbite lunaire ou des colonies spatiales n’est pas notre quotidien malheureusement.
Le fait est que cela sert le propos du jeu et qu’en plus c’est loin d’être vilain, même si parfois daté. Quelques effets visuels et de lumière font d’ailleurs mouche, alors que l’on regrette par contre les quelques ralentissements qui ont émaillé notre aventure lorsque cela s’emballe un peu à l’écran.
Mais voilà, Deliver Us the Moon possède un atout de taille, son ambiance. Nos promenades avec la jeune femme seule dans des lieux vides et froids puant le malheur ont quelque chose de très anxiogène. Une sensation forte de solitude accompagne notre périple, et même si un petit robot sphérique ESA (coucou portal 2 !) nous accompagne au bout d’un moment, nous n’entretenons avec lui aucune relation. Il est juste un utilitaire et une présence qui rassure.
Le rythme lent est donc très à propos ici, même si on frôle quelquefois l’ennui malheureusement, mais c’est plus dû à un game design assez barbant, qu’à la direction artistique. Notre exploration des différents lieux propose forcément quelques redites visuelles du fait même de la nature des locaux, mais le tout est cohérent et réaliste, offrant ce qu’il faut de réalisme pour que l’on y croie.
Cela se voit et se sent que les développeurs ont effectué un vrai travail en amont pour retranscrire de manière réaliste ce que l’on peut et pourra retrouver dans une station spatiale et sur une colonie humaine établie sur une autre planète. Et en cela, on ne peut que tirer notre chapeau aux équipes de KeokeN.
Un gameplay lunaire
Que d’éloges, n’est-ce pas ? Et pourtant, Deliver Us the Moon ne convainc pas pleinement, car le gameplay ne suit pas, en tout cas pas tout le temps. Déjà, la maniabilité est assez imprécise, surtout lors des séquences à la troisième personne, ce qui représente le gros du jeu. Car oui, il arrive que l’on joue parfois en vue à la première personne, essentiellement lors de phases en gravité zéro qui ont un rendu franchement plaisant. Elles donnent certes un peu le tournis au départ, mais s’avèrent de très bonne facture, là aussi grâce à une réelle recherche de l’équipe du jeu sur le rendu réaliste de ces passages.
Le reste est « arcade », notre avatar numérique se déplace trop rapidement, fait des sauts de babouins et cela jure pas mal avec le parti pris de départ du jeu. Surtout que les développeurs ont axé leur communication autour du « vis ma vie d’astronaute », ce qui dans les faits n’est pas forcément vrai. Car si le jeu est assez réaliste sur bien des aspects, surtout esthétiques finalement, il ne pousse pas jusqu’à la simulation, même si quelques manœuvres que l’on effectue collent plus ou moins à la réalité, on pense notamment à l’amarrage de notre cockpit à la station Pearson.
La progression quant à elle est comme déjà dit lente, parfois bien trop, et cela manque de rythme, surtout une fois arrivé sur l’astre lunaire. On tourne souvent en rond et le backtracking n’aide pas à dynamiser le jeu. Les énigmes sont très simples et répétitives, tout comme les quelques puzzles à résoudre, se montrent sans intérêt et n’encouragent en rien à continuer notre recherche de la vérité. L’outil d’astronaute greffé à notre bras gauche fait plus office de simple boite à outil qu’autre chose et n’apporte rien qui n’ait déjà été vu ailleurs.
Très vite, on commence à s’ennuyer et heureusement que Deliver Us the Moon n’est pas très long, car il devient soporifique à la longue, même pour quelqu’un qui aime la science-fiction et est passionné par l’espace. Il n’y a aucun challenge, aucune difficulté et trop peu d’évolution de gameplay au fil du jeu pour nous tenir en haleine.
Deux exemples reflètent bien cela. Le premier est donc ce petit robot utilitaire qui nous accompagne et nous permet d’effectuer quelques actions que l’on ne pouvait pas faire de base avec Sarah, comme passer dans des conduits pour atteindre un lieu donné. Eh bien, ce n’est pas très passionnant, car comme déjà dit, tout est trop facile et on n’a jamais à se creuser la tête. Le second est l’utilisation d’un véhicule nous permettant de rouler tranquillement sur la Lune et c’est tout. Il ne s’agit que de pouvoir rejoindre un point B en partant d’un point A plus rapidement que sur nos deux jambes.
Il aurait été intéressant que KeokeN pousse la chose plus loin et nous propose une utilisation qui sorte de l’ordinaire de ce quatre-roues.
Néanmoins, tout n’est pas à jeter. En soit, l’utilisation du véhicule est correcte en termes de maniabilité et permet d’accélérer un peu le pas ou la roue devrait-on dire. De même que quelques situations que l’on rencontre se montrent satisfaisantes, comme l’évacuation de la station Pearson qui ne se passe pas de la meilleure des manières et on se retrouve littéralement propulsé dans le vide spatial livré à nous-même. Il faut alors rejoindre au plus vite notre lieu d’éjection au risque de flotter indéfiniment parmi les étoiles.
Deliver Us the Moon propose certaines séquences emballantes et prenantes, comme celles où l’on doit faire avec le manque d’oxygène et d’autres qui se règlent à coup de QTE catastrophes, mais pas assez pour nous maintenir en éveil tout du long. Les problèmes de rythme, ainsi qu’une mise en scène mollassonne, ont fini par avoir raison de nous, et ce, même si l’exploration, la narration et le concept même du jeu nous ont permis d’en voir le bout.
Finissons tout de même sur une bonne note parce qu’il faut bien en parler tant elle est réussie, cette bande originale. Très inspiré par le travail de Hans Zimmer sur Interstellar, le compositeur Sander Van Zanten propose des thèmes parfois assez incroyables. Aussi le thème de Sarah chanté par Nola Klop est un régal auditif. Et de manière générale, l’ambiance sonore est au top et appuie ce sentiment d’isolation que procure Deliver Us the Moon avec un travail remarquable sur les sons d’ambiances et leur disparition ou étouffement soudain lorsque l’on est dans l’espace.
Deliver Us the Moon n’est foncièrement pas un mauvais jeu, il réussit d’ailleurs la plupart des choses qu’il entreprend. Son ambiance visuelle et sonore, ainsi que son approche très réaliste témoignent du travail d’orfèvre effectué par le petit studio néerlandais KeokeN qui est composé sans nul doute de véritables passionnés de l’exploration spatiale. Le gros problème du jeu vient alors de son gameplay trop simpliste et pas assez recherché qui se heurte à un rythme parfois trop lent et pas assez stimulant.
Cela manque de profondeur, et ce, même si le scénario parvient, malgré quelques facilités d’écriture, à nous maintenir éveillés. On aurait véritablement aimé chaque aspect de ce Deliver Us the Moon, mais malheureusement ce n’est pas le cas. Par contre, on vous recommande tout de même le détour, surtout si vous êtes passionné de science-fiction et de la conquête des étoiles.